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jan fabre - Page 2

  • Peur sur ma gueule

    On se soigne comme on peut, dit l’alcoolique en commandant à boire.

     

    Récapitulatif très approximatif : Romeo Castellucci, Valérie Dréville, Jan Fabre, Jeff Koons, Joris Lacoste, Fabrice Melquiot, Gildas Milin, Philippe Minyana, Olivier Py, Falk Richter ; ce qui inclut aussi Armelle Héliot, Brigitte Salino (voir Castellucci) et René Solis (voir Castellucci et Py).

    Ce n’est qu’un début, poursuivons le néant…

     

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  • Défendre Jan Fabre

     

    Critiquer Jan Fabre ne présente que très peu d’intérêt. Critiquer l’éloge qu’on fait de lui m’a semblé plus pertinent. Aussi ai-je pris l’initiative de recopier ici le texte de présentation de cet « artiste » qu’on peut lire ici sur le site du Festival d’Avignon, ce sommet culturel. Le texte qui suit est signé Irène Filiberti, qui est critique de danse, je crois ; les notes, assez copieuses, entre parenthèses sont de moi.

     

     

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    Dans un autoportrait, sculpture réalisée dans le cadre de son œuvre plastique (la sculpture est réalisée dans un cadre ? comment une sculpture ne serait-elle pas une œuvre plastique ?), Jan Fabre, artiste anversois (pas belge, hein, anversois : évacuation de la nationalité, encombrante sans doute), né rebelle (il n’y est donc pour rien, le pauvre) en 1958 (cinquante ans de rébellion au compteur, à ce jour), est assis devant une table (ça alors). Il a le corps entièrement couvert d’une étrange fourrure (j’imagine que c’est à ça qu’on le reconnaît ; veuillez noter que son corps aurait pu être recouvert d’une fourrure qui ne soit pas étrange : Jan Fabre ne serait-il pas un animal ?). L’impressionnante quantité de clous dorés, minutieusement plantés les uns à côté des autres (il y a de la main d’œuvre, quand même), la pointe (la fourrure, donc) vers l’extérieur (vous avez déjà vu une fourrure pointée vers l’intérieur ?), produit un effet de pelage doux, chatoyant, hérissé, piquant (c’est presque conformiste, cette dernière épithète ; des clous pourraient piquer ? Navrant.). Cette énigmatique (de quelle énigme parle-t-on ?) carapace (donc une fourrure de clous est une carapace) forgée d’ambivalence (plantez des clous les uns à côté des autres, et vous aurez une fourrure qui est aussi une carapace, le tout ayant nécessité un travail de forgeron, sachant qu’un forgeron est un artisan qui travaille, non pas le fer comme on avait cru jusqu’ici, mais l’ambivalence) est à la fois signe et médium d’une démarche singulière qui se déploie depuis les années soixante-dix (tout cela va loin. Explications : La carapace est le signe d’une démarche. Elle en est aussi le « medium », c’est-à-dire : le moyen. Une démarche qui, voyez-vous, se déploie. Donc la carapace aussi. On comprend que la démarche soit singulière. La carapace est donc à la fois la représentation des jambes de l’artiste, et les jambes réelles de l’artiste. Et cela dure depuis les années soixante-dix. Faut-il lire entre les lignes que Jan Fabre souffre d’un handicap moteur ? Qu’il est l’homme-tortue à carapace-fourrure de clous ? Que les 4 Fantastiques étaient 5 ?)

