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debord - Page 3

  • Tragédie, farce (1), par Stéphanie M.

     

     

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    0. Préface pour plus tard

     

    C’est par pitié que j’écris. J’ECRIS PAR PITIE. Au point paradoxal de retournement du mépris. Là exactement où ce qui doit être adressé aux pitoyables est lui-même nécessairement impitoyable et prend le nom glorieux de Pitié, donc. TOUT EST A MERCY, donc.

    Je n’ai pas vraiment voulu ce qui suit, que j’avais idiotement commencé en anglais. La ville par la fenêtre, c’est un morceau cubique noir de New York (que j’ai quittée) sous un ciel bleu acier. Les personnages sont Lui, Elle, et Moi (hélas). Il y a mon histoire finie avec un homme marié, et le souvenir d’un enfant mort (le sien). Après coup, je me suis dit que j’avais pas mal instrumentalisé l’homme dans ce poème (dramatique ?). Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

    Ce qui est bien plus emmerdant, c’est qu’il faudra des tas de machines et du temps pour représenter ça, qui est juste du brouillon violent. Et que donc la spontanéité (fausse, trafiquée pourtant) sera partie en couilles. Et on fera passer l’obscurité pour de la profondeur. Alors que merde, c’est juste de l’obscurité. Ça s’appelle Tragédie parce qu’il n’y en a pas.

    Juste l’agonie rendue presque indolore, morphine à flux tendu.

    Novembre 2004, Stéphanie M., New York/Marseille 

     

     

    ACTE I

     

    1. Linteau (Dans la ténèbre)

     

    LUI. – Au cas où ce ne serait pas clair, je lève un doigt à la poésie, à la littérature, à tous les arts, j’emmerde tous ces abrutis défenseurs de toutes les cultures subsalopes, j’érige bien haut mon médius d’honneur à l’humanisme catafalqué administrant sa charge létale rétroactive, je regrette que la Parole ne soit pas crevée et avec elle les animaux parlants en leur absolue totalité, je regrette la Création. Personne ne peut plus rien pour moi. MERCI. TROIS FOIS MERCI. En ce temps-là, je serai assis, du sable lentement coulera dont mes mains impuissantes n’ont retenu nulle sensation, et le petit garçon vint à moi, viendra encore, disant : « Père, je suis un soldat, je fais ce que tu veux, je suis ce que tu veux. » Je le regardai longuement ET infiniment, m’entendant dire enfin : « JE NE PEUX RIEN TE DEMANDER. » Ce qui nous sépare est infiniment rien, mon petit enfant mort, ô infiniment rien. Et je songeai combien l’absence est incuse. – Ce matin, dans un instant d’arrêt de tout, en regardant la toute-petite, je me suis effondré de joie, pour toujours, de joie, oui, de joie. Il y eut un soleil neuf et tout lui sera dû. Je ruisselais, mais invisiblement. OUI.

     

    ELLE. – Je suis comme les chats, mon amour, j’ai plusieurs vies ; mais je les vis toutes ensemble, délicatement. Il ne s’agit pas ici, vois-tu, d’opinions personnelles ou de choses comme ça. Au contraire. Cette époque a pilonné le langage, tellement qu’il y en a plus. Même les ruines à présent, sont détruites. Il faut tout réinventer : les mots, l’amour, les corps. On va rire.

     

     

    2. Publicité pour Tragédie (Debord et moi)

     

    A la place du film, sa description :

     

    LUI. – Gros plan sur la bouche de l’actrice. Dézoom très lent durant tout ce qui suit :

    ELLE. – J’ai été embauchée dans cette publicité pour Tragédie et on m’a dit qu’il fallait que je montre mon cul parce que je suis encore jeune et pas trop mal foutue et que, bon,  ce sont justement ces culs-là qui font vendre… Or je ne montre pas mon cul mais ma gueule parce que ma gueule, c’est ce que moi j’ai intérêt à vendre… tandis que mon cul seul, mon cul sans ma gueule quoi, qui va deviner qu’il est le cul de cette gueule-là ?…

    LUI. – Visage de l’actrice, derrière lequel peut-être on devine un miroir. Plan fixe :

    ELLE. C’est l’unité de la misère qui se cache sous ces oppositions apparentes. Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut pas reconnaître les autres, prétend s’imposer partout comme si elle était la seule.

