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Guérilla

Pourquoi le style précis des meilleurs écrivains d’aujourd’hui me semble-t-il étrangement désarmé ?

Parce que tous ces connards défilent.

« Regardez-moi. »

Et si leur style est armé, c’est seulement pour la parade.

« Regardez-moi. »

Ils aspirent à devenir visibles. Ils le seront.

Le bel ordonnancement de leur langue, c’est certain, ne résistera pas au moindre assaut de la massive imbécillité contemporaine.

Ces singularités prétendues s’offrent pour cible. On dirait des soldats français de 1914, en bel uniforme rouge et bleu dans les blés jaunes.

Ils écrivent en gants blancs. Pour que leur suicide ait de la gueule.

Mais c’est précisément par leur suicide en cours qu’ils sont par avance comptabilisés au profit de la modernité. Et qu’ils deviennent comme tout le monde de très anonymes cadavres.

Ah, on les regarde enfin ; mais on ne les distingue plus.

 

Ils finissent par pleurnicher.

Par implorer ces ennemis qu’ils convoitent d’applaudir à leur mort très prochaine, évidemment assurée parce qu’il y a pour cela des polices, dont ils se font gloire à crédit.

Car c’est dans leur défaite anticipée, souhaitée, voulue, rêvée, délirée même surtout, qu’ils placent leur héroïsme abject.

Héroïsme qu’eux-mêmes proclament incontestable. Ils ne savent pas qu’ils font du Marketing, ces MM. Jourdain en habit littéraire et briguant à Paris un marquisat quelconque.

Les sales petits cons.

Pervers jusqu’à vanter eux-mêmes leur radicalité non-pareille. Et même leur salope honnêteté de potentats intellos.

 

Ils idolâtrent la Littérature à majuscule, cette vieille maquerelle putassièrement hypostasiée ; et comme ces drôles sont inspirés, évidemment, ils entendent celle-ci leur murmurer à l’oreille : « File à la Cour jouer à la guerre, mon petit, et tâche de ne pas salir ton beau costume en langue française. »

Le style de Chateaubriand taille et tranche dans son époque. C’est sa gloire.

Imiter le style de Chateaubriand, c’est ni plus ni moins se déguiser en cow-boy, au mieux en Abencerage. Parce qu’il aime Jeanne d’Arc, Péguy ne part pas à la guerre engoncé dans une armure médiévale. Il y mourra quand même.

Nos écrivains sont des enfants. Ils ne croient plus en Dieu, ou plus vraiment, parce que deux mille ans de Chrétienté se balaient d’un battement de cils convenu, ou d’un haussement d’épaule. Mais ils croient au Père Noël, qui est bien mieux. Et à la Mère Noël, qu’ils nomment Littérature.

Oh, ils soupçonnent vaguement qu’elle n’existe pas, la Mère Noël, mais ne toléreront pas qu’un journaliste l’affirme. Car les journalistes sont leurs frères inférieurs.

 

Ils ne taillent ni ne tranchent dans leur époque, et pas davantage ne l’atomisent. Leur beau style est une épée de bois.

Ils sont des enfants, qui jouent à la guerre dans un monde fait pour eux.

« On n’a qu’à dire que je suis le grand écrivain Zorro… » « Ouais, et moi je serais Wonder Woman… » Etc.

Mais bien sûr, mon chéri… Ta cotisation au Club est à jour ?

Ils font semblant de faire ce qu’ils font.

 

Les écrivains ne font pas la guerre. Non, ils se font photographier, filmer en train de faire semblant de faire la guerre.

L’imposture n’a besoin que de postures.

Et comme ils sont de mauvais acteurs débitant à la chaîne d’insignifiantes répliques accrocheuses, le téléfilm fait chier tout le monde. Même les cons, qui préfèrent changer de porno.

Ils s’en plaindront, les écrivains. Pleurnicheront sur la perte du respect qu’on témoignait à leurs ancêtres.

Mais aussi, comme tout se recycle, ils trouveront bien le moyen de s’en faire une gloriole de pacotille, emboucheront la publicitaire trompette du maudit. A peu de frais, comme tout le reste.

Et ils ne maudiront personne. Ne diront mal de rien. Brosseront leur uniforme, de peur d’être grondé par la Grosse Mère Littérature.

L’essentiel étant bien sûr qu’ils restent entre eux. Entre personnes supérieures, jalouses et susceptibles. Buvant au même abreuvoir une soupe au lait qui leur monte à la tête.

L’essentiel étant qu’ils soient parqués bien au chaud dans quelques muséaux arrondissements nauséeux. Dont ils feront dans leurs œuvres des univers totaux.

Le plus souvent oisifs, mais toujours prêts à turluter pour la gloire un éditeur plus prestigieux que le leur, qu’ils méprisent pour de rien. Pas pour de vrai ni pour de faux, pour de rien.

Tremblants et prompts à fuir devant le dernier des rappeurs à métal incrusté venu fliquer leur réserve de culs-pincés décomplexés. Parce qu’il ne faut pas salir son beau costume en langue française, c’est Maman qui l’a dit.

 

 

La Littérature à majuscule est une saloperie romantique.

Une gueule d’ombre qui bouffe ses adorateurs mêmes, s’en nourrit, et chie le restant par paquets de livres.

Lesquels nous entretiennent avec une bravoure factice de l’élégance perdue, de l’éloquence en miettes, ou de n’importe quoi n’importe comment…

Et même de la perte du sens.

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