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art contemporain - Page 3

  • Disparition de l'artiste

    Insoupçonné du monde jadis

    A présent lâché dans le monde

    Anonyme sans plus d’art

     

    Miroir sans tain, puis miroir tout court, simple vitre, vitre brisée (par toi), enfin plus de vitre… ton progrès fut ta perte. Plus de séparation, plus d’œuvre. Tu n’es l’autre de rien.

     

    Elle marche dans la rue, joue pour elle-même l’espion, c’est bien, tu as six ans.

    – Bonjour petite, je suis expert en communication, tu es une grande artiste.

    – Alors faites-moi de l’argent.

    (Dialogue traduit du globish.)

  • Magie du créateur

    Après le taï-chi du matin, le grand créateur R. met son costume rose sur mesure et va manger pour 1000 euros, seul, dans les jardins d’un grand restaurant réputé. Il se concentre ainsi, songe à sa performance improvisée du soir, trouve qu’il a encore faim, remange pour 1000 euros. A six heures, les caméras débarquent, puis son spectateur symbolique, un professionnel lui aussi.

    Il est enfin l’heure de performer, le spectateur tend son assiette, R., fidèle à sa réputation, y vomit copieusement, mais proprement – sans déborder –, regarde son spectateur heureux manger le visage dans l’assiette – ses mains sont entravées ; puis il touche son enveloppe du Ministère (100.000 euros), remet en ordre son nœud papillon et s’en va tandis qu’on interviewe un spectateur ravi :

    – C’est une performance dans lequel le spectateur est très actif, très créatif.

    Commentaire du journaliste : – Voilà comment on fait encore rêver les masses, en 2008. Nouvelle distribution d’enveloppes par le croque-mort du Ministère. La suite au Louvre, à Versailles, à Avignon… Rois et Papes, quoi, merde.

    Pendant ce temps, le contribuable regarde Docteur House.

  • Michel-Ange remix par Europack

    Loft parisien transformé en studio, murs blancs. Une boîte de conserve sans étiquette sur un piédestal blanc.

    – Dites, ça vous emmerde pas, si on vous paie au black ? demande le producteur.

    – Bah non, dit Gilbert, un grand Africain sans-papiers.

    – Alors, c’est réglé.

    Cocaïné de frais, Kevin Martin manifeste d’une flatulence syncopée son impatience.

    – Qu’est-ce qu’il faut faire ? demande Gilbert, qui s’écorcherait vif s’il le fallait.

    – Te pose pas de questions, mec. C’est compliqué. Tends à mort ta main vers cette boîte de conserve de merde que tu ne dois jamais toucher.

    – Mais pourquoi ?

    – Parce que c’est Dieu.

    Gilbert a un imperceptible mouvement de recul de la main.

    – Putain ! Tends plus tes doigts ! Il est con, en plus… Cette boîte de conserve, tu la veux ! Tu la veux et tu ne peux pas l’atteindre ! C’est Dieu, je te dis… Qu’il est con. Mais tends-les donc tes doigts, enculé ! Ouais, ouais, je veux voir tes veines gonfler comme une bite !

    – Je crois qu’on l’a, là, dit le producteur.

    – Ouais, on l’a, Alban. Putain, on l’a ! Je suis le nouveau Michel-Ange ! Putain de merde. Tu te rends compte ?

    Kevin Martin danse. Sonnerie de téléphone. Alban répond, raccroche :

    – Le journaliste arrive dans cinq minutes. Alain Potent, de l’e-Monde. Mais là, il pige pour Libé. Comment c’est ton nom ?

    – Gilbert.

    – Ta gueule, ce sera Youssouf, tranche l’artiste. On va te la défendre ta cause, tu vas voir. Allez, dégage, maintenant.

    – Et pour me payer ?

    – Putain, démerde-toi, prends la boîte de conserve. Allez, casse-toi.

    – Excuse-le, intervient Alban, il n’est pas diplomate. Tiens, voilà dix euros, en plus de la boîte hein. Et merci, hein, merci.

    Gilbert sort, entre Alain Potent. L’interview commence.