    LUI. – Dézoom lent, lequel fait apparaître dans le miroir des arbres, de la verdure, du ciel… :

    ELLE. Mais bon, il faut que je vous vende ce truc-là, Tragédie… et après tout je ne vois pas quelle différence ça fait, ma gueule ou mon cul, sauf que ma gueule on voit bouger les lèvres, l’essentiel c’est que je sois payée et comme c’est encore un machin culturel à la con mon cul qui cause est subventionné par tout un tas de saloperies publiques administratives ou quoi… Ce qui dit bien ce que ça veut dire.  

    LUI. – On voit à présent le buste nu de l’actrice ainsi que, dans le miroir derrière elle, l’homme qui tient la caméra :

    ELLE. A l’acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : l’insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l’abondance économique s’est trouvée capable d’étendre sa production jusqu’au traitement d’une telle matière première. En concentrant en elle l’image d’un rôle possible, la vedette, représentation spectaculaire de l’homme vivant, concentre ce mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du spectacle, domine mondialement la société moderne.

    LUI. – On voit à présent l’actrice totalement nue, amorphe, banalement assise sur une chaise de merde et tenant un papier plié à la main :

    ELLE. Bref, pendant qu’on regarderait mon cul je devais dire quelques phrases assez simples et pas drôles avec un air pénétré, enfin je veux dire un ton ému ou un truc comme cela, une voix comme saisie par la beauté un peu plouc quand même de cette espèce de poème autobiographique qui, il faut bien le dire, est quand même vachement plus simple que le reste du bordel que mon cul était ou serait censé vous vendre… Bon, voilà le machin…

    LUI. – L’actrice déplie son papier, pivote et tourne le dos à la caméra, posant ses genoux sur le siège et ses coudes sur le haut du dossier, en clair – hypocritement et non – elle ne nous montre pas tant son cul qu’elle ne nous tourne ostensiblement le dos, et lit lentement :

     

    ELLE. – … [Le problème, c’est qu’on ne comprend pas du tout ce qu’elle dit… Alors on n’a qu’à dire ma préface, ou des bouts de ma préface.]  

     

    LUI. – L’actrice revient vers nous, et les larmes-aux-yeux. Zoom rapide jusqu’à son visage, lent jusqu’à ses yeux :

    ELLE. Rezoome un peu connard, je pleure tellement c’est émouvant. Et ça, je veux que ça se voie…

     

    LUI. – Long silence. Puis, matérialisée par quelques secondes d’écran noir, fin du film… Qui reprend aussitôt du début, mais sans le son. Voix de l’actrice, off :

     

    ELLE. L’humanisme de la marchandise prend en charge la culture et les loisirs de l’humanité et domine tout simplement ces sphères en tant qu’économie politique. Le reniement achevé de l’homme prend en charge la totalité de l’existence.

    – Achetez Tragédie.

    – Le langage de la communication s’est perdu, ainsi que l’exprime l’anéantissement de tout art.

    – C’est mon cul qui vous parle.

    – Plus l’exigence de cet art est grandiose, plus sa véritable réalisation est au-delà de lui.

    – Mon cul aime Tragédie et il vous parle de la communication de l’incommunicable.

    – Il n’y a pas d’autre monde que celui-là.

    – Débrouillez-vous avec lui.

    – On vous aime.

    La suite est ici.


     

  • Accélérer la catastrophe (2)

     

     

     

    – C’est quoi, Papa, un progressiste ?

    – C’est un type comme tout le monde, et qui donc chute, mais qui, enivré sans doute par sa propre chute, trouve justement qu’il chute vers le haut

    – Tu ne crois pas au Progrès, toi ?

    – Mais si. Je veux bien croire qu’en travaillant, on peut faire des progrès.

    – Pourquoi tu n’es pas progressiste, alors ?

    – Parce que je ne crois pas à la magie.

    – Et la magie, c’est quoi, alors ?

    – Justement, c’est croire qu’on s’élève lorsque l’on suit sa pente.

    – C’est comme le progressisme, alors ?

    – Oui, c’est de la folie furieuse. Allez, file te coucher, il est tard.

     

    Je regarde les livres sur la table.

    L’Empire du moindre mal, magnifique essai de Jean-Claude Michéa.

    Le Soulèvement contre le monde secondaire, de Botho Strauss.

    Dominium mundi, de Pierre Legendre.

    Entre autres…

    J’allume une cigarette, je me sers un whisky.

