Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culutre - Page 5

  • Forteresse

     

     

     

    J’allume une cigarette. La terrasse donne sur le chevet de la cathédrale, et cette après-midi, elle est ensoleillée…

     

    – Peut-être que tu devrais sortir davantage, aller à Paris, rencontrer d’autres auteurs, et surtout : des metteurs en scène…

     

    J’entends cela périodiquement, depuis au moins dix ans.

    Il y a des gens qui me veulent du bien.

    Se méfier, mais remercier.

    Leur leitmotiv est celui d’une indifférenciation, au fond. Tout cela est très corporatiste.

    Les gens qui me veulent du bien veulent que je m’incorpore.

    Tu es un auteur dramatique ? Fais comme tous les autres auteurs dramatiques…

    Les auteurs dramatiques ont abdiqué d’être écrivain ? Abdique.

    Les artistes font vœu d’originalité, sois comme eux.

    Fais comme tout le monde, sois artiste.

     

    – Le milieu est consanguin. Au train où vont les choses, d’ailleurs, l’expression sera bientôt à prendre au sens propre. D’où le nombre de gens tarés.

    – Tu ne veux pas, quoi ?

    – Pour tout te dire, je serais plutôt enclin à rester chez moi, ne rencontrer personne du milieu cuculturel ou comme je dis : culutrel, interdire à qui voudrait le faire de monter mes pièces…

    – Misanthrope ?

    – Pas le moins du monde.

    – Admets au moins que ta mondanité est très rudimentaire.

    – Si tu y tiens vraiment. Toujours est-il que je me trouve plutôt sociable, et même poli. Je suis un type banal. La vie que je mène ici, avec ses aléas divers, ne me disconvient pas.

    – Tu es un ermite, mon vieux.

    – Non plus, non. J’ai des amis, je te jure, je déjeune souvent avec eux, je fréquente beaucoup les bars, je me mêle facilement aux conversations de comptoir. Je reçois même des gens chez moi, figure-toi… Mes préférences vont aux choses simples, et tu vas voir qu’on me le reprochera… Je bouquine, je lis, j’écris dans les bars…

    – C’est très bien, je ne dis pas le contraire. Mais tout de même, tu devrais te faire connaître un peu plus, mon vieux…

    – Mais de qui ?... Oui, je sais, Paris… Mais pourquoi devrais-je me forcer à fréquenter des gens dont, au mieux le plus souvent, je n’aime pas le travail ? Et pour quelle raison devrais-je tenter de leur plaire ? Je pense que même si je faisais cela, même si j’essayais de sourire à ces gens, mon travail leur déplairait fortement… Et dans un second temps, parce que certains d’entre eux, forcément, me paraîtront charmants (pourquoi ne me le paraîtraient-ils pas ?), je me sentirais peut-être obligé, pour leur plaire, d’écrire ce qui leur plaît et qui se trouve être selon moi, neuf fois sur dix au moins, tout à fait imbécile… Je me mettrais alors à écrire ce qui leur plaît, c’est-à-dire ce qu’ils attendent et que tout le milieu écrit déjà ; et là, enfin, je serais entré de plain-pied dans l’escalade mimétique, qui est plutôt une dégringolade, d’ailleurs. Et je te le répète : je n’ai aucune envie de me fondre.

     

    Voilà, je suis en chute libre.

    C’est du moins ce que je lis dans son regard.

    Qu’est-ce qu’on va faire de toi ?

    Le silence dure un peu. J’aime bien. Je le regarde, qui a détourné le regard. Il a l’air absorbé par le trafic routier autour de nous.

     

    – Excuse-moi, mais je trouve ce comportement suicidaire, vu la conjoncture…

    – Et moi, c’est la conjoncture que je trouve suicidaire…

    – Facile.

    – Peut-être, mais je trouve quand même ce monde, « notre » milieu compris, en plein naufrage. Voilà pourquoi, ne le prends pas pour toi, hein, je n’aime pas beaucoup ces invitations répétées à naufrager-ensemble. Comme on dit désormais vivre-ensemble. Comme s’il suffisait de prononcer ce sésame-là à deux balles pour s’ouvrir la porte d’un salut matériel et quelconque. Et si je n’aimais pas tout le monde, moi, par exemple ?