     

    Extraits de l’enregistrement :

    « – On a beaucoup dialogué, avec Youssouf, dit Kevin. Je voulais que ce soit un homme de couleur, un black hein, mais pas seulement pour les contrastes photo. Un homme avec une foi, aussi. Un rapport à Dieu. Ça doit se sentir dans la main, dans le gonflement des veines, que cet homme a besoin de Dieu. C’est ce qui nous manque, maintenant, à nous ici. Une foi. Et je crois que, dans une certaine mesure, c’est ce que l’islam apporte de positif à l’Occident. La laïcité permet très bien ça et c’est bien. »

    « – Evidemment, il y a le rapport à la nourriture aussi, à la faim dans le monde. On n’est jamais assez sensibilisé à ça. Il faut que le spectateur se sente coupable. Puisqu’il l’est. Et puis Youssouf est sans-papiers. Il vit dans des conditions effroyables, avec sa famille. Nous soutenons d’ailleurs sa régularisation… »

    « Ouais, le film sera diffusé tous les soirs à la télé. Des photogrammes seront présentés à Beaubourg. Mais le film, lui, tous les soirs. C’est important, que les gens voient ça. On me demande souvent si je n’ai pas honte de faire des pubs pour des produits de l’agro-industrie. En plus, c’est du bio. Mais non. Tant que je peux faire passer mes messages, tant qu’on va dans le bon sens… En plus, ils paient vachement bien chez Europack et nous, une fois les frais dégagés, ça nous permet d’aider un peu Youssouf, alors… »

    Conclusion d’Alain Potent :

    « – Non, les gars, c’est vachement bien, ce que vous faites… Vraiment… »

  • Défendre Jan Fabre

     

    Critiquer Jan Fabre ne présente que très peu d’intérêt. Critiquer l’éloge qu’on fait de lui m’a semblé plus pertinent. Aussi ai-je pris l’initiative de recopier ici le texte de présentation de cet « artiste » qu’on peut lire ici sur le site du Festival d’Avignon, ce sommet culturel. Le texte qui suit est signé Irène Filiberti, qui est critique de danse, je crois ; les notes, assez copieuses, entre parenthèses sont de moi.

     

     

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    Dans un autoportrait, sculpture réalisée dans le cadre de son œuvre plastique (la sculpture est réalisée dans un cadre ? comment une sculpture ne serait-elle pas une œuvre plastique ?), Jan Fabre, artiste anversois (pas belge, hein, anversois : évacuation de la nationalité, encombrante sans doute), né rebelle (il n’y est donc pour rien, le pauvre) en 1958 (cinquante ans de rébellion au compteur, à ce jour), est assis devant une table (ça alors). Il a le corps entièrement couvert d’une étrange fourrure (j’imagine que c’est à ça qu’on le reconnaît ; veuillez noter que son corps aurait pu être recouvert d’une fourrure qui ne soit pas étrange : Jan Fabre ne serait-il pas un animal ?). L’impressionnante quantité de clous dorés, minutieusement plantés les uns à côté des autres (il y a de la main d’œuvre, quand même), la pointe (la fourrure, donc) vers l’extérieur (vous avez déjà vu une fourrure pointée vers l’intérieur ?), produit un effet de pelage doux, chatoyant, hérissé, piquant (c’est presque conformiste, cette dernière épithète ; des clous pourraient piquer ? Navrant.). Cette énigmatique (de quelle énigme parle-t-on ?) carapace (donc une fourrure de clous est une carapace) forgée d’ambivalence (plantez des clous les uns à côté des autres, et vous aurez une fourrure qui est aussi une carapace, le tout ayant nécessité un travail de forgeron, sachant qu’un forgeron est un artisan qui travaille, non pas le fer comme on avait cru jusqu’ici, mais l’ambivalence) est à la fois signe et médium d’une démarche singulière qui se déploie depuis les années soixante-dix (tout cela va loin. Explications : La carapace est le signe d’une démarche. Elle en est aussi le « medium », c’est-à-dire : le moyen. Une démarche qui, voyez-vous, se déploie. Donc la carapace aussi. On comprend que la démarche soit singulière. La carapace est donc à la fois la représentation des jambes de l’artiste, et les jambes réelles de l’artiste. Et cela dure depuis les années soixante-dix. Faut-il lire entre les lignes que Jan Fabre souffre d’un handicap moteur ? Qu’il est l’homme-tortue à carapace-fourrure de clous ? Que les 4 Fantastiques étaient 5 ?)