    L’image et le corps sont la clef de voûte  des recherches artistiques (n’importe quel architecte vous le confirmera : rien n’est plus simple, avec une image et un corps, que de constituer une clef de voûte de recherches artistiques) de Jan Fabre. Plasticien, il en (mais de quoi ? Ce mot n’est-il pas de trop ?) traverse l’histoire et ses représentations (si un plasticien et un seul traverse l’histoire et ses représentations, il faut implicitement que l’histoire lui soit contemporaine, voire même, si l’on suit l’hypothèse mégalomaniaque, qu’elle commence avec lui ; à moins qu’il ne faille conserve le « en » et lire que le plasticien Jan Fabre traverse, de ses recherches artistiques, l’histoire et ses représentations…) au fil d’une œuvre foisonnante et protéiforme (mentions obligatoires) : dessins (sans blague ?), monochromes au bic bleu (moi aussi, au primaire, j’en faisais dans les marges de mes cahiers), sculptures composées d’insectes ou de matières animales (là, je me faisais engueuler par ma mère, qui n’a décidément rien compris à l’art), performances (tiens, un sportif). Dans l’une d’entre elles (« elles » doit se rapporter à « performances », j’imagine), créée en 1976, il écrit avec son propre sang : “mon corps, mon sang, mon paysage” (quelle audace, quand même ; quel écrivain ; et quelle pensée !). Plus récemment, en duo avec Marina Abramovic (connais pas, cause pas), tous deux vêtus d’armures inspirées d’insectes (notez la formule : « armures inspirées d’insectes ») mâle et femelle, enfermés dans un cube transparent (on peut regretter que le cube soit transparent, non ?) se livrent durant plusieurs heures à une série d’actions où rituels et épuisement (l’épuisement est une action, donc, et non la conséquence d’une action) stigmatisent les préoccupations du body art (waou ! rituels et épuisement stigmatisent des préoccupations ! Quant à savoir quelles sont les préoccupations du body art, ou comment, concrètement, on stigmatise des préoccupations, vous repasserez) à travers un culte imaginaire sur le thème du sacrifice et du pardon (la réponse est là, suis-je bête : on stigmatise des préoccupations à travers un culte – comment passe-t-on à travers un culte ? – , sachant qu’un culte porte toujours sur un thème, comme les soirées télé d’Arte ; quant au sacrifice et au pardon… pas moyen de voir le rapport avec les insectes, mais je suis sans doute bouché) que ces deux “vierges-guerriers” (est-ce que ça veut dire que les deux insectes Fabre et Abramovic ne baisent pas, mais s’affrontent, dans leur boîte transparente pour spectateur entomologiste ?) explorent (parce qu’un culte, voyez-vous, ça s’explore) au fil de la performance (la performance, en somme, se réalise au fil de la performance).

    Au théâtre, qu’il investit avec éclat (ça veut dire quoi ? qu’il gagne du pognon ? qu’on parle de lui dans les journaux?) au début des années quatre-vingt, ses investigations (ses investigations sont-elles distinctes de ses investissements ?) en tant qu’ (« d’ » serait moins laid qu’ « en tant qu’ ») auteur et metteur en scène sont autant (pourquoi « autant » ; retirez-le, la phrase sera française) de flamboyantes provocations (bref, s’il investit avec éclat, il « investigue » en flamboyant provocateur. En flambeur, quoi). Mais là encore (?), il reste le peintre (il n’a pas été question de peinture auparavant) d’une fascinante iconographie ciselée au scalpel (ciselé vient de ciseau, pas de scalpel, sans compter qu’on ne peint pas avec un scalpel, on scalpe), qui rappelle souvent les primitifs flamands (ah oui ? mais en quoi ? Il faut donc bien comprendre ceci : les primitifs flamands peignaient avec des scalpels ciselant des iconographies fascinantes ; en quoi ils imitaient Jan Fabre sans le savoir).

