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Theatrum Mundi - Page 61

  • La littérature, combien de divisions ?

     

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    Jed Martin a son galeriste, Michel Houellebecq son éditeur, il leur arrive la même chose, le succès, l'argent, puis le couronnement (qui n'est pas d'épines, quoique, allez savoir) - lequel est toujours le fait, en gros, de spéculateurs et d'affairistes, plus ou moins gros potentats. Le bandeau du Goncourt ne rendra son roman ni meilleur ni pire. Rien à cette heure, je crois, ne dit que cet argent ne permettra pas à l'auteur d'aller loin des mondanités écrire dans le silence un prochain livre meilleur ou pire. Après quoi, les pom-pom girls de circonstance sont un peu agaçantes, très à côté de la plaque, et le triomphe un bon brin vulgaire, c'est-à-dire d'époque, de Sorin parle surtout de lui.

    Commentaire laissé hier soir sous ce billet à propos du Goncourt 2010 et de son attribution à La carte et le territoire (Flammarion), sur Stalker, et que j’ajoute à ce fatras qui suit, composé de fragments de notes et courriers, d’où le disparate, entre 2008 (ce billet) et la semaine dernière…

     

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    L’art sert toujours le pouvoir et lorsqu’on ne sait plus où est le pouvoir, regarde donc où l’art, quoi qu’il dise, est allé nicher bien au chaud sa gueule de bréhaigne. Il ne sert plus Dieu ni le Pape ni le Roi ni l’Empire ni la République ni l’Etat ou sa dégénérescence l’Administration, il sert directement l’Argent ; et comme cette abstraction sans yeux ni couilles qu’il est devenu ne veut même pas le savoir, ça lui ferait mal au trou, il se prétend lui-même Dieu et que c’est tout le reste du monde, dont l’Argent, qui le sert, lui, l’art en peau de balle ; c’est bref une pauvre idole dans un monde qui dégueule d’idoles de partout. Et il se trouve des gogos pour gober cette fatrasie de bas étage – tu me diras que les moins cons sont payés pour gober, d’accord.

     

    *

     

    Peut-être peut-elle parfois, rarement, les dépasser mais je ne vois pas du tout par quel tour de magie, sauf à tout rendre littéralement illisible, la littérature pourrait s’affranchir de la propagande et du divertissement. « Le roman est un genre faux » dit Ducasse ; il semble en effet dans sa nature de faire semblant de ne pas faire ce qu’il fait – il répondra peut-être que là et nulle part ailleurs est son art…

     

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    Si tu penses que la littérature française est à l’agonie, et qu’elle va longtemps encore agoniser comme ça, simplement à force de vendre des livres et maintenant des fichiers, regarde plutôt comment elle a commencé (c’est peut-être important de se souvenir comment ont commencé les choses qui meurent) :

     

    Le roi Charles, notre empereur, le Grand, sept ans tous pleins est resté dans l’Espagne : jusqu’à la mer il a conquis la terre hautaine. Plus un château qui devant lui résiste, plus une muraille à forcer, plus une cité, hormis Saragosse, qui est sur une montagne. Le roi Marsile la tient, qui n’aime pas Dieu. C’est Mahomet qu’il sert, Apollin qu’il prie. Il ne peut pas s’en garder : le malheur l’atteindra.

    Traduction de Joseph Bédier. La Chanson de Roland, laisse 1

     

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     Dans la radio, un journaliste dit qu’on tue en Irak des chrétiens. Il a l’air de complètement s’en foutre. Ils n’avaient qu’à se convertir aussi, ces cons-là. Je ne comprends décidément pas que tout le monde ne veuille pas comme nous devenir des plurien. Et toi plus moi plus eux plus tous ceux qui le veulent / plus lui plus elle plus tous ceux qui sont seuls / allez, venez et entrez dans la danse / allez, venez et laissez faire l’insouciance… couine à présent dans le poste un prénommé Grégoire dans une belle hymne (au féminin, car c’est très sirupeux de religiosité neuneue) au nihilisme à la con mais un poil conscient de lui-même – à tel point que je me demande une seconde si ce n’est pas Yannick Haenel qui a écrit ces belles paroles.

     

    Ganelon et Blancandrin sont là, ils sourient.

     

     


     

     

  • Histoire d'amour

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    Dilige et quod vis fac.