    L’image et le corps sont la clef de voûte  des recherches artistiques (n’importe quel architecte vous le confirmera : rien n’est plus simple, avec une image et un corps, que de constituer une clef de voûte de recherches artistiques) de Jan Fabre. Plasticien, il en (mais de quoi ? Ce mot n’est-il pas de trop ?) traverse l’histoire et ses représentations (si un plasticien et un seul traverse l’histoire et ses représentations, il faut implicitement que l’histoire lui soit contemporaine, voire même, si l’on suit l’hypothèse mégalomaniaque, qu’elle commence avec lui ; à moins qu’il ne faille conserve le « en » et lire que le plasticien Jan Fabre traverse, de ses recherches artistiques, l’histoire et ses représentations…) au fil d’une œuvre foisonnante et protéiforme (mentions obligatoires) : dessins (sans blague ?), monochromes au bic bleu (moi aussi, au primaire, j’en faisais dans les marges de mes cahiers), sculptures composées d’insectes ou de matières animales (là, je me faisais engueuler par ma mère, qui n’a décidément rien compris à l’art), performances (tiens, un sportif). Dans l’une d’entre elles (« elles » doit se rapporter à « performances », j’imagine), créée en 1976, il écrit avec son propre sang : “mon corps, mon sang, mon paysage” (quelle audace, quand même ; quel écrivain ; et quelle pensée !). Plus récemment, en duo avec Marina Abramovic (connais pas, cause pas), tous deux vêtus d’armures inspirées d’insectes (notez la formule : « armures inspirées d’insectes ») mâle et femelle, enfermés dans un cube transparent (on peut regretter que le cube soit transparent, non ?) se livrent durant plusieurs heures à une série d’actions où rituels et épuisement (l’épuisement est une action, donc, et non la conséquence d’une action) stigmatisent les préoccupations du body art (waou ! rituels et épuisement stigmatisent des préoccupations ! Quant à savoir quelles sont les préoccupations du body art, ou comment, concrètement, on stigmatise des préoccupations, vous repasserez) à travers un culte imaginaire sur le thème du sacrifice et du pardon (la réponse est là, suis-je bête : on stigmatise des préoccupations à travers un culte – comment passe-t-on à travers un culte ? – , sachant qu’un culte porte toujours sur un thème, comme les soirées télé d’Arte ; quant au sacrifice et au pardon… pas moyen de voir le rapport avec les insectes, mais je suis sans doute bouché) que ces deux “vierges-guerriers” (est-ce que ça veut dire que les deux insectes Fabre et Abramovic ne baisent pas, mais s’affrontent, dans leur boîte transparente pour spectateur entomologiste ?) explorent (parce qu’un culte, voyez-vous, ça s’explore) au fil de la performance (la performance, en somme, se réalise au fil de la performance).

    Au théâtre, qu’il investit avec éclat (ça veut dire quoi ? qu’il gagne du pognon ? qu’on parle de lui dans les journaux?) au début des années quatre-vingt, ses investigations (ses investigations sont-elles distinctes de ses investissements ?) en tant qu’ (« d’ » serait moins laid qu’ « en tant qu’ ») auteur et metteur en scène sont autant (pourquoi « autant » ; retirez-le, la phrase sera française) de flamboyantes provocations (bref, s’il investit avec éclat, il « investigue » en flamboyant provocateur. En flambeur, quoi). Mais là encore (?), il reste le peintre (il n’a pas été question de peinture auparavant) d’une fascinante iconographie ciselée au scalpel (ciselé vient de ciseau, pas de scalpel, sans compter qu’on ne peint pas avec un scalpel, on scalpe), qui rappelle souvent les primitifs flamands (ah oui ? mais en quoi ? Il faut donc bien comprendre ceci : les primitifs flamands peignaient avec des scalpels ciselant des iconographies fascinantes ; en quoi ils imitaient Jan Fabre sans le savoir).