    J’ai sous le nez, sur Causeur.fr, un texte d’Elie Barnavi sur la laïcité...

    Je précise à d’éventuels nouveaux lecteurs, que j’ai pris récemment la déplorable habitude d’appeler Sarkozy le Président Grenelle (dans ce texte, pour une fois, la citation de Grenelle est exactement empruntée à son modèle dans la réalité). C’est un personnage que j’invente. Un personnage comique, je le précise. J’ai la joie de vous annoncer (c’est une exclusivité) que le prénom de ce personnage est Michel, ce qui permet à ses amis de l’affubler du gentil sobriquet de Mickey. Welcome to Wonderland…

    Bref, on nage en plein suicide. Il est onze heures du soir…

     

    – Et la laïcité, Papa, c’est quoi ?

    – Mais bordel de merde, je n’en sais rien, moi. Pardon. Ça veut dire que tout ce qui s’est passé avant 1789 est un immense paquet de sanguinaires saloperies, et ce qui s’est passé depuis aussi, à deux ou trois exceptions près. Et ça veut dire que nous, nous qui avons bien sûr tout pigé, nous sommes sinon vachement bons du moins sur le point de le devenir en sortant tout à fait de l’humanité.

    – Mais comment on le sait, qu’on est bon ?

    – Mais on l’a décidé, mon petit gars. Après Auschwitz, on s’est dit que ce serait vachement bien de devenir bons ; et on a décrété qu’on l’était, toujours cette putain de baguette magique. Puisqu’avant, c’était mal.

    – Ah ? Mais bon, la laïcité, c’est quoi ?

    – Il y a des curés dans ton école ?

    – Non.

    – Eh bien, tu vois, c’est ça, la laïcité.

    – Oui… Mais des curés, c’est quoi ?

    – Des gens d’avant. Qui croient en Dieu.

    – Quand c’était mal, alors ? Mais Dieu, alors…

    – Tu ne veux pas me foutre la paix, dis ? Pardon. Laisse-moi fumer peinard devant mon écran d’ordinateur et va te coucher, mon grand.

     

    Je ne sais d’ailleurs pas moi-même clairement distinguer ce qui, dans la suite de ce texte, relève de la farce et ce qui relève du tragique.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire.

    J’aime penser que c’est un don ; mais c’est un don pénible.)

    Je vais donc vous coller là tout un tir de barrage de citations diverses, qui vont faire vachement bien, avant mes conneries de dialogues de piliers de bars (non-fumeurs).

     

     

    « Le réactionnaire n’est précisément pas cet empêcheur ou cet incorrigible rétrograde que fait de lui la dénonciation politique – il marche au contraire en tête quand il s’agit de rappeler le souvenir de quelque chose d’oublié. Il a ici et maintenant devant lui les voiles épais de l’illusion technique et du vide de sens, et il veut les fendre, au moins pour des moments lucides, dans lesquels se révèlent Présence, Sens et Logos. »

    Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.

     

     

    « Si le Droit constitue, pour le libéralisme politique, l’instance de régulation suprême qui doit se substituer à toutes les autres, ce n’est naturellement pas à la manière, jugée arbitraire et étouffante, des anciens montages normatifs – que ce soient, là encore, ceux de la coutume, de la religion ou de la vertu républicaine. La « théorie de la justice » sur laquelle se fonde la nouvelle autorité du Droit a, en réalité, peu de chose à voir avec ce que la philosophie traditionnelle avait jusqu’alors pensé sous ce nom. Elle ne se soucie plus, en effet, de définir des Idées ou de saisir des Essences, c’est-à-dire de s’exprimer au nom d’une quelconque « Vérité », quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. Bien plus que d’une « théorie de la justice », il conviendrait plutôt de parler à son sujet d’une théorie de l’ajustage ou de l’ajustement. Pour l’essentiel, en effet, il s’agit seulement de mettre au point les combinaisons institutionnelles les plus efficaces, donc de calculer au plus juste le système de poids et contrepoids (checks and balances, disent les philosophes anglo-saxons) qui permettra de maintenir l’équilibre des libertés rivales en leur imposant un minimum d’exigences – en leur garantissant, si l’on préfère, le taux d’imposition existentielle le plus bas possible. Une théorie libérale de la justice ne doit donc engager, par principe, aucune réflexion philosophique particulière sur ce que pourrait être la meilleure manière de vivre. Elle se limite, au contraire, à définir les conditions techniques d’un simple modus vivendi. »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout.

