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Scènes - Page 15

  • Je suis un phantasme

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    Formation :

    – Ne mens que lorsque c’est inutile.

    – Expliquez-moi.

    – Non.

     

    Il a mis très longtemps à comprendre.

    Et d’abord il a compris des choses fausses.

    Et ce qu’il a aujourd’hui compris ne l’est sans doute pas moins.

     

    Il a maintenant un éventail de réponses.

     

     

     

    Un ami :

    – Tu sais ce que c’est, ton problème ?

    – Non. Mais je sens que tu vas m’éclairer.

    – C’est que tu es beaucoup trop intelligent.

    – Ça, ce serait plutôt ton problème avec moi, non ?

    – Connard.

     

    Il n’aime pas le pouvoir ; et son intelligence doit demeurer inemployée.

     

     

     

    Personne ne triche autant que celui qui croit pouvoir, de ce qu’il pense de lui et de ce qu’on dit de lui, se connaître ; et devient ainsi à lui-même son phantasme, finissant même par imaginer ce qu’on eût dit, en son absence, de lui. Combien de romans ?

     

     

     

    En son absence, donc :

    – C’est un garçon auquel il n’est pas difficile de comprendre l’adversaire.

    Le nombre de nos motivations est extrêmement limité.

    – Demandez-lui d’écrire des rapports, alors.

    – Nous l’avons fait. Ils sont très simples. Mais nous les lisons mal.

    – Et dans l’action ?

    – Ou il désarme l’adversaire comme on retire à un enfant son jouet ; ou il prend toute la charge pleine gueule.

    – Et dans le second cas ?

    – Eh bien, il s’en fout.

    – Il s’en fout vraiment, ou bien est-ce affecté ?

    – Je ne sais pas.

    – De toute façon, ça revient au même.

    – Oui.

    – Bloquez-le dans des tâches subalternes. Humiliez-le doucement.

     

    Ceci est un autoportrait triché.

     

    Par exemple, il ne contient pas de dialogue avec des femmes.

    J’ai déjà donné.

     

     

     

     

     

     

     

  • Une lettre du salon

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    C’est un soir.

    Voici ce qu’il écrit sous la lampe :

     

    Mon amour. Est-ce que tu sais que je ne suis plus là que par devoir ? J’allais dire par fidélité, mais non. Est-ce que tu sais que Dieu seul, ou bien l’idée de Dieu, puisque tu préfères, m’empêche de me passer par la fenêtre ? Est-ce que tu as remarqué qu’il y a longtemps, je suis mort. Te souviens-tu que nous nous sommes aimés ? J’ai passé sur moi-même comme une armée en marche. J’ai écrabouillé longtemps le désir sous ma botte, il a salement couiné avant de crever d’un coup. J’ai mis toute ma force à cela, les dents serrées, sans ménager ces larmes qui n’auront pas coulé, et j’étais plutôt fort, je trouve. Je me suis abruti de fatigue jusqu’à ce qu’il n’y ait plus même de fatigue. J’ai bien calmé la brute, et l’ai exterminée toute, même. Quand j’avais peur, vois-tu, je n’avais peur de rien. Je passais par-dessus. Les filles me giflaient pour un mot. Les types ne me cassaient même pas la gueule. J’étais un western ambulant. Un bloc compact de violence. J’étais remuant, je tenais tête à tout, j’allais plutôt mal, j’enjambais les préliminaires et vomissais les conclusions. Cela me semble les souvenirs d’un autre. Je passais ma main dans tes cheveux. Tu souriais. Et comment dire ? Nous avions le temps de cela, oui. J’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs années avec toi, corps emmêlés sur ce parquet. (Tu vois, ce n’est pas vraiment une lettre, plutôt une chanson populaire mal foutue.) Et maintenant je suis là, dans ce salon aux couleurs chaudes, à noter sur des feuilles ces pauvres phrases et toi, quand je relève le nez, je te vois. Tu es là, toute jolie, tellement loin, en train de regarder un magazine. Aucun mot ce soir ne franchira mes lèvres, aucun rire. La musique que tu as choisie, pas seulement écoutée, de sa dégradation en ambiance meublera le silence. Il ne fait pas mauvais ici ; bien au contraire, même. Il y a des choses à faire. J’ai l’impression de voir tout cela de très loin, comme l’enfant qui tient à l’envers la longue-vue. La mort ne viendra pas vraiment. Seulement la douleur. Le corps qui hurle. Et sur lequel il faut encore marcher. Pour achever le travail. Je vais bien.

     

    Il pose son stylo, se lève, ramasse difficilement un jouet d’enfant, le range, se rassied, pose les mains bien à plat sur la table et demeure immobile.

    Il prend la feuille, la chiffonne, la lance négligemment dans la poubelle. Puis quitte la pièce en claudiquant légèrement.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un contrepoint romantique : Raison garder.

     

  • Le jeu des violettes (3)

    Nature morte aux 3 crânes. Cézanne.jpg

    Bien. Tout le monde s’est évidemment précipité sur les violettes, sur leur couleur. Figurez-vous que le problème n’est pas du tout celui de la couleur des violettes ; le problème – relisez bien – est plutôt de savoir ce que c’est qu’un dialogue, non ?

     

     

     

     

     

     

     

     

    – Le dialogue est peut-être la forme d’écrire la mieux à même de dissimuler l’opinion de l’auteur.

    – Mais la détruit-elle pour autant ?

    – Peut-être ; si l’auteur prend soin de ne placer son opinion dans aucune de celles que ses dialogues expriment.

    – J’objecterai que plus le dialogue est long, étendu parfois même à plusieurs ouvrages, plus le nombre des opinions exprimées tend à cerner celle qui ne l’est pas.

    – Et que seul le lecteur exprime ; mais n’est-elle pas plutôt la sienne, alors ? Car quoi dit que seule une opinion n’était pas exprimée ? Ou que l’auteur en avait une – qui sait ?

    – Oui. Sans compter que l’opinion éventuelle de l’auteur, pas si fixée dans le temps peut-être, il l’aura avec plus ou moins de conscience et de volonté disséminée dans ses dialogues, et que les contradictions mêmes de ses interlocuteurs fictifs ne sont pas nécessairement les indices de cela, mais ceux de la connaissance de la nature humaine de l’auteur.

    – Il faut donc que les opinions de l’auteur n’aient aucun intérêt pour le lecteur.

    – Importe seulement, au fond, cela dont il parle.

    – Mais il parle de la couleur des violettes !

    – Merde à la fin.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Les âneries sont ouvertes.)