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Acte du Procès de l'Homme

C’est une pièce de théâtre. En voici les personnages :

 

La Justice.

La Miséricorde.

La Conscience.

L’Ange gardien.

L’Homme.

Lucifer.

Le Monde.

La Chair.

 

L’auteur de la pièce est inconnu. Un espagnol du XVI° siècle.

Quant au texte, il ne fait guère plus d’une dizaine de pages. Dans l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade, du moins. On la trouve dans le volume titré Théâtre espagnol du XVI° siècle. Elle est traduite par Jean Canavaggio.

 

La pièce appartient à un recueil d’autos anciens, dont en notice Canavaggio nous dit ceci :

 

« Entre les rares débats liturgiques que nous a légués le Moyen Age castillan, et l’auto sacramental qui s’épanouira au Siècle d’or, l’Espagne de la seconde moitié du XVI° siècle voit fleurir un théâtre religieux abondant, mais de qualité inégale, et partagé, semble-t-il, entre des courants divers. Le vestige le plus important de cette production mal connue est un recueil de pièces anonymes en un acte, communément appelé Codice de autos viejos de la Biblioteca nacional de Madrid. »

 

Quatre-vingt seize pièces au total, cinquante mille vers.

De ces autos anciens, trois sont publiés par la Pléiade : L’auto du sacrifice d’Abraham, L’auto du martyre de sainte Barbe et L’auto du Procès de l’Homme.

(Je voudrais simplement préciser ici que je ne comprends pas le refus des spécialistes et traducteurs de rendre le terme auto par celui d’acte. Un auto da fe, qu’on brûle ou non des livres, est un acte de foi. L’idée d’acte, comme chacun sait, n’est pas étrangère au théâtre ; celle d’acteur encore moins, etc. Le Dictionnaire dramatique de La Porte et Chamfort (1776) consacre d’ailleurs une belle page à ces « Drames Saints » que sont les Actes sacramentaux.

Je me suis donc permis de rétablir ici, au moins dans le titre de ce billet, le mot acte. )

Voici la notice à L’Acte du Procès de l’Homme, toujours par Jean Canavaggio :

 

« L’auto de la Residencia del hombre est une version développée d’une farsa sacramental du même titre, également incluse dans le recueil édité par Léo Rouannet. A la différence des deux autos précédents, cette pièce est indépendante de tout support historique ou légendaire. Son caractère allégorique apparaît d’emblée, tant sous les espèces de personnages qui sont des entités abstraites, qu’à travers un symbolisme juridique qui s’affirme dès le titre de l’œuvre et se manifeste dans les moindres détails jusqu’à la sentence finale. (La Residencia était, dans l’ancienne Espagne, le compte-rendu qu’était tenu de faire un juge de l’administration de sa charge). Le didactisme qui en résulte ralentit sans aucun doute la progression dramatique. Seules, les ressources du parler quotidien confèrent un certain relief aux interventions de l’homme, tout en faisant coïncider la hiérarchie morale des justes et des pécheurs avec la hiérarchie sociale et culturelle des juges et des accusés.

Selon Rouannet, le sujet de cet auto dérive d’un débat célèbre dans toutes les littératures du Moyen Age, qui met en scène la damnation de l’homme et sa rédemption. Il est connu en France sous le nom de Procès du Paradis. C’est à cette tradition (dont procèdent d’autres pièces du recueil) que l’auteur aurait emprunté le symbolisme de l’intrigue, ainsi que les figures de l’homme, de la Justice, de la Miséricorde et de Dieu le Père. Quant à la trilogie classique des trois inséparables ennemis du genre humain – le Monde, la Chair et le Démon – il s’agit d’un lieu commun du drame liturgique européen.

 En dépit de cette filiation, l’originalité de cette pièce mérite d’être soulignée. Contrairement à ce qui se passait dans le débat médiéval, l’accusateur de l’homme n’est pas ici le diable, mais la Conscience ; quant à son défenseur, ce n’est plus la Vierge, mais l’ange gardien. De leur côté, Lucifer, le Monde et la Chair n’interviennent qu’à titre de témoins. Cette réélaboration du schéma primitif correspond à une évolution capitale : en effet, le thème central de l’auto n’est plus le péché originel, mais le péché en général qui, à la différence du précédent, peut être effacé par la contrition et la pénitence. A l’exaltation de l’Incarnation et de la Rédemption se substitue dès lors celle de l’Eucharistie, à quoi tend toute l’action dramatique et qui en constitue l’aboutissement. En ce sens, cette pièce sacramentelle destinée à la célébration de la Fête-Dieu illustre parfaitement, au sein du Codice de autos viejos, la recherche encore tâtonnante d’une formule dont l’auto caldéronien représentera la transfiguration. »

