Vanité aux livres, de Paul Magendie (1)
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Vanité aux livres, de Paul Magendie (1)
Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs qu’il ne pensait pas à fumer plantée à la gueule.
Un jour, je n’y tenais plus, j’avais descendu les trois marches du perron à la main une bouteille et deux verres et je m’étais assis à côté de lui.
Qu’est-ce que tu fais, mon vieux ?
J’ai rempli les deux verres dans son silence.
Poème.
Il a dit ça, pas fort du tout, ou bien c’est ce que j’ai entendu.
Eh bien, écris-les sur du papier tes poèmes et je les ferai circuler.
Il avait alors comme chassé une mouche.
Je crois bien que je l’emmerdais et qu’il se serait levé s’il lui était resté plus d’une jambe.
Pas des poèmes, un.
Ça m’avait laissé coi.
Mon verre était fini et il n’avait pas touché au sien.
Un seul poème ?
Il avait comme encore chassé une mouche.
J’ai allumé une cigarette en regardant la sienne toujours immobile au coin de ses lèvres.
Merde, et il raconte quoi ?
Il n’a pas chassé de mouche cette fois-là, il a seulement fait une sorte de moulinet pas fini qui semblait vouloir pourtant prendre tout avec lui.
Ça n’était sans doute pas un poème pour les trous du cul de la ville ni pour les bouseux de la cambrousse.
Ce jour-là, j’avais donc bu pour nous deux la bouteille et grillé plusieurs clopes tandis que la sienne demeurait immuable. Puis le silence des jours était revenu comme chez lui.
Dans sa chambre, quand plus tard je l’ai débarrassée, j’ai trouvé des tas de documents sur la guerre depuis en gros qu’on s’en souvient. Et d’autres malles encore que j’ai refusé d’ouvrir avant de les foutre au feu.
Il avait toujours un peu fait ça, finalement, ne rien faire et chauffer au soleil sur son banc une maïs plantée à la gueule, mais dernièrement il ne faisait pour ainsi dire plus que ça.
Il avait l’air de ne rien faire, mais si on regardait bien, on pouvait deviner qu’il était sur trop de fronts à la fois. Mais je dis ça après coup.
A un moment, il a juste basculé lentement sur le banc.
Il avait pile soixante piges. Je l’ai fait enterrer avec son vieux bouquin tout annoté de la guerre du Péloponnèse.
Je crois qu’il faisait un poème pour les soldats qui ont bien raison de ne rien lire, alors à quoi bon écrire même une broque, hein.
Après, il n’y a plus eu qu’à vendre la maison à un connard qui l’a rasée peu après.
Bien sûr, tout l’intérêt de ce texte tient dans l’étrange emploi qu’il fait des temps du passé.