    À l’instar de son homonyme avignonnais, Jean-Henri Fabre, dont il dit être l’héritier (on peut donc hériter – unilatéralement – de ses homonymes ? Intéressant…), l’artiste est aussi entomologiste à ses heures (aux heures de qui d’autre, sinon ? Pourquoi préciser ?). Ses observations le portent à disséquer les comportements humains comme on étudie le monde des insectes (cette phrase est un chef d’œuvre. Expliquez-moi concrètement comment on dissèque un comportement. Qu’on l’observe, je veux bien ; mais la dissection n’est ici rien d’autre, me semble-t-il, que la métaphore de l’observation. Le début de la phrase voudrait alors simplement dire que « ses observations le portent à observer les comportements… », ce qui n’a guère de sens. Fort harmonieusement, la suite n’en a pas davantage : les insectes ont un monde, tandis que les hommes n’ont que des comportements (et non l’inverse) ; comment davantage faire l’impasse sur la parole ?). Maniant sans crainte l’obscénité et le sublime (je ne vois pas le rapport avec l’entomologie), Jan Fabre combat avec l’art, contre les conventions (l’art étant avant tout convention, on peut déduire que Fabre combat avec l’art contre l’art : c’est, si j’ose dire, un artiste à somme nulle. Un zéro, quoi.). Parfois proche du carnaval ou des mystères du Moyen-Âge, son théâtre (ah, on parle de théâtre…) est une vigoureuse entreprise de libération (de libération de quoi, au juste ? et quel rapport avec les mystères médiévaux ?) où le corps et l’acteur (tiens, ils sont séparés) mènent la danse (monsieur est chorégraphe) tandis que la scène (tiens, la scène n’est pas située dans le même espace que le corps et l’acteur, séparés eux aussi, qui mènent la danse) est un champ de bataille où se côtoient différents éléments duels (notez que les élément duels se côtoient, et ne s’affrontent pas : ce qui contredit l’idée de champ de bataille). Ordre et chaos, règle et transgression, séduction et dérision, immobilité et mouvement, mondes nocturnes et diurnes (le jour et la nuit, quoi. Que d’inventions ! Quelle avant-garde !).

    Dès 1982, avec C’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir puis Le Pouvoir des folies théâtrales (1984), à l’écart de tout effet de distanciation (« à l’écart », et non pas « sans », implique qu’il y a bien un effet de distanciation quelque part, mais que l’artiste s’en tient, justement, à distance : en somme il distancie la distanciation : Fabre, c’est Brecht au carré), il met en scène cet univers singulier (?), saturé d’intensité (ça veut dire qu’on ne comprend rien, je crois,), en constante résonance charnelle (ça ne veut rien dire : résonance charnelle). Désir, violence, cris, pleurs, érotisme, (toujours pas de parole) cette dramaturgie de la démesure se développe de pièce en pièce (il a un grand appartement, Jan Fabre) cherchant à déjouer, voire pulvériser les normes afin de mettre à jour les désastres (pourquoi ? ils ne sont pas à jour les désastres ? ils sont en retard ? Ou vouliez-vous dire « mettre au jour » ? D’un autre côté, il se peut que le désastre ne consiste en rien d’autre que dans la pulvérisation des normes. C’est donc le théâtre de Fabre qui est un désastre), les effrois de la condition humaine (l’effroi est muet, comme on sait : toujours pas de parole). Dans As long as the world needs a warrior’s soul, pièce consacrée aux poètes des révolutions, Jan Fabre revisite les utopies (ça a l’air d’aller de soi, mais ça ne veut rien dire : quand les avait-il visitées la première fois, ces utopies ? Est-ce que ça se visite comme le Louvre, une utopie ?). Dans Parrots and Guinea Pigs, spectacle conçu comme un laboratoire des sens (ça ne veut rien dire non plus, laboratoire des sens), le metteur en scène qui voue au scarabée un véritable culte (il est débile léger, Jan Fabre ? ou bien il a le compteur bloqué sur les Beatles ?), développe un délirant  bestiaire (comment développe-t-on un bestiaire, même délirant ?) où le jeu entre hommes et animaux traite de ce que l’humain a perdu sous l’influence des sciences et des nouvelles technologies (il a perdu quoi, au juste ?), (de) ce que peut-être l’animal sait encore de l’organique (l’humain perd, mais l’animal sait, ouf, nous sommes sauvés, vite, donnons des droits aux animaux).