 

Je vais maintenant essayer de découper en scènes ces dix pages, afin de vous en conter l’édifiante (au sens propre, merci) histoire :

 

1. (C’est le jour de la Fête-Dieu, n’oublions pas.) D’abord, Justice et Miséricorde entrent (en chantant). C’est une scène d’exposition. Justice et Miséricorde annoncent qu’elles jugeront l’Homme, Justice qu’elle sera inflexible et Miséricorde… miséricordieuse.

 

2. Ensuite, viennent l’Homme, la Conscience et l’Ange gardien. Dispute. L’Homme ne veut pas écouter ces deux filles-là, entend n’en faire qu’à sa tête. Dieu a lui donné le libre-arbitre, aussi n’est-ce pas leur volonté (à elles) qu’il veut accomplir, mais la sienne. « Je veux me divertir tout le temps que je vivrai (…). » Conscience décide de porter plainte, s’en va, laissant avec l’Homme l’Ange gardien qui se doit de lui demeurer attaché.

(Note 1. Cette scène nécessite que la scène même – le plateau – figure un autre espace, et que les personnages Justice et Miséricorde n’y soient pas ; ou y soient comme n’y étant pas.)

 

3. Conscience arrive au tribunal de la Justice. Elle est entendue par Justice et Miséricorde. Qui après examen, acceptent de juger l’Homme. Conscience part quérir l’Homme, tandis que Justice et Miséricorde discutent de la volonté de Dieu.

 

4. Retour de Conscience, tenant l’Homme au collet, et accompagnée de l’Ange gardien. Ils s’acheminent vers le tribunal (voire note 1). Après que l’Homme promet de s’y rendre Conscience s’avise de les devancer afin d’y préparer l’exposé de ses griefs.

 

5. L’Homme immédiatement entre au tribunal où déjà tout est prêt pour le jugement. Conscience accuse. L’Homme prend son Ange gardien pour avocat. Conscience demande à entendre trois témoins : La Chair, le Monde et Lucifer (et sort immédiatement les chercher). L’Homme s’indigne du procédé, l’Ange demande aux juges qu’il considère que les témoins ne sont pas dignes de foi (« ce sont les péchés en personne ! »).

 

6. Retour de Conscience accompagnée des trois affreux. Ils vont vers le tribunal (voir note 1). Conscience derechef (elle est vraiment très motivée) décide de les devancer. Plan de bataille de Lucifer pour faire condamner l’Homme.

 

7. Dans la foulée (aucune séparation formelle : les trois sont entrés au tribunal, qui statue illico) la Conscience présente ses témoins. Lucifer dit qu’il veut seulement dire la vérité. L’Ange gardien dit des trois témoins qu’ils sont en réalité complices et coaccusés. La Conscience justifie son choix. Sous couvert de dire la vérité, Lucifer charge l’Homme qui selon lui, refuse d’aimer Dieu et constamment L’offense. Le Monde enfonce le clou (si je puis dire) : orgueil, cupidité, vanité, avarice. La Chair en remet une couche (métaphore non filée) côté dépravations, débauches, etc. L’Ange gardien supplie l’Homme de s’amender. L’Homme hésite (et négocie) : « si je me confesse sur le champ (…), annulera-t-on ce procès de mes fautes et de mes erreurs ? ». L’Ange répond que oui. Confession « sincère » de l’Homme. Promesses. Miséricorde, en somme, demande que cesse la rigueur.

 

8. Sentence (seule vraie séparation formelle dans le corps de l’Acte). Justice prononce que L’Homme, grâce à sa confession, « a part à la gloire divine, qu’il mérité le pardon de sa désobéissance et qu’il peut désormais entrer en grâce. » Il est certes absous d’une « juste accusation », mais Conscience est exhortée « à le harceler, l’instruire et le persuader sans cesse ». L’Homme accepte la sentence, promet de l’observer, file faire la fête (puisque c’est la Fête-Dieu).

 

La pièce est finie.

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