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Michéa - Page 2

  • L'enseignement de l'ignorance

    Les constats éclairés de Jean-Claude Michéa seraient pour le moins désespérants, si tout hélas ne portait à les justifier – et je tiens qu’il faut tenter de ne pas désespérer de la réalité, tout espoir, catastrophe incluse, ne pouvant malgré tout venir que d’elle –, et s’ils ne se trouvaient présentés dans des livres dont je dirais qu’ils sont rafraîchissants d’intelligence ; car c’est une consolation de savoir qu’il se trouve encore en ce pays en proie au plus grand sinistre de son histoire, sinon pas : en proie au sinistre de son histoire même, quelques esprits capables de nous donner, des maux dont nous souffrons, une explication raisonnable, étayée par des faits vérifiables, dans une syntaxe impeccable (1).

    Aussi, étant sur tant de points bien au-dessous de cet auteur, n’entreprendrai-je pas une critique du livre qui m’intéresse ce jour, L’enseignement de l’ignorance, mais me contenterai-je de recopier le chapitre V de ce livre, que je m’autorise au surplus à débarrasser de ses notes, au demeurant fort intéressantes :

     

    A présent qu’il s’efface de nos vies, et bientôt de nos mémoires, nous comprenons un peu mieux ce qu’était vraiment le monde moderne jusqu’à une date récente. Ce qui faisait sa complexité effective, au-delà des simplifications rituelles de l’idéologie, c’était justement cette contradiction permanente entre les règles universelles du capitalisme et la civilité particulière des différentes sociétés où sa construction était expérimentée.

    C’était donc un monde où le « mode de production capitaliste » était bien loin de régner en maître. Tout autour de lui, en effet, subsistait un vaste ensemble de conditions écologiques, anthropologiques et morales, où, sans doute, le pire pouvait côtoyer le meilleur, mais dont on s’aperçoit, rétrospectivement, que si elles avaient rendu possible un degré déjà élevé de production capitaliste, c’était dans la mesure même où, selon des modalités diverses, elles permettaient d’en limiter ou d’en amortir les effets les plus dévastateurs. C’est, avant tout, ce dispositif historique compliqué qui rend intelligible l’ambiguïté constitutive de la plupart des institutions du temps, à commencer par l’Ecole républicaine, elle-même.

    Une fonction décisive de cette dernière était déjà, bien sûr, de soumettre la jeunesse aux contraintes de l’Ordre Nouveau, c’est-à-dire au règne naissant de l’universalité marchande et de ses conditions techniques et scientifiques. En témoigne, entre mille exemples, le combat obstiné mené par l’Ecole laïque contre les « patois » et contre diverses traditions populaires ou locales qui, d’un point de vue capitaliste, sont toujours, par définition, archaïques et irrationnelles. C’était également un lieu – où cette fois pour des raisons tenant, essentiellement, aux lointaines origines historiques de l’institution – s’exerçaient encore trop souvent des formes de discipline, de surveillance et de contrôle autoritaire, à coup sûr incompatibles avec ce qu’exige la dignité des individus modernes. Mais, en même temps, cette Ecole républicaine se souciait réellement – et sans doute, avec beaucoup de sincérité – de transmettre un certain nombre de savoirs, de vertus et d’attitudes qui étaient en eux-mêmes parfaitement indépendants de l’ordre capitaliste. On aurait le plus grand mal, par exemple, à déduire la décision d’enseigner le latin, le grec, la littérature ou la philosophie, des contraintes particulières de l’accumulation du Capital. En réalité, chacun voit bien qu’une culture classique réellement maîtrisée, nourrie, par exemple, des modèles du courage antique ou des chefs-d’œuvre de l’intelligence critique universelle, avait au moins autant de chances de former des Marc Bloch ou des Jean Cavaillès, que des spectateurs sans curiosité intellectuelle ou des consommateur disposés à collaborer sur tous les modes au règne séduisant de la marchandise.

    C’est ce fragile compromis historique, sur lequel reposaient, tant bien que mal, les différentes sociétés modernes, qui s’est trouvé progressivement brisé, au cours des inoubliables années soixante.

     

    A suivre…

     

    (1) Signe de temps, je me demande en revanche comment et si ma phrase tient debout.

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  • Accélérer la catastrophe (2)

     

     

     

    – C’est quoi, Papa, un progressiste ?

    – C’est un type comme tout le monde, et qui donc chute, mais qui, enivré sans doute par sa propre chute, trouve justement qu’il chute vers le haut

    – Tu ne crois pas au Progrès, toi ?

    – Mais si. Je veux bien croire qu’en travaillant, on peut faire des progrès.

    – Pourquoi tu n’es pas progressiste, alors ?

    – Parce que je ne crois pas à la magie.

    – Et la magie, c’est quoi, alors ?

    – Justement, c’est croire qu’on s’élève lorsque l’on suit sa pente.

    – C’est comme le progressisme, alors ?

    – Oui, c’est de la folie furieuse. Allez, file te coucher, il est tard.

     

    Je regarde les livres sur la table.

    L’Empire du moindre mal, magnifique essai de Jean-Claude Michéa.