    Aujourd’hui, toujours privilégiant cette plastique de la saturation (de quoi ?), du dérèglement (de quoi ? Et qu’est-ce que c’est, une plastique de la saturation et du dérèglement ?), qui fait la marque (déposée ?) de ses spectacles (notez que la plastique fait la marque), Jan Fabre a gardé intacts son humour (tant mieux pour lui) et la fièvre de ses visions (ce sont ses visions qui ont la fièvre, pas lui). Il se dit heureux (on est content pour lui) d’avoir créé un monde palpitant (pas du tout complaisant, ça…) qui abrite (c’est la fonction du monde, d’abriter ?) ces “guerriers de la beauté” (ça claque !) que sont les interprètes (moi aussi, je rêve d’un monde qui palpite en abritant des guerriers qui sont encore autre chose), pour lesquels il écrit aussi des monologues de théâtre et des solos de danse (et des images, il en écrit aussi, avec son scalpel ? Mais pas de recettes de cuisine, non ?).

    En témoigne Elle était et elle est, même, pièce créée pour son actrice fétiche et muse Els Deceukelier (virgule) dont le titre se réfère à la machine de La mariée mise à nu par ses célibataires, même de Marcel Duchamp (cent ans d’avant-garde pour Marcel !).

    La beauté sauvage de la démarche (fourrure de clous et carapace en guise de jambes, souvenez-vous) de l’artiste flamand (toujours pas belge, donc) reste proche des jeux de l’enfance (de la toute petite enfance, pipi, caca, aga, aga), dans un espace particulier (un parc pour bébé ?) où le rêve et le geste de la création (dans l’ »espace particulier », donc) ont conservé quelque chose (on ne peut sans doute pas être plus précis) de l’esprit de la Renaissance (de la Rechute, comme disait Chesterton. Cette phrase ne veut rien dire : La beauté de la démarche de J. F. reste proche des jeux de l’enfance dans un espace où rêve et geste gardent un truc de l’esprit de la Renaissance. Aucun sens). L’idée d’un homme qui, à travers différents langages, poésie, peinture, danse, théâtre (ce sont des arts, pas des langages ; les gens qui ne veulent plus de la langue voient des langages partout), “cherche et trouve l’univers dans la simple exploration de sa propre singularité” (il lit dans ses propres entrailles ? il dissèque son caca ? On dirait le Devin, dans Astérix. Un charlatan, quoi. D’autant que, si je lis bien la phrase, Jan Fabre n’est pas un homme, il est l’idée d’un homme. Une manière d’essence supérieure, quoi). Ainsi les pièces de Jan Fabre sont-elles empreintes, au-delà de l’excès (il y a quoi, au-delà de l’excès ? la mort ?), d’une profonde tendresse envers l’humain (non mais, quel coquin, ce Jan Fabre).

     

     

     

    Conclusion : Il est possible de défendre Jan Fabre : en disant n’importe quoi.




     

  • De l'approbation du monde

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    Je réunis ici quelques notes approximatives sur l’art, le mouvement, et la revue du même nom, peut-être aussi sur la religion.

    Et je voudrais pour commencer les placer sous cette citation de Botho Strauss, tirée d’un texte intitulé « Supporter la distance » consacré à Rudolf Borchardt – écrivain presque inconnu en France, le seul titre traduit étant, à ma connaissance, Déshonneur chez Verdier – texte qu’on peut lire dans Le Soulèvement contre le monde secondaire, paru chez L’Arche éditeur.

     

    Quoiqu’il en soit, le dix-neuvième siècle reste le siècle d’un des plus grands schismes de l’histoire universelle. Faute en est à ce concept qui lui est propre « et qui n’appartient qu’à lui seul : l’émancipation », source originelle de toutes nos erreurs à longue portée, puisque l’émancipation sociale ne peut créer que des affranchis et jamais des gens libres puisque – selon la dialectique de l’histoire culturelle selon Borchardt – il est inscrit sur les tombeaux de toutes les cultures historiques que « quand ce sont des affranchis qui dominent, ce n’est pas le commencement de la liberté mais la fin de celle-ci. Le principe de l’émancipation est en effet l’émancipation sans fin, il lui faut toujours trouver «  de nouveaux quanta d’émancipable ». Ce ne sont pas seulement la religion et la coutume, mais presque immanquablement aussi la capacité de souvenir de la poésie qui sont sacrifiés au radicalisme du progrès – à la domination de Chronos qui avale ses enfants. La poésie devient littérature, elle se politise – « ce qui est une création exclusive de dix-huitième siècle » – elle devient l’esclave de la primauté du politique, au lieu comme jusqu’alors « de donner son contenu à la politique, comme cela fut, de Dante et Pétrarque à Machiavel, de Milton et Voltaire jusqu’à Schiller, et par-delà le romantisme allemand jusqu’à Hegel… »