    À l’instar de son homonyme avignonnais, Jean-Henri Fabre, dont il dit être l’héritier (on peut donc hériter – unilatéralement – de ses homonymes ? Intéressant…), l’artiste est aussi entomologiste à ses heures (aux heures de qui d’autre, sinon ? Pourquoi préciser ?). Ses observations le portent à disséquer les comportements humains comme on étudie le monde des insectes (cette phrase est un chef d’œuvre. Expliquez-moi concrètement comment on dissèque un comportement. Qu’on l’observe, je veux bien ; mais la dissection n’est ici rien d’autre, me semble-t-il, que la métaphore de l’observation. Le début de la phrase voudrait alors simplement dire que « ses observations le portent à observer les comportements… », ce qui n’a guère de sens. Fort harmonieusement, la suite n’en a pas davantage : les insectes ont un monde, tandis que les hommes n’ont que des comportements (et non l’inverse) ; comment davantage faire l’impasse sur la parole ?). Maniant sans crainte l’obscénité et le sublime (je ne vois pas le rapport avec l’entomologie), Jan Fabre combat avec l’art, contre les conventions (l’art étant avant tout convention, on peut déduire que Fabre combat avec l’art contre l’art : c’est, si j’ose dire, un artiste à somme nulle. Un zéro, quoi.). Parfois proche du carnaval ou des mystères du Moyen-Âge, son théâtre (ah, on parle de théâtre…) est une vigoureuse entreprise de libération (de libération de quoi, au juste ? et quel rapport avec les mystères médiévaux ?) où le corps et l’acteur (tiens, ils sont séparés) mènent la danse (monsieur est chorégraphe) tandis que la scène (tiens, la scène n’est pas située dans le même espace que le corps et l’acteur, séparés eux aussi, qui mènent la danse) est un champ de bataille où se côtoient différents éléments duels (notez que les élément duels se côtoient, et ne s’affrontent pas : ce qui contredit l’idée de champ de bataille). Ordre et chaos, règle et transgression, séduction et dérision, immobilité et mouvement, mondes nocturnes et diurnes (le jour et la nuit, quoi. Que d’inventions ! Quelle avant-garde !).

    Dès 1982, avec C’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir puis Le Pouvoir des folies théâtrales (1984), à l’écart de tout effet de distanciation (« à l’écart », et non pas « sans », implique qu’il y a bien un effet de distanciation quelque part, mais que l’artiste s’en tient, justement, à distance : en somme il distancie la distanciation : Fabre, c’est Brecht au carré), il met en scène cet univers singulier (?), saturé d’intensité (ça veut dire qu’on ne comprend rien, je crois,), en constante résonance charnelle (ça ne veut rien dire : résonance charnelle). Désir, violence, cris, pleurs, érotisme, (toujours pas de parole) cette dramaturgie de la démesure se développe de pièce en pièce (il a un grand appartement, Jan Fabre) cherchant à déjouer, voire pulvériser les normes afin de mettre à jour les désastres (pourquoi ? ils ne sont pas à jour les désastres ? ils sont en retard ? Ou vouliez-vous dire « mettre au jour » ? D’un autre côté, il se peut que le désastre ne consiste en rien d’autre que dans la pulvérisation des normes. C’est donc le théâtre de Fabre qui est un désastre), les effrois de la condition humaine (l’effroi est muet, comme on sait : toujours pas de parole). Dans As long as the world needs a warrior’s soul, pièce consacrée aux poètes des révolutions, Jan Fabre revisite les utopies (ça a l’air d’aller de soi, mais ça ne veut rien dire : quand les avait-il visitées la première fois, ces utopies ? Est-ce que ça se visite comme le Louvre, une utopie ?). Dans Parrots and Guinea Pigs, spectacle conçu comme un laboratoire des sens (ça ne veut rien dire non plus, laboratoire des sens), le metteur en scène qui voue au scarabée un véritable culte (il est débile léger, Jan Fabre ? ou bien il a le compteur bloqué sur les Beatles ?), développe un délirant  bestiaire (comment développe-t-on un bestiaire, même délirant ?) où le jeu entre hommes et animaux traite de ce que l’humain a perdu sous l’influence des sciences et des nouvelles technologies (il a perdu quoi, au juste ?), (de) ce que peut-être l’animal sait encore de l’organique (l’humain perd, mais l’animal sait, ouf, nous sommes sauvés, vite, donnons des droits aux animaux).