    Le Soulèvement contre le monde secondaire, de Botho Strauss.

    Dominium mundi, de Pierre Legendre.

    Entre autres…

    J’allume une cigarette, je me sers un whisky.

    J’ai sous le nez, sur Causeur.fr, un texte d’Elie Barnavi sur la laïcité...

    Je précise à d’éventuels nouveaux lecteurs, que j’ai pris récemment la déplorable habitude d’appeler Sarkozy le Président Grenelle (dans ce texte, pour une fois, la citation de Grenelle est exactement empruntée à son modèle dans la réalité). C’est un personnage que j’invente. Un personnage comique, je le précise. J’ai la joie de vous annoncer (c’est une exclusivité) que le prénom de ce personnage est Michel, ce qui permet à ses amis de l’affubler du gentil sobriquet de Mickey. Welcome to Wonderland…

    Bref, on nage en plein suicide. Il est onze heures du soir…

     

    – Et la laïcité, Papa, c’est quoi ?

    – Mais bordel de merde, je n’en sais rien, moi. Pardon. Ça veut dire que tout ce qui s’est passé avant 1789 est un immense paquet de sanguinaires saloperies, et ce qui s’est passé depuis aussi, à deux ou trois exceptions près. Et ça veut dire que nous, nous qui avons bien sûr tout pigé, nous sommes sinon vachement bons du moins sur le point de le devenir en sortant tout à fait de l’humanité.

    – Mais comment on le sait, qu’on est bon ?

    – Mais on l’a décidé, mon petit gars. Après Auschwitz, on s’est dit que ce serait vachement bien de devenir bons ; et on a décrété qu’on l’était, toujours cette putain de baguette magique. Puisqu’avant, c’était mal.

    – Ah ? Mais bon, la laïcité, c’est quoi ?

    – Il y a des curés dans ton école ?

    – Non.

    – Eh bien, tu vois, c’est ça, la laïcité.

    – Oui… Mais des curés, c’est quoi ?

    – Des gens d’avant. Qui croient en Dieu.

    – Quand c’était mal, alors ? Mais Dieu, alors…

    – Tu ne veux pas me foutre la paix, dis ? Pardon. Laisse-moi fumer peinard devant mon écran d’ordinateur et va te coucher, mon grand.

     

    Je ne sais d’ailleurs pas moi-même clairement distinguer ce qui, dans la suite de ce texte, relève de la farce et ce qui relève du tragique.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire.

    J’aime penser que c’est un don ; mais c’est un don pénible.)

    Je vais donc vous coller là tout un tir de barrage de citations diverses, qui vont faire vachement bien, avant mes conneries de dialogues de piliers de bars (non-fumeurs).

     

     

    « Le réactionnaire n’est précisément pas cet empêcheur ou cet incorrigible rétrograde que fait de lui la dénonciation politique – il marche au contraire en tête quand il s’agit de rappeler le souvenir de quelque chose d’oublié. Il a ici et maintenant devant lui les voiles épais de l’illusion technique et du vide de sens, et il veut les fendre, au moins pour des moments lucides, dans lesquels se révèlent Présence, Sens et Logos. »

    Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.

     

     

    « Si le Droit constitue, pour le libéralisme politique, l’instance de régulation suprême qui doit se substituer à toutes les autres, ce n’est naturellement pas à la manière, jugée arbitraire et étouffante, des anciens montages normatifs – que ce soient, là encore, ceux de la coutume, de la religion ou de la vertu républicaine. La « théorie de la justice » sur laquelle se fonde la nouvelle autorité du Droit a, en réalité, peu de chose à voir avec ce que la philosophie traditionnelle avait jusqu’alors pensé sous ce nom. Elle ne se soucie plus, en effet, de définir des Idées ou de saisir des Essences, c’est-à-dire de s’exprimer au nom d’une quelconque « Vérité », quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. Bien plus que d’une « théorie de la justice », il conviendrait plutôt de parler à son sujet d’une théorie de l’ajustage ou de l’ajustement. Pour l’essentiel, en effet, il s’agit seulement de mettre au point les combinaisons institutionnelles les plus efficaces, donc de calculer au plus juste le système de poids et contrepoids (checks and balances, disent les philosophes anglo-saxons) qui permettra de maintenir l’équilibre des libertés rivales en leur imposant un minimum d’exigences – en leur garantissant, si l’on préfère, le taux d’imposition existentielle le plus bas possible. Une théorie libérale de la justice ne doit donc engager, par principe, aucune réflexion philosophique particulière sur ce que pourrait être la meilleure manière de vivre. Elle se limite, au contraire, à définir les conditions techniques d’un simple modus vivendi. »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout.

