La liberté ne se connaît que deux sortes d'ennemis : ceux qui la combattent et ceux qui n'y renoncent pas.
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La liberté ne se connaît que deux sortes d'ennemis : ceux qui la combattent et ceux qui n'y renoncent pas.
Le théâtre est fait pour être joué. Bien sûr.
Mais il est d’abord, ne serait-ce que chronologiquement, fait pour être lu ; au moins par des metteurs en scène et des comédiens. Et au-delà, par tout lecteur de bonne volonté – s’il reste quelque part un honnête homme.
(Un bon texte de théâtre n’est pas plus difficile à lire qu’un bon roman, mais il est certainement plus facile de mal lire un roman, même bon – chiffres de vente obligent, les romans sont mêmes, de plus en plus, écrits tout exprès pour être mal lus par de mauvais lecteurs… tandis que le théâtre est, lui, de plus en plus, de moins en moins écrit pour servir littéralement de pré-texte à des metteurs en scène à prétentions démiurgiques qui feront de toute façon autre chose avec…)
La ligne de fracture dans la mise en scène de théâtre sépare finalement ceux qui se pensent comme des interprètes du texte de ceux qui se pensent comme des créateurs. Et il est évident qu’en termes de visibilité, de reconnaissance, de politique culturelle – si ces deux mots, ensemble et séparément, conservent un sens – les seconds ont suffisamment gagné pour avoir fait cesser sur ces matières tout débat, vae victis.
On peut éventuellement repérer les premiers, c’est un simple indice, à ce que, forts de plus de deux mille ans d’histoire, ils raisonnent encore en termes de tragédie et de comédie quand leurs vainqueurs du second groupe n’ont plus à la bouche que les mots de spectacle, de pluridisciplinarité, etc. et pour seule destination chorégraphique que la stérilité pécuniaire de l’art contemporain (cette fin de phrase va plaire…).
Comme il n’est plus réellement possible aujourd’hui d’exprimer dans ce pays autre chose que la doxa journalistique, que la tragédie est suffisamment réputée impossible pour que personne ne s’y essaie, que la comédie n’est réellement elle-même, c’est-à-dire un danger politique majeur, que de présupposer et transcender cette tragédie par bonheur tout à fait absente donc, il ne reste plus à nos vainqueurs qu’à colorier le néant à grand coups de formes expérimentales vides et neuneues qu’ils réputeront subversives à loisir (nouveau théâtre public) ou à industrier des bluettes confondantes de vulgarité, mal écrites et pas drôles, qu’ils nommeront publicitairement « comédie », ce qui est une falsification totale (théâtres privés parisiens). L’heure est en somme à la domination des abrutis roués.
Le théâtre est fait pour être joué. Bien sûr. Il n’est pas du tout certain, au demeurant, que ce soit réellement possible aujourd’hui. D’ailleurs, vous n’avez qu’à vous dire, en prenant une carte de la décentralo culturelle, que je plaisante. Quoi d’autre ?
*
Entre la Toussaint 2008 et le 30 juin 2009, j’ai écrit, plus ou moins sur commande, une pièce intitulée Créon, qui inverse les données initiales du mythe d’Antigone (Antigone règne, Créon s’oppose à elle, aucune fin connue à laquelle parvenir ne demeure), et devrait être représentée pour la première fois en mars 2011 (j’imagine que j’y reviendrai). Pour autant que ce soit possible, ce texte tend à être une tragédie.
En septembre 2009, j’ai écrit, sur commande, une saynète de vingt-cinq minutes intitulée La morale du Héron, sur les rapports France-Afrique/Françafrique, qui a été mise en scène – en prologue à un texte espagnol de qualité dramatique discutable, en décembre de la même année par la compagnie commanditaire.
En janvier 2008, j’ai mis en scène une comédie écrite en 2005, Pour une Culutre citoyenne !, portrait à charge, saynète après saynète, du milieu culturel. Charge trop lourde. Malgré l’adhésion très manifeste du public, il n’a pas été possible de tourner ce spectacle. Freins institutionnels puissants. Peur.
(Je note qu’une saynète détachée de l’ensemble, Saturne, le touriste et son bébé, écrite pour mon vieux camarade Arnaud Frémont, avait été créée auparavant, pour une seule représentation, en janvier 2006, dans un petit festival de marionnettes qui ne nous aurait pas accueillis s’il avait su ce que nous allions produire.)
Au mois d’octobre 2006, j’ai écrit pour Fabien Joubert un texte réaliste, tissant une trentaine d’anecdotes de la vie d’aujourd’hui, mais tellement noir à la lecture que nous avons su aussitôt qu’il était tout à fait inutile de le faire lire à de supposés producteurs ; à ce jeu conventionnel-là, nous ne pouvions que perdre une ou deux années qui déboucheraient, au mieux, sur rien. Nous avons donc décidé de monter ce texte, Ce que j’ai fait quand j’ai compris que j’étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde, sans production : un acteur, une chaise, du temps – le luxe, en somme. Le talent de Fabien imprégna ce texte très dur de son humour subtil et nous fit produire, quelques personnes s’étant bénévolement jointes à nous, un spectacle presque aussi drôle que violent, ou l’inverse – que nous avons pu jouer une cinquantaine de fois entre 2007 et 2009, malgré ces freins à la vente que constituent un certain nombre de références peu élogieuses à quelques problèmes contemporains, lesquelles références nous ont bien fait frôler un procès imbécile. Peur encore.