    – Ah, tu vois que tu es misanthrope…

     

    Il plaisante, bien sûr. Enfin… il a l’air de plaisanter : mais plaisante-t-il vraiment ?

    Léger silence, feuilles d’automne. Il fait froid, le soleil se couche…

    J’allume une cigarette. Une Dunhill.

     

    – D’un autre côté, je ne peux pas nier que le suicide soit une tentation. Depuis longtemps. La tentation, finalement, c’est ce qui cherche toujours à se présenter comme une solution…

     

    J’avale une gorgée de café, et reprends :

     

    – Pour ne pas céder à la tentation qui ne cesse de revenir, il faut que je travaille. Seul. Je peux te le dire autrement : je me préserve à la fois du suicide social, mondain et du suicide tout court par le travail. Travail de solitude. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, il y a quinze bonnes années maintenant, socialement je me suis planté. Mais socialement seulement. Au lieu de faire les pots de première des spectacles parisiens, avec le vague espoir d’alpaguer quelques secondes un quelconque metteur en scène reconnu par des ploucs en début de soirée et en fin de soirée le non moins vague espoir de troncher une actrice bio ou mieux : une (bien-nommée, alors) « relation publique », eh bien, au lieu de faire ces saloperies-là, j’ai lu et lu et relu du théâtre. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça : mais je crois qu’on ne me le pardonnera pas : c’est une faute professionnelle grave.

    – Tu rigoles ?

    – Pas cette fois, non… Mais peu importe. Encore aujourd’hui, je préfère passer une soirée à lire Shakespeare – le plus grand génie de l’humanité, selon moi – qu’à aller voir une daube au théâtre.

    – Pourquoi serait-ce une daube ?

    – Oh, ne serait-ce que par comparaison… Il faut du temps, je crois, pour apprendre à lire du théâtre. Après quoi, les spectacles deviennent difficilement supportables. La plupart des mises en scène se constituent sur un déficit de lecture, et plus généralement : de culture, c’est flagrant ; elles s’engouffrent, sous prétexte de liberté, c’est-à-dire de course obligatoire et mimétique à l’originalité, dans des béances aprioriques. C’est tout. Les textes ne sont pas lus vraiment, servent seulement de pré-textes au spectacle. Et que vise-t-il, le spectacle ? A la renommée dans son milieu du metteur en scène. Dans cette optique, évidemment, celui-ci a bien raison de former son « goût » en voyant des spectacles dont la presse dit qu’ils sont marquants, qu’il imitera plus ou moins consciemment et plus ou moins talentueusement…

    – Et alors ? excuse-moi, mais je ne vois pas du tout où est le problème…

    – Le problème, c’est, comment te dire ? que tout est devenu horizontal. Les gens n’ont de référence que, mettons, sur les quarante dernières années, dont rien ne prouve finalement qu’elles soient aussi grandioses qu’on le dit, précisément parce que c’est depuis ces quarante années-là qu’en France, en tout cas, il n’y a plus d’auteurs.

    – Tu rigoles ? Plus d’auteurs dramatiques, en France ? Il en dégueule justement des flopées, personne ne sait où les foutre…

    – Il faut les foutre aux chiottes, et flop ! Des auteurs dramatiques, il y en a des tonnes, on devrait d’ailleurs les estimer au poids. Mais des écrivains ? Rien depuis Koltès. Je ne suis pas un fanatique de Koltès, mais il faut bien admettre que les textes tiennent, tiennent debout tout seul, sans metteur en scène derrière…

    – Novarina, peut-être ?

    – Peut-être bien, on verra.

    – On verra quoi ?