    » […] La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. »

    Mickey Grenelle, discours au Palais du Latran

     

     

    « La « neutralité axiologique » revendiquée par le libéralisme a parfois de curieuses conséquences. Rien ne peut logiquement interdire, en effet, que l’on utilise le racisme lui-même, à titre pédagogique, si l’on a de bonnes raisons de penser que c’est un moyen politique efficace pour parvenir à l’égalité des droits (c’est le principe de toute affirmative action). C’est ainsi que Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, a pu tranquillement déclarer (lors d’une émission de Frédéric Taddéi, diffusée sur France 3), et sans susciter, cela va de soi, la moindre réaction politique ou médiatique, que la première condition pour « rééduquer le reste de la société occidentale », était de considérer tous « les Blancs » comme des « sous-chiens » (Cf. Marianne, 30 juin 2007). »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « Question « bonheur », les experts savent. Qu’y a-t-il de plus enviable que la non-mort assurée, la « Fontaine de Jeunesse », les muscles et la peau en bon état, l’esprit léger, un sexe performant, l’idéal de consommer sans trêve ? »

    Pierre Legendre, Dominium mundi  (L’Empire du management)

     

     

    « Mais ce n’est quand même pas une raison pour aller tomber dans l’excès. Les chrétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou des Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre « spectaculaire intégré ». Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles. »

    Guy Debord, « Cette mauvaise réputation… »

     

     

     

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    I

    – Tu crois à la laïcité, toi ? – Pardon ? – Peut-être que ça existe la laïcité, mais je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait y croire. – Peut-être que c’est une religion, après tout. – Une religion de substitution ? – Ouais, une religion du vide, une manifestation enfin du nihilisme… – La laïcité, c’est un machin inventé pour en finir, ou au moins réduire, amoindrir la présence et l’influence de l’Eglise catholique en France. – En même temps, les laïcs ont toujours existé : un laïc, c’était juste quelqu’un qui n’était pas entré dans les ordres, non ? – Les choses alors se jouaient en France entre ceux qui étaient chrétiens et ceux qui ne l’étaient plus, ou ne voulaient plus l’être. – Entre les fils qui suivaient, tant bien que mal, leurs pères, et ceux qui, métaphoriquement ou pas, leur tranchaient la tête.

     

    II

    – L’autre question, c’est celle de la Référence, je crois. La société libérale (et j’entends par là aussi bien la gauche que la droite, aussi bien la droite que la gauche) tend à évacuer l’idée même de Référence : elle ajuste simplement son droit en fonction des groupes de pression. Qu’ils soient avoués ou non, visibles ou pas. – C’est bien ce que je dis : la laïcité est une religion de transition, une coque vide. Elle ne garantit rien. – Ce que met en place la société libérale, c’est en somme ce que Michéa appelle « neutralité axiologique ». – Ceux qui sont là, en somme, ont toute latitude à revendiquer tout ce qu’ils veulent, et quoi que ce soit. – Oui. La justice tranchera. – Et elle tranchera de plus en plus n’importe comment, puisqu’elle-même sera privée de toute Référence… elle aura à faire avec des concepts bidons, comme celui de « laïcité positive ». Ce que ça vend, ce concept, c’est que le Principe majeur de la République, c’est de s’adapter à ce qui vient, quoi que ce soit. Et croyez-moi, ça va se vendre.  – Pour parodier le bon Houellebecq, je dirais que la « laïcité positive » du Président Grenelle est une dhimminution du domaine de la République.

     