Un mois avant d’écrire ce monologue, en septembre 2006 donc, j’avais achevé d’écrire une commande sur les banlieues amoureusement intitulée Territoires de la merde. Une comédie. Mes commanditaires d’alors – producteur et metteur en scène – qui avaient d’abord refusé son titre la refusèrent totalement dès réception – dans les huit heures.
Je ne suis pas prêt de voir cette pièce représentée où que ce soit dans ce pays ; elle est pourtant, d’un simple point de vue pratique, très montable. Il est tout simplement à craindre qu’aucun directeur de salle ne voudra prendre le risque de la produire, qu’aucun metteur en scène, non plus, ne tentera une telle chose.
Pour passer cette censure censée n’exister pas, l’idée m’est venue de la répéter avec quelques comédiens volontaires, dans un lieu fermé au public, puis les répétitions achevées, de la filmer en l’état et de diffuser ce film sur internet, tout ou partie, et éventuellement de vendre des DVD (techno-samizdat).
Faire avec Territoires…ce que nous avons fait avec Ce que j’ai fait... est peut-être possible, mais certainement pas souhaitable (ni économiquement viable). C’est, entre autre chose, dans cette optique que j’ai remis les mains dedans, ces trois dernières semaines…
J’en suis là. Voilà, c’est tout.
C’est la mi-temps.
Les opinions portent sur tout et sur n’importe quoi, sans cesse. Il s’agit d’en avoir le moins possible et, fort de cela, de lancer la charge de la comédie à l’endroit exactement de la société de son temps où elles font rage, révélant ainsi, toutes, leur extrême ridicule, leur pathétique frôlant parfois la tragédie. Il s’agit d’être le champ de bataille, l’air que respirent les personnages et, même, à ces opinions près, tout ce qu’on peut de ces personnages ; et s’il demeure une opinion personnelle, de la fourrer dans la bouche du plus idiot d’entre ceux-là.
Il pensait s’être retrouvé dans ce café très mondain par hasard et se mentait tranquillement. Son rendez-vous s’était le plus simplement du monde décommandé à l’heure exacte d’arriver, ce qu’il avait très servilement accepté, avec sa résignation coutumière. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de mentionner ses deux heures trente de trajet, train plus métro, ni leur coût. Il ne se sentait même pas humilié, il se disait juste qu’il devrait se sentir tel.
Il faisait semblant de relire son dossier, son projet. Cette fois il avait fait tout ce qu’il fallait et ça n’empêcherait certainement rien de foirer. Et peut-être tant mieux.
La conversation de tous ses voisins de table tendait à prouver que ce milieu chic et toc était exclusivement un concours de bassesse et de vulgarité, et qu’on pouvait forer très loin. Ubu propre. Ces gens autour de lui avec leur beau jargon technique lui semblaient les outils haut de gamme permettant de forer plus bas, toujours plus bas. Le pire était sans doute qu’il rechignait de moins en moins à concourir lui-même. Puisque cela fonctionnait ainsi. Quoi qu’il concourût mal. Il se demanda qui finalement organisait ce concours, mais il ne trouva pas de réponse qu’un slogan pût contenir ; rien d’utilisable aujourd’hui, en somme.
Mais tout cela ne l’affectait pas réellement. La réalité serait de plus en plus brutale et insupportable, certes ; mais les moyens de se prémunir contre elle seraient de plus en plus nombreux et efficaces – stupéfiants d’ordres variés. Il était même difficile de savoir quel était le poison, quel le contrepoison – et donc, qui avait un coup d’avance sur l’autre. Les gens autour de lui s’occupaient de ce genre d’affaires, mais le savaient-ils seulement ? Et il pensa qu’il lui serait parfaitement indifférent, par exemple, qu’on les pende tous demain.
Comme l’école, la culture était simplement devenue un formidable moyen d’abrutissement des masses, capable de donner aux personnes les plus faibles – qui deviendraient artistes, etc… – l’illusion de leur affranchissement. Elle était la nouvelle machine à décerveler. Raison pour laquelle le pouvoir faisait fonctionner à plein sa belle pompe à phynances toute trouée. Les plus chiens, les plus cyniques atteindraient, non sans marcher en coulisses sur la gueule de leurs confrères, les postes les plus hauts à coups de grands discours égalitaristes et transparentistes. Les sincères, les convaincus, corvéables à merci, dealeraient la came, fabriqueraient à grand-peine quelques accros avant de crever plus prolos qu’au départ ; il y aurait bien sûr, çà et là, des dépressions, mais leur cause presque unique ne serait jamais tirée au clair.
Il sortit et alluma une cigarette. Vraiment, qu’est-ce qu’il avait à foutre de tout cela ?
Dans les bacs d’occasions d’un libraire, il acheta La Mort de Pompée en vieux Classiques Larousse, pour 25 centimes d’euro. Il demanda un paquet cadeau. La vendeuse se demanda s’il était cinglé ou radin, ou les deux ; et dit : – Vous plaisantez ? Il répondit : – C’est votre faute. J’achète un chef d’œuvre 25 centimes et la moindre merde coûte cent fois ça. Vous voulez que j’offre une merde ?