    – Comment ça se lit dans dix ans, dans vingt ans. Ce que je disais, c’est que depuis que les références sont spectaculaires et non plus littéraires, les références des metteurs en scène ont au mieux quarante ans, au lieu qu’elles pourraient avoir deux mille cinq cents ans. Mais ça, évidemment, c’est du travail, et donc ça ne se deale pas en buvant du vin rouge au bar du Théâtre National de la Colline. La révolution, je veux dire : le modèle, c’est par exemple Tchekhov par Peter Brook (je n’ai rien contre Brook, entendons-nous); ce ne sera pas Tchekhov par Shakespeare, ni Shakespeare par Stendhal puis que ce dernier, quoiqu’il ne fût pas dramaturge, s’était fendu d’un livre sur le premier (Racine et Shakespeare, rien que ça...), fait qui semble bien sûr n’intéresser personne.

     

    Des milliers, dizaines de milliers d’oiseaux dans le ciel. Des étourneaux, je crois. Ils font des figures magnifiques dans le soleil couchant, semblent jouer avec les sombres tours inachevées de la cathédrale, risquent de nous chier sur la gueule aussi. Quels signes eussent lu là nos superstitieux ancêtres païens ? Je ne sais, et d’ailleurs m’en fiche passablement…

     

    – Oui, mais soyons prosaïque, mon vieux : si ça marche ?

    – Eh bien, oui, ça marche. Bien sûr. Je n’ai pas la prétention d’empêcher quoi que ce soit de marcher, moi. Le marché d’ailleurs est fait pour ça : pour que ça marche.

     

    Il me regarde. Il a l’air consterné. Mais de quoi ? De ce que je dis, ou du fait que je dise cela ? Je ne sais trop. Les deux à la fois, peut-être.

    J’allume encore une cigarette. Toujours une Dunhill. C’est bon, respire, me dis-je.

    Il regarde son café, à présent. Les idées, les pensées, ou plus probablement : des trucs, se bousculent dans sa tête.

     

    – Mais toi, en fait, tu ne veux pas que ça marche, ce que tu fais ?

     

    Bonne question. Je passe.

    Je tire sur ma cigarette.

    Il me regarde. Je sens vaguement que de ma réponse dépend son jugement. Son jugement non pas sur ce dont nous parlons, non, son jugement sur moi.

     

    – Bien sûr que si.

    – Alors je ne te comprends pas.

     

    Voilà son piège. Il est très bien identifié. C’est celui auquel je tente d’échapper depuis le départ (je parle d’y échapper dans la réalité, pas dans la conversation).

    Si je fais ce que je fais pour que ça marche sur le marché, ce que je fais est idiot parce que ce n’est pas du tout cela qu’il faut faire.

    Si je ne fais pas ce que je fais pour que ça marche sur le marché, pourquoi vouloir être présent sur le marché ?

    Répondre, à présent.

     

    – Je préfère que ça marche, bien sûr.

     

    Sous-entendu : Non, mon vieux, je ne suis pas fou.

    Et j’ajoute :

     

    – Je préfère que ça marche, oui : mais à mes conditions.

     

    Là, il explose littéralement ; affleurant sous la maîtrise, l’explosion est visible :

     

    – Mais personne n’en a rien à foutre de tes conditions, mon pauvre ami.

    – C’est très juste. Mais je ne sache pas en ces matières quoi que ce soit à quoi je devrais de les sacrifier, mes conditions. Je n’ai aucune intention de faire du marché un autel, aucune intention de sacraliser le marché. Alors permets-moi aussi de n’avoir rien à foutre de ses petites conditions de marché que les « autres » ont si volontiers intériorisées, tous volontaires, quoiqu’ils en disent, pour se constituer ensemble en marché : ce que j’appelle quant à moi le naufrager-ensemble.

    – Tu veux dire qu’ils détestent le marché, mais se ruent dessus pour le dire ; et que ça marche ? Mais ce n’est peut-être pas si idiot, tu sais…

    – C’est exactement ça : ils disent détester le marché, mais lui collent au plus près.

    – Et tu trouves ça idiot ?

    – Idiot, peut-être pas ; mais grégaire, certainement.

    – Mais toi non plus, pourtant, tu n’aimes guère le marché, je me trompe.