    Aujourd’hui, toujours privilégiant cette plastique de la saturation (de quoi ?), du dérèglement (de quoi ? Et qu’est-ce que c’est, une plastique de la saturation et du dérèglement ?), qui fait la marque (déposée ?) de ses spectacles (notez que la plastique fait la marque), Jan Fabre a gardé intacts son humour (tant mieux pour lui) et la fièvre de ses visions (ce sont ses visions qui ont la fièvre, pas lui). Il se dit heureux (on est content pour lui) d’avoir créé un monde palpitant (pas du tout complaisant, ça…) qui abrite (c’est la fonction du monde, d’abriter ?) ces “guerriers de la beauté” (ça claque !) que sont les interprètes (moi aussi, je rêve d’un monde qui palpite en abritant des guerriers qui sont encore autre chose), pour lesquels il écrit aussi des monologues de théâtre et des solos de danse (et des images, il en écrit aussi, avec son scalpel ? Mais pas de recettes de cuisine, non ?).

    En témoigne Elle était et elle est, même, pièce créée pour son actrice fétiche et muse Els Deceukelier (virgule) dont le titre se réfère à la machine de La mariée mise à nu par ses célibataires, même de Marcel Duchamp (cent ans d’avant-garde pour Marcel !).

    La beauté sauvage de la démarche (fourrure de clous et carapace en guise de jambes, souvenez-vous) de l’artiste flamand (toujours pas belge, donc) reste proche des jeux de l’enfance (de la toute petite enfance, pipi, caca, aga, aga), dans un espace particulier (un parc pour bébé ?) où le rêve et le geste de la création (dans l’ »espace particulier », donc) ont conservé quelque chose (on ne peut sans doute pas être plus précis) de l’esprit de la Renaissance (de la Rechute, comme disait Chesterton. Cette phrase ne veut rien dire : La beauté de la démarche de J. F. reste proche des jeux de l’enfance dans un espace où rêve et geste gardent un truc de l’esprit de la Renaissance. Aucun sens). L’idée d’un homme qui, à travers différents langages, poésie, peinture, danse, théâtre (ce sont des arts, pas des langages ; les gens qui ne veulent plus de la langue voient des langages partout), “cherche et trouve l’univers dans la simple exploration de sa propre singularité” (il lit dans ses propres entrailles ? il dissèque son caca ? On dirait le Devin, dans Astérix. Un charlatan, quoi. D’autant que, si je lis bien la phrase, Jan Fabre n’est pas un homme, il est l’idée d’un homme. Une manière d’essence supérieure, quoi). Ainsi les pièces de Jan Fabre sont-elles empreintes, au-delà de l’excès (il y a quoi, au-delà de l’excès ? la mort ?), d’une profonde tendresse envers l’humain (non mais, quel coquin, ce Jan Fabre).

     

     

     

    Conclusion : Il est possible de défendre Jan Fabre : en disant n’importe quoi.




     

  • Le régime des mollasses

    Cette interview ne paraîtra pas. Et pour cause, c’est moi qui l’ai faite. Non pourtant sans m’inspirer de conversations bien réelles ayant eu lieu à l’issue des premières représentations de Pour une Culutre citoyenne ! spectacle qui n’a à cette heure sombre été donné, c’est-à-dire : vendu, que deux fois et dont voici l’illustration phare (photo du décor de la dernière scène : Les dévotions modernes) :

     

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    – Pensez-vous qu’en France, les artistes sont muselés ?

    – C’est idiot ce que vous dites.

    – Mais vous-même, vous n’êtes pas du tout connu…

    – Et alors ? Je ne suis pas paranoïaque. Et connu de qui, d’ailleurs ?

      Donc, vous ne pensez vraiment pas qu’en France, des artistes sont muselés ?

    – Non, non. Pourquoi voulez-vous que je dise ça ? Je ne crois pas que les artistes soient muselés. En même temps, un artiste muselé, on ne peut pas savoir qu’il existe. On ne peut pas promouvoir des gens en disant qu’ils sont muselés, tout de même. Enfin, si, de nos jours, on peut…

    – Mais vous, personnellement, vous n’avez jamais rencontré d’artiste muselé, n’est-ce pas ?