     

     

    Le discours amoureux n’a pas de tout temps pourri tout, ravagé le monde sous sa rhétorique imbécile et bonasse, mièvrerie et perversion incluses.

    Quand Charles annonce à Aude la mort de son fiancé, elle n’entre pas dans un discours lamentatoire, elle refuse net de rencontrer tout autre jeune homme, même le fils de Charles ; pas davantage elle ne se dit, discours scientifique hors de ses gonds et salopement romancé, que de toute façon son amour à phéromones de merde n’eût pas duré plus de trois ans, – non, tout simplement, elle meurt de suite. La grande classe. C’est en fait d’amour plus éloquent qu’un tas de fadaises, fût-il magnifiquement bout-rimé.

    L’amour courtois viendra plus tard ployer le monde occidental sous son éducatif ennui colossal. Les seigneurs et leurs gars sont à la guerre sainte en Orient, croisade contre djihad, et les dames décident de la façon dont doivent leur causer les petits hommes restés sur place – je caricature à la machette et je m’en tape ; le voilà, ton discours amoureux ; c’est pour toujours le discours de l’arrière et il tiendra ! Il vaincra, même ! il finira même par vaincre la civilisation duquel il est sorti tout désarmé (tout le monde n’est par Corneille, Shakespeare ou même Turold) ! – Ah, vieux faible Racine aux vers parfaits, et puis les joulies belles Lumières que voilà ! et ainsi de suite de Charybde en Scylla, jusqu’à ce que l’amoureux discours soit tout fragmenté de pâmoison, milliards de miettes à présent… 

    Que veux-tu que je te dise ? Quelque chose comme ça : Aimez, aimez si vous ne pouvez faire autrement, mais putain, fermez vos gueules !

    Quand, disais-je, Charles empereur annonce à Aude dont c’est la première et dernière apparition, que son Roland est mort à Roncevaux, elle meurt, voilà, et tout cela dans la seule laisse 268 du poème occupe quinze décasyllabes , cent cinquante syllabes quoi, deux minutes grand maxi, on n’est pas chez l’Arioste.

     

    *

     

    Voici la laisse 268 (avec ses vingt-deux vers) :

    Li empereres est repairet d’Espaigne

    E vient a Ais, al meillor sied de France ;

    Muntet et palais, est venut en la sale.

    As li Alde venue, une bele damisele.

    Ço dist al rei : « O est Rolland le catanie,

    Ki me jura cume sa per a prendre ? »

    Carles en ad e dulor e pesance,

    Pluret des oilz, tiret sa barbe blance :

    « Soer, cher’ amie, d’hume mort me demandes.

    Jo t’en durai mult esforcet eschange :

    Ço est Loewis, mielz ne sai a parler ;

    Il est mes filz e si tendrat mes marches. »

    Alde respunt : « Cest mot mei est estrange.

    Ne place Deu ne ses seinz ne ses angles

    Après Rollant que jo vive remaigne ! »

    Pert la culor, chet as piez Carlemagne,

    Sempres est morte. Deus ait merci de l’anme !

    Franceis barons en plurent e si la pleignent.

     

    Dans la traduction de Joseph Bédier :

    L’Empereur est revenu d’Espagne. Il vient à Aix, le meilleur siège de France. Il monte au palais, il est entré dans la salle. Voici que vient à lui Aude, une belle demoiselle. Elle dit au roi : « Où est-il, Roland le capitaine, qui me jura de me prendre pour femme ? » Charles en a douleur et peine. Il pleure, tire sa barbe blanche. « Sœur, chère amie, de qui t’enquiers-tu ? D’un mort. Je te ferai le meilleur échange : ce sera Louis, je ne sais pas mieux te dire. Il est mon fils, c’est lui qui tiendra mes marches. » Aude répond : « Cette parole m’est étrange. A Dieu ne plaise, à ses saints, à ses anges, après Roland que je reste vivante ! » Elle perd sa couleur, choit aux pieds de Charlemagne. Elle est morte aussitôt : que Dieu ait pitié de son âme ! Les barons français en pleurent et la plaignent.

     

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    (Et comme ne disait pas vraiment Belmondo dans le film de Godard, si vous n’avez pas d’humour, allez vous faire foutre.)

     

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