    – Je ne l’aime pas beaucoup, non. Mais je n’ai rien contre. Je prends acte de son existence. Et puis quoi ? J’essaie de le décrire en rigolant, pas de faire semblant de vouloir le bannir, le combattre, l’empêcher, le freiner… Tous ces trucs d’impuissants qui font une course de vachettes pour décrocher le pompon de la gloriole médiatique. Parce que leur rivalité à la con, ça donne quoi, au final ? Un formidable et lamentable chœur d’exceptions autoproclamées. Et même un chœur national hyperconsensuel de révoltés stipendiés qui, à son tour, en tant que collectivité merdique, prétend faire exception… Et y parvient ! L’exception culturelle française existe : nous battons tous les records interplanétaires d’indigence, d’irresponsabilité et surtout : d’inculture. Vas-y, pose des questions de culture générale au directeur d’un petite salle subventionnée de province : là, tu vas comprendre. Mais comme ces tocards sont par profession la culture, ils se trouvent dispensés de toute culture réelle. Et moi, je n’ai pas envie de passer plus de temps que n’en réclame ma survie matérielle à m’occuper de ces gens-là. On reprend un café ?

    – Non.

     

     

     

  • Fabula rasa

     

    Trois livres que je n’ai pas lus, et que je ne lirai pas.

     

    D’abord, d’un nommé Jean-Michel Leterrier, Pour une culture citoyenne ! que je mentionne ici parce qu’il fait si pauvrement écho à mon beau titre : Pour une Culutre citoyenne ! Livre dont il n’est pas compliqué de deviner qu’il défend exactement tout ce que j’attaque ; c’est-à-dire : l’indifférenciation culturelle (voir ici).

     

    Ensuite, le livre de Michel Surya, Portait de l’intermittent du spectacle en supplétif de la domination, qui, sur cette réalité dès longtemps avérée, enfile en un joli collier tranchant ses jolies thèses post-situ. Je précise que j’ai failli faire l’acquisition du bouquin, en dépit de son prix ; mais que j’ai été retenu par la crainte de perdre mon temps à lire un livre qui ne pense aucune issue par l’art, et sous-entend même que rien, hors bien sûr l’œuvre de son auteur, ne peut au fond plus rien dire. Toujours la même scie post-situ, donc…

     

    Et pour finir, au sommet de l’imbécillité, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, de Florence Dupont. La charge coutumière contre Aristote, accusé d’avoir dès le berceau fossoyé à la littérature le théâtre, se double ici – d’après le quatrième de couverture – d’une défense des bouffons et de vœux pour leur retour (comme s’ils n’étaient pas déjà partout). Je ne saurais néanmoins, quoique je pense exactement le contraire de l’auteur, celer que je souhaite la même chose que lui : l’agonie du théâtre a bien assez duré, il est temps d’en finir avec cette forme débile de spectacle – cela lui permettra peut-être, si quelques écrivains courageux s’y mettent, de devenir enfin exclusivement littérature et partant, pure aristocratie. Au moment de demander le retour des bouffons, Florence Dupont manque de comprendre que la télévision est aujourd’hui l’équivalent des antiques théâtres populaires (ce que pourtant elle sait). Quant à ramener ces bouffons dans les théâtres proprement dits, je ne puis que l’assurer qu’ils y sont aussi déjà, posant aux intellos moraleux et rivalisant d’inculture dans leurs top-modernes costumes de précieuses ridicules. Je trouve que Florence Dupont, pour aller au bout de sa logique, devrait demander à Christine Albanel, actuel Ministre de la Culture, de nommer Michaël Youn au poste emblématique d’Administrateur de la Comédie Française. Ce serait cool. Je suis pour, évidemment. Finissons-en. Je trouve d’ailleurs que Florence Dupont, agrégée de lettres classiques je crois, est très exemplaire de la manie masochiste de ces élites françaises qui ne rêvent rien tant que la destruction de l’éducation qu’elles ont reçue et du monde qui les a et permises et formées… Toujours le même suicide.

     

  • Interview. Programme : No private joke

    Pour une Culutre citoyenne ! est le troisième texte de Tout faut.