    III

    – La laïcité d’aujourd’hui est donc bien obligée de considérer de la même façon, indépendamment de tout critère simplement historique, et avec le même respect imbécile, toutes les religions, prôneraient-elles ouvertement l’assassinat ou la soumission des infidèles et la lapidation des femmes adultères – entre autres joyeusetés ; ce qui est aussi idiot que le serait de manifester le même respect à toutes les politiques. Hitler ne faisait-il pas de la politique ? Et Staline ? Et Mao ? Etc… – Merde. Et les valeurs républicaines ? – Ne faites pas rire. Elles n’ont plus aucune légitimité. La démocratie les engloutit. La démocratie d’opinion, et la possibilité de luttes d’influences juridiques, à grands coups de procès médiatiques. La République institue la démocratie, et la démocratie spectaculaire d’opinion fomente les communautarismes les plus inouïs, des plus débiles aux plus meurtriers en passant par toute une gamme de produits pornographiques (lesquels sont peut-être, hélas, nos derniers vecteurs d’ « intégration »), qui prolifèrent à une vitesse carcinomique, ravagent tout, implantent leurs métastases… – Jouer la République contre la démocratie, aujourd’hui, pourrait même être considéré comme une atteinte aux valeurs républicaines. On ne joue plus la carte de la République que pour l’évider tout à fait. – C’est que la République est une idée très ancienne, bien plus vieille que la Révolution française. La République n’est pas du tout une idée moderne, et c’est bien pour cela qu’elle s’effrite et s’effondre sous les coups du modernisme libéral déchaîné. – C’est une idée grecque de réalisation essentiellement romaine, d’ailleurs. Dans la façon du moins dont elle nous est parvenue. – « Rome, l’unique objet de mon ressentiment »… – C’est quoi, ça, c’est Nietzsche ? – Mais non, patate, c’est Corneille : la dernière fois qu’a brillé sur la France l’exaltation du courage antique devenu catholique, mettons… – Et Péguy ? – Mais Corneille et Péguy, c’est une ligne droite…

     

    IV 

    – Mon Dieu, mais ici, nous ne sommes même plus vraiment catholiques, ni chrétiens… – Voilà bien pourquoi il ne nous demeure plus qu’à défendre la République. – Mais c’est une impasse, vu ce qu’elle est, et à quel point déjà elle est tout effondrée. – La République et la laïcité, donc. –  La laïcité ne connaît que la religion chrétienne, et elle s’imagine, naïvement, mais la naïveté est un facteur de crime, que toutes les religions du monde sont bâties comme la religion chrétienne. Alors que pas du tout, en fait. – Je suis bien d’accord que c’est une impasse, désormais, la République. – Alors quoi ? – Alors rien. Il s’agit peut-être seulement de mourir, et de savoir le faire. – Nous avons des racines, qui, elles, sont chrétiennes. Indiscutablement. – Mais ces racines indiscutablement chrétiennes, de quoi exactement sont-elles les racines ? – La question n’est pas tant de savoir si nous pouvons éviter la guerre civile, que de savoir s’il faut l’éviter, non ? – D’ici là, en tout cas, l’Union européenne aura tout à fait fini d’adhérer à la Turquie (et pas l’inverse, merci bien). – Oui, oui, c’est toujours votre lumineuse idée barje d’accélérer la catastrophe, en somme…

     

    V

    – L’ancienne laïcité a permis de transformer l’Eglise catholique française en ce machin relativo-droitdelhommiste qui semble supplier ses derniers fidèles d’aller voir ailleurs que c’est pareil tout en admettant par avance qu’ils n’auront donc plus aucune raison de revenir. – Ouais, et la nouvelle laïcité positive du déplorable Grenelle ne fera jamais rien qu’adapter la France à l’islam, islam qui donc se radicalisera ouvertement de plus en plus. Que voulez-vous, c’est le Progrès. – Rien n’arrêtera ça. Parce qu’il faudrait restreindre drastiquement, c’est-à-dire de façon réellement républicaine, le concept de laïcité, et repréciser, comme le disait je ne sais plus où Alain Finkielkraut, quelles sont exactement les indispensables lois de l’hospitalité. Mais rien n’arrêtera ça. Sauf peut-être le fait que ça pète. Et le plus tôt sera le mieux. – Mais pourquoi ? – Parce que nous nous affaiblissons dramatiquement d’heure en heure, mon cher.

     

    Et vive quand même la République !

     

  • De quoi Sarkozy est-il le nom ? d'Alain Badiou

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    Je n’ai pas lu et ne lirai évidemment pas le dernier ramassis d’Alain Badiou.

     

    1. La bonne réponse

    Quant à la question posée : De quoi Sarkozy est-il le nom ? la réponse est (je vous le dis tout de suite pour que vous n’ayez pas l’idée une seconde de vous procurer ce fleuron de la pensée cacochyme) : Sarkozy est le nom du pétainisme transcendantal.

    Du pétainisme transcendantal ! vous avez bien lu.

    Ce qui, en soi, bien sûr, ne veut rien dire.

    Il ne peut pas ne pas le savoir, ça, Badiou.

    Mais quand même, transcendantal, ça fait vachement philosophique.

    Et le philosophique, merde, ça ne se contredit pas comme ça.

    Il faut de sacrés diplômes.