     

     

     

    L’approbation du monde

    Peu de choses sont aussi réjouissantes que l’art contemporain, qui est une sorte de journalisme des choses. Peu de choses sont plus modernes aussi. Peu de choses ont atteint leur point d’autodestruction avec un air de trouver cela formidable. Peu de choses sont aussi fausses. Et peu de choses surtout sont autant de choses.

    Car rien n’a jamais approuvé le monde qui vient comme l’art contemporain. Le monde qui vient, quoi qu’il fasse, et quoi que puisse être précisément ce qui vient. L’art contemporain est une approbation immensément satisfaite de l’ordure la plus banale.

    Il n’est pas seulement question d’allégeance. Défendant des choses dans un monde presque entièrement voué à la production et la consommation de choses, l’art contemporain trouve en se prétendant subversif et rebelle sa place à la pointe du marché…

    Il faudrait d’ailleurs réfléchir que l’épithète contemporain est un adjectif très particulier : il ne qualifie pas son substantif, il le disqualifie. Exemple : un écrivain contemporain, l’histoire contemporaine.

    L’art contemporain en somme s’est affranchi de l’art. Il s’est libéré des techniques et disciplines anciennes, de toutes les règles censées permettre une représentation du monde (et de soi), et finalement il s’est affranchi de lui-même. En devenant contemporain, il a cessé d’être art. Et il ne lui est demeuré que le marché, avec le mode de réticulation qui lui est propre : le quadrillage planétaire, et cette éthique vite satisfaisante : la bonne conscience politique érigée en label de qualité. Quel verrouillage…

    Conséquemment aussi, l’art contemporain s’est étendu à la plupart des choses qui existent, pourvu qu’elles soient produites à notre époque : une boîte à œufs, un urinoir, un philosophe, une dictature, un baril de lessive, une enseigne publicitaire, n’importe quoi en somme. N’importe quelle chose…

    La difficulté de l’art contemporain ne tient jamais à la réalisation d’une œuvre, mais simplement à la manière de la faire viser, reconnaître par des instances supérieures, prétendument compétentes alors même que toute compétence est impossible.

    Voilà un art qui tient pour rien, non sans pour une fois quelque raison, ses marchandises, mais qui impose à ses artistes tout un jeu servile de relations sociales, rédaction de dossier, voyages, entretiens divers, toujours d’une façon ou d’une autre stipendiés, dont le seul but est d’écraser la concurrence.

    Le public ne comprend rien à l’art contemporain ? Allons, c’est d’abord parce qu’il lui demeure une vague idée de ce qu’était l’art d’avant. Mais cela même va finir. C’est ensuite parce qu’il n’y a littéralement rien à comprendre, sauf : cet artiste est génial ; la preuve en est qu’il s’est débrouillé pour qu’on le dise. Ah, le qu’en dira-t-on à l’époque de la prostitution de tout et de tous, contre tout et contre tous…

    L’artiste contemporain est en somme un VRP du néant. Il se tient donc à l’avant-garde de la destruction de tout. Il doit bouger sans cesse, se déplacer, surprendre, ne surtout jamais se répéter, ou se répéter sans cesse en arguant d’une différence chaque fois dans la répétition, il doit se dépasser, ne pas rester immobile, se dépasser encore et, les règles étant abolies, surenchérir sans cesse dans la connerie et la provocation, il doit être en mouvement, c’est-à-dire en somme : être le progrès, car le progrès, c’est sa pente, est en mouvement…

     

     

     

    Mouvement, revue indisciplinaire

    Notre merveilleuse époque, qui a remplacé l’art par l’artistique, la culture par le culturel, toutes choses également bonnes de ne se trouver ni histoire ni définition, semble toutefois s’être effarouchée de remplacer la discipline par le disciplinaire.