    Je livre ici un extrait significatif du dossier de subvention d’ « aide à la production dramatique » déposé cette semaine auprès d’une Direction Régionale des Affaires Culturelles du Ministère de la Culture. Pas d’autre commentaire.

    Je livrerai plus tard ici même quelques unes des scènes indépendantes composant cette pièce ; au moins celles-ci : 1. Mission de sévice public et  6. Défense et illustration du Sinistère de la Culutre.

    Ces amples citations « culutrelles » seront toujours accompagnées du visuel que voici :

     

    76a5fb14de667aa0f9719cd4d5385883.jpg

     

    Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail.

                         Lautréamont, Poésies II

     

    J’entreprends ici, dans ce dossier de subvention, d’expliciter certains enjeux du texte Pour une Culutre citoyenne ! par une auto-interview évidemment factice.

    L’exercice permet à l’auteur de s’exprimer avec une relative franchise, et de ne pas sombrer dans les jargons qu’il exècre, précisément parce qu’ils imposent à de prétendues singularités socialement nommées artistes de s’exprimer dans une langue technocratique convenue, et partant, morte.

    J’essaie donc de donner à cette présentation officielle un caractère fictionnel minimal, et d’écrire ce bref texte comme une scène pouvant en droit trouver place dans l’œuvre présentée même.

     

    1. Pourquoi Culutre, et non Culture?

    J’appelle Culutre tout ce dont, programmatiquement, il ne doit demeurer rien : c’est-à-dire presque tout. Pour une Culutre citoyenne !

     

    2. Faut-il trouver seulement ironique ce titre étrangement exclamatif ?

    Il ne faut rien, et vous trouvez ce que vous voulez.

    La seule chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention est celle-ci : ce titre présente deux fautes de français : la première tient au mot Culutre lui-même, qui est un néologisme peu flatteur ; la seconde à l’impropre emploi du substantif citoyen comme adjectif épithète. Car en français – une langue qui ne se parle ni ne s’écrit plus – l’adjectif dérivé du substantif citoyen est civique.

    (Comme si on disait culture peuple en place de culture populaire, ou culture élite en place de culture élitiste… Parler d’une culture citoyenne, est au fond du même niveau de langue que de parler d’une « presse people », par exemple… et généralement, dans le milieu, c’est pour en faire l’apologie. Bien sûr. D’où, dans ce titre, le néologisme de Culutre, qui agit comme une distanciation.)

    Ceci pour faire entendre que si j’avais choisi pour titre un banal Pour une Culture citoyenne !, eh bien, ça n’aurait rien voulu dire non plus. Mais là, bien sûr, personne ne s’en serait aperçu.

    Parce que cette novlangue-là est couramment employée dans les milieux culturels.

     

    3. Bien. Mais quel est l’intérêt, au fond, de parler de la Culutre au théâtre ? Est-ce que ce n’est pas une private joke ?

    D’abord, le théâtre est le lieu où la Culutre n’est jamais critiquée.

    Vous verrez le théâtre critiquer à peu près tout, et tous les milieux, avec très souvent un mélange de naïveté, de morale puritaine et de bons sentiments tout à fait répugnant.

    Ensuite, je pense que la Culutre, loin d’être à part, loin de faire exception, loin de magiquement se situer au-dessus, est un milieu socio-professionnel qui catalyse toutes les imbéciles aspirations du monde contemporain.

    Pêle-mêle : Rivalité mimétique sous couvert d’égalité, promotions sociales délirantes et paupérisation globale, course impitoyable aux financements sous couvert de solidarité, chômage institué, volonté de se constituer en exception apparente par le sacrifice de la qualité au profit de la quantité (ce qui revient très exactement à rentrer dans la norme), intégrisme moral puritain au nom de la tolérance qui ne tolère qu’elle-même, mépris de sa clientèle qu’elle (la bien-nommée Culutre) nomme encore public quand elle n’a plus pourtant de réalité que statistique, et je passe sur le duo de choc prétentions démesurées et victimisations rentables

    En tout cela, la Culutre ne diffère donc pas, ou très peu, des autres aspects de notre monde rigolard.