    Et justement, ça tombe bien, c’est Badiou qui les fourgue.

    Pas tous, bien sûr. Seulement les bons.

    (Je ne parle pas de philosophie ici, je parle bien de philosophique. Badiou est quelqu’un qui fait du philosophique, exactement comme Michel Onfray ou Tariq Ramadan.)

    Le pétainisme transcendantal, néanmoins, ça ne veut rien dire.

    Sinon qu’Alain Badiou, du haut de ses chaires, autorise ses affidés à assimiler systématiquement, quoi que par ailleurs il arrive, Sarkozy au pétainisme.

    Ils ne se gêneront pas, d’ailleurs.

    Quitte à se débarrasser vite fait du « transcendantal ».

    Lequel n’est d’ailleurs là que pour ça.

    Sarkozy, c’est Pétain quoi, merde.

    Ça, au moins, c’est de la philo.

     

    2. A qui s’adresse réellement Badiou ?

    Ce qui est formidable, tout de même, c’est que Badiou lui-même, sans bien le savoir cette fois, argumente contre son propre livre.

    Dans un chapitre où il avance huit points pour convaincre son lecteur de je-ne-sais-trop-quoi (n’ayant pas lu cette pelote de déjection), il pose (je cite de mémoire) qu’un journal publié par de riches managers n’a pas à être lu par des gens qui ne sont ni riches ni managers – ce qui revient peu ou prou à exiger qu’on ne lise rien du tout, qu’on ne regarde rien du tout, etc. ou alors seulement Badiou.

    Mais c’est là que notre philosopheur s’emmêle quelque peu les pinceaux…

    Parce qu’il faut alors, pour être aussi badiousien qu’un crétin surdiplômé, admettre avec et contre l’auteur qu’un livre publié par un éditeur parisien d’extrême-gauche n’a pas à être lu par des gens qui ne sont ni éditeurs ni parisiens ni d’extrême-gauche…

    Le bouquin de Badiou, même, en droit (je dis : en droit pour rigoler), ne devrait être lu au fond que par Michel Surya.

    Ce serait bien suffisant.

     

    3. Zoon politikon

    Badiou cite également Sartre : « Tout anticommuniste est un chien. »

    C’est une phrase magnifique, évidemment.

    Un chien, je ne sais pas si vous vous en rendez bien compte, n’est pas un être humain.

    Oui, un chien n’est pas un être humain.

    Il faut partir des choses simples.

    Ça ne parle pas, un chien.

    Donc, ça n’a pas son mot à dire.

    Pour ainsi dire : par définition.

    Ça ne devrait donc pas pouvoir parler, en tout cas.

    (Les chiens ont des prétentions démesurées, de nos jours.)

    Et si ça parle quand même, il faut y remédier.

    Mais surtout…

    Cela s’abat, un chien.

    D’où l’expression.

    Abattu comme un chien.

    Cela s’abat, un chien.

    Qui veut tuer son chien l’accuse d’anticommunisme.

    C’est la sagesse même.

    La sagesse populaire.

    Cela s’est déjà vu, d’ailleurs.

    Mais il y a mieux, bien sûr.

    Mais il y a plus pratique.

    On ne dénombre pas les chiens abattus.

    Personne n’a jamais eu l’idée de dénombrer les chiens abattus ou enfermés au vingtième siècle, par exemple.

    Un chien, cela appartient à son maître.

    Et son maître a sur lui droit de vie et de mort.

    Si vous ne comprenez pas ça, c’est que vous êtes définitivement bouché à la dialectique badousienne.

    A la dialectique, quoi. La vraie.

    (C’est que vous n’êtes pas Michel Surya, bien sûr.

    Et c’est certainement regrettable.)

     

    4. Conclusion

    Badiou est professeur de philosophie (sic) dans quelques institutions nationales naguère prestigieuses. On a les fonctionnaires de la République qu’on peut. Je veux dire : On a les fonctionnaires qu’on peut. Et aussi : On a la République qu’on peut.

     

     

     

    PS : Dans Le Perroquet du 11 novembre 1981, Badiou s’était avisé de flatter Guy Debord ; ce dernier ne lui aura répondu qu’en citant in extenso son article dans l’opuscule Ordures et décombres déballés à la sortie du film In girum imus nocte et consumimur igni par différentes sources autorisées. Debord avait en somme remis Badiou à sa place ; il ne l’a pas quittée.