Du le style.
Beau titre (je le dis).
On me demandera pourquoi ?
Parce que rien à foutre le style.
J’aime pourtant le français.
Et même le fameux style classique français, je l’aime.
Belle marquise…
Et Bossuet, ah, Bossuet !
Le style est une arme.
(Les armes – les vraies – me fascinent.
Comme aussi les instruments de musique, je m’en aperçois à l’instant.
Mais je n’utilise jamais ni arme ni instrument de musique et il vaut mieux.)
Je continue.
Il y a une de ces histoires, en France, avec le style.
Il y a un mythe du style et ce mythe sert à muséifier la littérature.
Un écrivain a du style, un style, n’a pas le style.
C’est indéfini ou partitif.
Mais tout de même, tout de même, il y a le style. The style.
Le style absolu français.
Qui plane au-dessus de tout.
Que rien ne satisfait.
Que personne ne connaît.
Un mystère.
Mais qui permet de ranger tout ça au musée.
Au mausolée, quand on ne peut pas faire autrement.
Qui permet que toute littérature, ici, soit échec.
Tout.
C’est un putain d’embaumeur, le style français.
Balzac, il écrit pas toujours super, hein?
L’art et la littérature finissent au musée.
C’est une manie. Ça et le Panthéon. Et puis Napoléon.
Ça rassure, les musées. Il ne s’y passe rien, des touristes défilent.
Il n’y a rien à voir, dans le musée.
Ou seulement de jolies touristes – et puis quoi, hein ?
Même Dostoïevski, s’il avait écrit en français, on aurait trouvé à lui redire dans le style.
Faut voir ce qu’on a longtemps balancé à Shakspeare.
Oui, Shakespeare, je sais. Mais c’est une orthographe que lui-même n’a jamais employée.
Pas du tout français, Shakspear.
Shkspr.
Les armes. J’y reviens. Bon.
Les instruments de musique.
Tout dépend de ce que vous voulez exécuter.
Exécuter, oui.
C’est un problème d’adéquation.
J’ai vu des snipers prétendus bien encombrés d’épées lourdes.
Et des agents secrets qui ne savaient pas conduire leur char d’assaut.
Et Philippe Sollers qui écrit, Dieu sait pourquoi, avec une raquette de tennis.
Des trucs mal adaptés partout. Tout le temps.
Remarquez, c’est assez drôle.
Et je vous passe les écrivains sans alphabet.
Les flopées de dramaturges kamikazes, sans aucun équipement d’aucune sorte, qui se fracassent leurs os contre les murs d’une forteresse dont les portes sont grandes ouvertes.
J’ai même entendu la mort de Siegfried à la flûte de Pan, un jour, dans le métro (mais j’étais fatigué, sans doute).
Et les fous de la Grammaire, de la Syntaxe et en général… du Style.
Et ceux qui n’y connaissent rien, qui n’y entendent rien, et qui espèrent bien le faire savoir et respecter, d’autor.
La perfection m’emmerde, et l’ignorance itou.
La lenteur et la vitesse.
La structure et l’improvisation.
Je m’en bats les couilles.
Ohé.
Qu’est-ce que vous racontez, les écrivains français ?
Tout le monde s’en fout.
Heureusement que vous êtes bien au chaud entre vous, à Paris, ville sous cloche, future Ilion.
A écrire des trucs déjà morts, taxidermistes ! Empailleurs !
Ils se bourrent le cul avec de la paille, la caboche aussi est pleine de bourre, et les voilà qui se prennent pour la statue du Commandeur (avec des ennemis, même, des fois)…
Des scènes inénarrables, ça donne !
La Statue du Commandeur chez le psychanalyste lacanien du XIV°, la Statue du Commandeur raconte son enfance avec un papa pas gentil (voyez la nuance), la Statue du Commandeur fait un voyage dans un pays lointain et c’est quand même formidable, la Statue du Commandeur évite héroïquement d’être un touriste en assortissant son parcours Découverte de la Thaïlande de remarques iconoclastes (sic) sur les jeunes femmes indigènes, etc. La Statue du Commandeur sous ecstasy. La Statue du Commandeur fume comme Michel Houellebecq. La Statue du Commandeur lit Debord et Heidegger et se trouve par exception être la seule à tout piger ce qu’elle veut là-dedans (d’ailleurs, elle le savait déjà).
La Statue du Commandeur dans son propre rôle.
La Statue du Commandeur dernier écrivain, dernier tout.
Dernier tube.
(Petite annonce : je revends ces volumes, et pas cher.)
Ah, mais le style, hein, le style.
La dernière fois que j’ai lu un grand roman français, si je suis autorisé à le dire, c’était les Bienveillantes.
Mais l’auteur était aussi américain qu’inconnu à Paris. Jonathan Littell.
Avait-il le droit d’écrire ça ? (Qu’est-ce que c’est que ce guignol qui ne raconte pas sa vie ?)
Avait-il le droit d’écrire ça comme ça ? Avec un narrateur SS (j’ai même entendu une ordure radiophonique bien de chez nous refuser de distinguer l’auteur du narrateur) cultivé et homosessuel (alors qu’on le sait que la cultivation et l’homotextualité, c’est par principe vachement le top, merde) qui nous racontait sa vie à lui, la Shoah de l’Ukraine à Auschwitz, le meurtre de sa mère, Stalingrad, la déroute allemande, les bombardements de Berlin, la fuite finale hors d'Allemagne… Et dans tous les détails et jusqu'aux plus atroces (nous, les détails, on les emmerde, on est vachement au-dessus de tout ça, la preuve, c’est que le diable est dans les détails…). Mais alors, justement, les détails.
Ça faisait donc bien des problèmes, m’a-t-on dit (et pas qu’à moi), avec le du le style.
D’autant qu’il en a vendu plein (même qu’il a piqué la place à Josette A. qu’elle était réservée, les histoires, les histoires...).
Un vrai choc, malgré le du le style des cons.
Même que je ne savais que lire ensuite.
Alors j’ai relu tout Eschyle. Dans l’ordre.
Jusqu’à l’Orestie.
Tout Eschyle.
Sur le même sujet : Guérilla.