    En somme : la qualité de la production est exactement indifférente ; seule compte la gestion optimisée du qu’en dira-t-on. Dictature de la communication. Comme partout.

    Aucune private joke, non. Bien au contraire.

     

    4. Donc, la Culutre, selon vous, est un milieu comme les autres ?

    D’abord, je ne vois aucune raison de principe pour laquelle un milieu ne pourrait pas être critiqué. Et moqué. Et fessé. Et battu. Je n’aime ni les communautarismes, ni les corporatismes.

    Alors commençons par balayer devant notre porte, avant de nous en aller pourrir de morale à la con des voisins qui, peut-être, ne nous méprisent pas sans raison.

    Mais il y a plus :

    Je trouve que la Culutre est tout de même à l’avant-garde. Elle est même, très loin à l’avant-garde du moderne, ce laboratoire où s’expérimentent les dernières innovations de la collusion libérale-libertaire :

    Sur une plateforme de financement public est créé une marché ultralibéral mettant en vente des produits presque exclusivement antilibéraux.

    La Culutre est tout à fait à l’avant-garde de la bassesse et de l’hypocrisie.

     

    J’ai écrit une farce. Pas une comédie. Il faut que ce soit violent. C’est même à la violence qu’il revient d’être drôle, dans la farce. On n’y exagère jamais assez.

     

     

    5. Oui, justement : pourquoi sous-titrer cette Culutre farce, et non pas comédie ? 

    La comédie, c’est sa définition classique, finit bien. Je ne mange pas de cette utopie-là.

    Maintenant, si vous entendiez comédie au sens vulgaire, au sens commun, qui est peut-être le seul un peu fondé, et si vous me demandiez en fait si l’on va rire à ma Culutre, je vous dirais alors que la farce s’apparente à la comédie en ce qu’elle divertit, certes, mais elle s’en distingue en cela qu’elle divertit exclusivement au détriment des puissants.

     

    Et aussi que si cette farce instruit, c’est uniquement à charge.

     

    (L’un des principes de la farce est évidemment celui de l’exagération monstrueuse. Un paradoxe, qui n’est peut-être qu’apparent, veut que cette exagération brutale soit seule capable de désigner la vérité.

    Il faut donc ne pas considérer les détails, et même les réputer négligeables, en l’espèce les maigres forces œuvrant, depuis le milieu culturel même, contre l’imbécillisation et l’analphabétisation globales. Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Précisément parce que le Diable est dans les détails.

    Ceci me contraint donc, et c’est heureux, à tenir pour rien ma propre position.)

     

    6. Mais cette Culutre, à quoi peut-elle bien servir ?

    1. A faire de la Propagande pour le néant.

    2. A abrutir encore un peu les imbéciles.

     

    3. A prouver que tout vaut tout dans un monde saturé de marchandises.

  • Ouverture : 2. Sur le titre

    Le titre se prononce facilement « tout faux », mais s’écrit Tout Faut, selon le désuet indicatif présent du verbe faillir : je faux, tu faux, il faut… Où la troisième personne du singulier recoupe exactement celle du verbe falloir.

    Je m’arrête là, dans ce champ les développements paraissant infinis : de la faille à la faute, de ce qu’il faut et de ce qui est vrai, sans parler de cette Faux que tient la Mort. Signalons encore, tout de même, que tout faut peut avoir le sens de tout tombe, tout faisant littéralement dé-faut ; et voici la gravité, la chute, the fall, the fault.

    En ce sens, c’est à l’endroit où tout faut (faillir) qu’il faut (falloir) instituer autre chose. Il est donc bien ici question de la Chute et du péché originel, et de la façon dont s’institue ce qui en Occident n’est rien moins que le Père.

    Cette romanesque succession de pièces, comme elle peut, de préférence en parlant d’autre chose, raconte que l’Occident est terminé ; raconte, fût-ce sous le couvert du libéral-socialisme planétaire, sa faillite.

    A moins que…

     

     

    Si vous riez en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.

    Si vous ne riez pas en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but, et peut-être cette fois en étiez-vous la cible. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.