    – Jamais, non, en effet.

    – Donc, il n’y a pas de problème.

    – En effet ; et : pas de problème, pas d’artiste. Disons que s’il y a un problème, il n’est pas là.

    – Ah ? Et où est-il alors ?

    – Le problème, c’est que je ne rencontre que des artistes serviles*. Alors, muselés ou serviles, de toute façon, on ne les entend pas. Et voilà pourquoi votre culture est muette.

    – En somme, on n’entend pas du tout d’artistes en France ? Et vous dites que vous n’êtes pas parano… Mais pourquoi ces artistes, serviles selon vous, ne les entend-on pas ?

    – On les entend partout, bien sûr. Mais ce ne sont pas eux qui parlent. Ils sont parlés. Littéralement. En d’autres temps, on eût dit qu’ils sont possédés.

    – Au sens… comment dire ? religieux, c’est ça ?...

    – Au sens « religieux » si vous voulez. Ou au sens des « envoûtements » d’Artaud, ça fera plus référence culturelle clean. Mais ça marche également au sens « libéral » : ils sont la possession d’un autre, et ne parlent jamais qu’en son nom.

    – L’Etat ?

    – L’Etat d’une part. Le Marché d’autre part.

    – Mais les artistes que nous suivons ne cessent pas de critiquer l’Etat, le Marché…

    – Dont ils vivent. Bien sûr. Pour l’Etat, cela rentre dans le cadre du Suicide national qui a pour nom « démocratisation ». Quant au Marché, celui-ci sait bien que rien ne se vend comme sa contestation.

    – Vous maintenez qu’en France, on n’entend pas d’artistes ?

    – Je maintiens que ceux qu’on entend ne sont ordinairement pas des artistes.

    – Mais alors, que faites-vous dans ce système ? Puisqu’enfin vous y êtes.

    – Je gagne ma vie. Fort malhonnêtement, j’en conviens. Je me contrefous d’être artiste.

    – Mais si demain, tout à coup, vous étiez reconnu ?

    – Par qui ?

    – Mais par les institutions, non ?

    – Vous avez raison. Tout le système culturel français a été construit pour couper les « artistes » du public. Le public est une donnée statistique, c’est tout. Plus, c’est bien ; moins, c’est mal. Un artiste, lui, est reconnu par des experts. Experts en quoi ? Il y a un petit milieu de technocrates et de directeurs de salles, les diffuseurs d’ambiance comme je les appelle, qui décide en somme de qui est artiste (et à qui on file du pognon) et de qui ne l’est pas (et à qui on ne file pas de pognon) ; au mépris du public. Je me fous des quantités, comprenez. Le public, dans le système culturel d’Etat, ne sait jamais exactement ce qu’il va voir. Il va voir parce qu’il est abonné au boui-boui culturel du coin (ça vaut également pour Paris). Lequel boui-boui trouve généralement « citoyen » de lui présenter des trucs insupportables pour « lui faire découvrir de nouveaux univers, etc. ». Je ne comprends pas que les gens aillent encore au théâtre.

    – Vous n’y allez pas, vous ?

      Le moins possible. L’autre jour, je devais aller au théâtre. En même temps, il y avait La Mort aux trousses, d’Hitchcock, à la télé. J’ai hésité. Mais j’y suis allé. C’est mon métier. Mais vraiment, je ne comprends pas que les gens y aillent encore. Il n’y a plus que des gens de notre chômeuse profession, des enseignants pédagogistes et leurs hordes d’analphabètes à diplômer vite fait, quelques bobos avertis genre architectes ou psychanalystes etc. pour y aller. Toujours les mêmes paroissiens.

    – Vous déconnez, non ?

    – Pas le moins du monde. Comme me le disait un ami professeur de lettres classiques : « On se fout de ma gueule dans la programmation mais, pour compenser, on me lèche le cul pour que je revienne. »

    – Mais pourquoi vous continuez à faire de la mise en scène, alors ?

