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amour - Page 10

  • Un sacré paquet de merde

     

     

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    ELLE. – Tu te trouves plus intelligent que tout le monde ?

     

    LUI. – Non, seulement plus embarrassé.

     

    ELLE. – Qu’est-ce que tu veux dire ?

     

    LUI. – Je ne suis pas très certain que ce monde s’embarrasse beaucoup de la réalité.

     

    ELLE. – Maintenant, je sais.

     

    LUI. – Tu sais quoi ?

     

    ELLE. – Pourquoi je ne te demande pas si tu m’aimes. C’est pour ne pas voir ton embarras.

     

     

    Bref, l’amour aussi est un sacré paquet de merde. Bonne année quand même.

     

     

     

     

     

  • Pause

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il a cessé de courir, brutalement. Et comme les chimères qu’il courait, elles, n’ont pas cessé, elles se sont éloignées de lui le plus simplement du monde. Oh, sans doute pas pour longtemps, il le sait. S’il le pouvait, il se retirerait volontiers de la ville et de ses saloperies et il irait vivre au milieu des arbres et sous la flotte, dans une longue maison de plain-pied, en compagnie des quelques personnes qui lui font, chaque jour, l’honneur de partager sa vie. Là, par exemple, calfeutré dans le manteau du temps, il lirait chaque matin un beau morceau de Bible et prendrait le temps, après chaque déjeuner, de fumer sur son banc de très gros cigares, ouais. Et il irait à la chasse. Et tout ça. Mais il sait bien qu’il y a la réalité et qu’il ne va pas faire ça ; non plus que plaquer tout pour aller livrer je ne sais où une très probable guerre et crever en pissant le sang. Le plus certain est qu’il reste là, toujours plus écartelé par ses contradictions chéries, mais pourrissant de compromis variés, sourd de douleur, insupportable à qui l’aime et trahissant tout ce qu’il peut. Mais vous avez compris : il est déjà reparti à courir. Du coup, cette nouvelle est trop longue.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Altruisme

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il regarda sa gueule dans le miroir et se demanda combien de fois déjà il avait vécu ça et si ça arriverait encore. C’est après seulement qu’il avait été bien écrasé par la pression énorme et lente de ce monde, et tout au bord de maintenant mourir, qu’il se sentait enfin en vie, et prêt à en découdre avec la terre entière, pas tant pour survivre que pour le plaisir enfantin, cruel de la bagarre. Puis il colla au ralenti son poing droit dans le miroir, visant le reflet de sa mâchoire, et appuyant un peu son geste vers la fin, étoila durablement cette image de lui-même. Abîmé, le miroir resta collé au mur. Il se dit que c’était là peut-être la seule œuvre d’art qu’il ferait jamais, que personne n’en pourrait rien savoir et que c’était bien mieux ainsi. Puis il pensa soudain à ce que sa femme lui dirait au soir de l’état du miroir et partit tout seul d’un bon rire. Ne fallait-il pas, après tout, que la violence demeurât son amour ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Mauvaise paix

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il a levé le nez de son café et il l’a regardée. Puis il a prononcé, assez lentement, la phrase qui s’était formée dans son cerveau. Et il l’a regardée la recevoir. Et, pour ainsi dire, il a vu la phrase exploser dans sa tête. Il a regardé ses yeux s’embuer et admiré l’effort qu’elle faisait pour retenir les larmes. Puis il a repris, par gentillesse, la conversation anodine qu’ils tenaient jusque là. C’est bien plus tard qu’il a compris qu’il s’était aussi fait mal. Mais il a bien failli, une fois encore, ne pas s’en apercevoir. – Mais elle, tu l’aimes ? C’est le genre de questions auxquelles, sincèrement, il n’a jamais eu de réponse. Du coup, il a plutôt tendance à dire oui. Pour avoir la paix.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Une lettre du salon

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    C’est un soir.

    Voici ce qu’il écrit sous la lampe :

     

    Mon amour. Est-ce que tu sais que je ne suis plus là que par devoir ? J’allais dire par fidélité, mais non. Est-ce que tu sais que Dieu seul, ou bien l’idée de Dieu, puisque tu préfères, m’empêche de me passer par la fenêtre ? Est-ce que tu as remarqué qu’il y a longtemps, je suis mort. Te souviens-tu que nous nous sommes aimés ? J’ai passé sur moi-même comme une armée en marche. J’ai écrabouillé longtemps le désir sous ma botte, il a salement couiné avant de crever d’un coup. J’ai mis toute ma force à cela, les dents serrées, sans ménager ces larmes qui n’auront pas coulé, et j’étais plutôt fort, je trouve. Je me suis abruti de fatigue jusqu’à ce qu’il n’y ait plus même de fatigue. J’ai bien calmé la brute, et l’ai exterminée toute, même. Quand j’avais peur, vois-tu, je n’avais peur de rien. Je passais par-dessus. Les filles me giflaient pour un mot. Les types ne me cassaient même pas la gueule. J’étais un western ambulant. Un bloc compact de violence. J’étais remuant, je tenais tête à tout, j’allais plutôt mal, j’enjambais les préliminaires et vomissais les conclusions. Cela me semble les souvenirs d’un autre. Je passais ma main dans tes cheveux. Tu souriais. Et comment dire ? Nous avions le temps de cela, oui. J’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs années avec toi, corps emmêlés sur ce parquet. (Tu vois, ce n’est pas vraiment une lettre, plutôt une chanson populaire mal foutue.) Et maintenant je suis là, dans ce salon aux couleurs chaudes, à noter sur des feuilles ces pauvres phrases et toi, quand je relève le nez, je te vois. Tu es là, toute jolie, tellement loin, en train de regarder un magazine. Aucun mot ce soir ne franchira mes lèvres, aucun rire. La musique que tu as choisie, pas seulement écoutée, de sa dégradation en ambiance meublera le silence. Il ne fait pas mauvais ici ; bien au contraire, même. Il y a des choses à faire. J’ai l’impression de voir tout cela de très loin, comme l’enfant qui tient à l’envers la longue-vue. La mort ne viendra pas vraiment. Seulement la douleur. Le corps qui hurle. Et sur lequel il faut encore marcher. Pour achever le travail. Je vais bien.

     

    Il pose son stylo, se lève, ramasse difficilement un jouet d’enfant, le range, se rassied, pose les mains bien à plat sur la table et demeure immobile.

    Il prend la feuille, la chiffonne, la lance négligemment dans la poubelle. Puis quitte la pièce en claudiquant légèrement.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un contrepoint romantique : Raison garder.