    Le mot eut été peut être trop martial pour cette époque de pacifisme moutonnier ; peut-être n’eut-il pas été assez flou et trop encore chargé de sens.

    L’époque ne hait rien tant que les règles, qu’elle assimile de façon délirante aux tabous, dont chacun sait qu’il faut les faire sauter, les éclater, etc.

    Sur le même modèle de substantivation des adjectifs,  l’époque a néanmoins foncé droit sur les termes de pluridisciplinaire et de transdisciplinaire, pour finir par créer – car rien aujourd’hui ne se pare des atours publicisés de la création comme ce qui se fait ouvertement gloire de détruire le passé, c’est-à-dire : la possibilité de la connaissance – le joli mot d’indisciplinaire.

    C’était un assez gros travail, déjà, de maîtriser une discipline ; mais du fait de la proximité réelle de certaines, il n’était pas impossible d’en maîtriser plusieurs : on a ainsi pu être, cela s’est vu, philosophe et romancier, romancier et dramaturge, dramaturge et metteur en scène, dramaturge et comédien, peintre et sculpteur, musicien et librettiste, etc.

    Ce qui est nouveau, et que l’antérieure connaissance des disciplines ne permettait pas, c’est de mélanger tout, et fort harmonieusement, de mélanger tout n’importe comment. Ceci claque comme le symptôme de notre époque prétendument libérée ; c’est en effet le symptôme de la maladie qui doit définitivement emporter cette civilisation ancienne. La maîtrise de plusieurs disciplines par un individu, jadis, ne visait aucunement l’abolition des frontières les séparant.

    Mais on est aujourd’hui d’autant plus transdisciplinaire ou pluridisciplinaire qu’on s’est généralement épargné la peine – quel mot horrible ! – d’en étudier une seule.

    (Ce serait d’ailleurs un excellent critère pour juger de la valeur de certaines études artistiques que celui de leur propre ouverture aux autres disciplines…)

    Et c’est ce que dit tranquillement, l’air de rien, le joli mot d’indisciplinaire – dans lequel, pour une fois, on peut lire ouvertement la haine de toute discipline et le rejet du passé.

    Ce Mouvement  doit en somme être seulement présent, incessamment présent, se recouvrant à chaque instant lui-même, abolissant toute mémoire qui ne soit pas d’abord – le faux est là – une chose neuve. Ce Mouvement est l’autre nom du présent perpétuel ; il est une préfiguration terrestre de l’Enfer et il est réalité. Dans le civil, on parlera plus aisément de progrès.

     

     

     

    Religion (guerre des représentations)

    Toutes les considérations, certes approximatives, qui précèdent sont faites en somme d’un point de vue religieux, sur son versant anthropologique, mettons.

    Une société sans religion n’existe pas, ne saurait exister. Dès qu’une religion est sue, dès qu’elle se connaît pour telle, dès en somme qu’elle dévolue du statut de Vérité à celui d’opinion, dès qu’elle se meut en hérésie, conserverait-elle formellement ses dogmes, elle est foutue : elle se relativise elle-même et s’effondre…

    Une autre, insue celle-là, lui a sans doute déjà succédé.

    Je vais tenter d’illustrer mon propos de deux images très récentes (pour ne pas dire contemporaines), lesquelles j’accompagne de citations, d’ordres divers. Ces deux images sont de même nature : elles sont purement publicitaires.

     

    La première est une couverture récente de la revue indisciplinaire Mouvement :

     

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    Un dieu fut grand jadis, débordant d’une audace prête à tous les combats : quelque jour on ne dira plus qu’il a seulement existé.

    Eschyle, Agamemnon (paroles du Chœur, traduction de Paul Mazon)

     

    Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science.

    Adolf Hitler, cité dans Propos de table

     

     

    La seconde de ces images est une publicité de l’AKP, le parti islamiste (« intégriste » donc) au pouvoir, visant à promouvoir l’intégration de la Turquie à la Communauté européenne :

     

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    Un grand prodige parut aussi dans le ciel. Une femme revêtue du soleil, qui a la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles.

    Saint Jean, Apocalypse (traduction de Bossuet)

     

    Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.

    Le Coran (traduction Kasimirski)