    – Travail alimentaire. N’en déduisez pas que pour autant je n’essaie pas de le faire « bien », quoique cela veuille dire. Je fais ce qu’on me demande, selon les critères du jour… Ce qui m’intéresse, c’est d’écrire du théâtre.

    – Et vous croyez que ça va marcher ?

    – Quoi ? D’écrire du théâtre, ou de le mettre en scène ? Pour écrire, je n’ai besoin que d’un papier et un crayon.

    – Vous ne demandez pas de bourses d’écriture à l’Etat ?

    – Non. Je ne veux pas d’argent de l’Etat pour écrire. C’est la plus grande infamie des auteurs dramatiques que de vouloir être pris en charge par l’Etat. Non seulement ces tocards se suicident (ce qui est tout de même plutôt bienvenu), mais en plus ils assassinent le théâtre (ce qui est très encouragé par l’Etat, justement).

    – Mais vous, vous pensez quoi, de votre spectacle ? **

    – Ca marche assez bien avec le public. Il rit. Il apprend deux ou trois choses aussi sur l’envers de ce qui lui est présenté et les raisons pour lesquelles c’est cela, toute cette sous-culture de merde, qui lui est présenté. Mais ce sont les petits diffuseurs d’ambiance, justement, qui font barrage. C’est leur job, en effet. Mettre des imbéciles aux postes charnières est une des grandes inventions suicidaires et efficaces de l’administration française, que le monde entier nous envie, d’ailleurs… Un spectacle comme celui-ci, Pour une Culutre citoyenne ! fait assez rire le public : il rit du milieu culturel tel que je l’étale là. Mais le diffuseur d’ambiance, s’il prend bonne note de l’adhésion du public, note aussi que mon spectacle se moque du reste de sa programmation, et en définitive : de lui-même. Donc… 

    – Donc ?

    – Donc : « Pas de couilles, pas d’embrouille » comme dit le principe de précaution. Et il achète autre chose, un spectacle poétique, incitant à la rêverie, et politiquement engagé, c’est-à-dire anti-théâtral. Un truc avec de la vidéo abstraite, des marionnettes informes et une danseuse vieillissante qui en surplus de son cursus académique a étudié trois semaines avec un grand maître d’Asie.

    – Je passe sur vos provocations, mais pourquoi politiquement engagé serait-il synonyme d’anti-théâtral ?

    – Je parle du politiquement engagé d’aujourd’hui. Une opinion affirmée tout unilatéralement, avec au mieux un contradicteur fantoche et passablement abruti ou salopard, selon le degré de pouvoir qu’il détient, selon en somme qu’il est « beauf » ou « patron ». Le théâtre engagé est aujourd’hui pure propagande. Il n’est pas engagé au sens juste, qui est selon moi celui-ci : engagé à dire son époque. L’auteur a déjà tout jugé avant : et il récite son Libé ou son Monde diplo. Sans intérêt.

    – Mais les grands spectacles subversifs à scandale, comme ceux de Jan Fabre ou autres ?

    – C’est le théâtre de patronage d’aujourd’hui. On « patrone » pour la subversion, qui est notre nouvelle norme, c’est tout. Aucun sens là-dedans. A contrario, on trouve évidemment Anouilh ringard, par exemple. Giraudoux et Montherlant aussi, d’ailleurs. Il faut dire que faire caca sur scène en 2005 est incomparablement plus subversif que faire représenter Antigone en 1944. Bien sûr.

     

     

    J’ai assez ri comme ça. Peut-être poursuivrai-je un autre soir…

     

     

     

     

     

    *  Difficile de savoir, en pareille époque, si « artiste servile » relève de l’oxymore ou de la tautologie.

     

    ** Je jure qu’on me l’a réellement posée, celle-là, et en ces termes mêmes, à l’issue du spectacle ; et que le gars qui l’a posée n’aurait pas dû le faire, non pas à cause de ma réponse, mais du fait de sa fonction…