    » […] La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. »

    Mickey Grenelle, discours au Palais du Latran

     

     

    « La « neutralité axiologique » revendiquée par le libéralisme a parfois de curieuses conséquences. Rien ne peut logiquement interdire, en effet, que l’on utilise le racisme lui-même, à titre pédagogique, si l’on a de bonnes raisons de penser que c’est un moyen politique efficace pour parvenir à l’égalité des droits (c’est le principe de toute affirmative action). C’est ainsi que Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, a pu tranquillement déclarer (lors d’une émission de Frédéric Taddéi, diffusée sur France 3), et sans susciter, cela va de soi, la moindre réaction politique ou médiatique, que la première condition pour « rééduquer le reste de la société occidentale », était de considérer tous « les Blancs » comme des « sous-chiens » (Cf. Marianne, 30 juin 2007). »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « Question « bonheur », les experts savent. Qu’y a-t-il de plus enviable que la non-mort assurée, la « Fontaine de Jeunesse », les muscles et la peau en bon état, l’esprit léger, un sexe performant, l’idéal de consommer sans trêve ? »

    Pierre Legendre, Dominium mundi  (L’Empire du management)

     

     

    « Mais ce n’est quand même pas une raison pour aller tomber dans l’excès. Les chrétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou des Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre « spectaculaire intégré ». Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles. »

    Guy Debord, « Cette mauvaise réputation… »

     

     

     

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    I

    – Tu crois à la laïcité, toi ? – Pardon ? – Peut-être que ça existe la laïcité, mais je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait y croire. – Peut-être que c’est une religion, après tout. – Une religion de substitution ? – Ouais, une religion du vide, une manifestation enfin du nihilisme… – La laïcité, c’est un machin inventé pour en finir, ou au moins réduire, amoindrir la présence et l’influence de l’Eglise catholique en France. – En même temps, les laïcs ont toujours existé : un laïc, c’était juste quelqu’un qui n’était pas entré dans les ordres, non ? – Les choses alors se jouaient en France entre ceux qui étaient chrétiens et ceux qui ne l’étaient plus, ou ne voulaient plus l’être. – Entre les fils qui suivaient, tant bien que mal, leurs pères, et ceux qui, métaphoriquement ou pas, leur tranchaient la tête.

     

    II

    – L’autre question, c’est celle de la Référence, je crois. La société libérale (et j’entends par là aussi bien la gauche que la droite, aussi bien la droite que la gauche) tend à évacuer l’idée même de Référence : elle ajuste simplement son droit en fonction des groupes de pression. Qu’ils soient avoués ou non, visibles ou pas. – C’est bien ce que je dis : la laïcité est une religion de transition, une coque vide. Elle ne garantit rien. – Ce que met en place la société libérale, c’est en somme ce que Michéa appelle « neutralité axiologique ». – Ceux qui sont là, en somme, ont toute latitude à revendiquer tout ce qu’ils veulent, et quoi que ce soit. – Oui. La justice tranchera. – Et elle tranchera de plus en plus n’importe comment, puisqu’elle-même sera privée de toute Référence… elle aura à faire avec des concepts bidons, comme celui de « laïcité positive ». Ce que ça vend, ce concept, c’est que le Principe majeur de la République, c’est de s’adapter à ce qui vient, quoi que ce soit. Et croyez-moi, ça va se vendre.  – Pour parodier le bon Houellebecq, je dirais que la « laïcité positive » du Président Grenelle est une dhimminution du domaine de la République.

     

    III

    – La laïcité d’aujourd’hui est donc bien obligée de considérer de la même façon, indépendamment de tout critère simplement historique, et avec le même respect imbécile, toutes les religions, prôneraient-elles ouvertement l’assassinat ou la soumission des infidèles et la lapidation des femmes adultères – entre autres joyeusetés ; ce qui est aussi idiot que le serait de manifester le même respect à toutes les politiques. Hitler ne faisait-il pas de la politique ? Et Staline ? Et Mao ? Etc… – Merde. Et les valeurs républicaines ? – Ne faites pas rire. Elles n’ont plus aucune légitimité. La démocratie les engloutit. La démocratie d’opinion, et la possibilité de luttes d’influences juridiques, à grands coups de procès médiatiques. La République institue la démocratie, et la démocratie spectaculaire d’opinion fomente les communautarismes les plus inouïs, des plus débiles aux plus meurtriers en passant par toute une gamme de produits pornographiques (lesquels sont peut-être, hélas, nos derniers vecteurs d’ « intégration »), qui prolifèrent à une vitesse carcinomique, ravagent tout, implantent leurs métastases… – Jouer la République contre la démocratie, aujourd’hui, pourrait même être considéré comme une atteinte aux valeurs républicaines. On ne joue plus la carte de la République que pour l’évider tout à fait. – C’est que la République est une idée très ancienne, bien plus vieille que la Révolution française. La République n’est pas du tout une idée moderne, et c’est bien pour cela qu’elle s’effrite et s’effondre sous les coups du modernisme libéral déchaîné. – C’est une idée grecque de réalisation essentiellement romaine, d’ailleurs. Dans la façon du moins dont elle nous est parvenue. – « Rome, l’unique objet de mon ressentiment »… – C’est quoi, ça, c’est Nietzsche ? – Mais non, patate, c’est Corneille : la dernière fois qu’a brillé sur la France l’exaltation du courage antique devenu catholique, mettons… – Et Péguy ? – Mais Corneille et Péguy, c’est une ligne droite…

     

    IV 

    – Mon Dieu, mais ici, nous ne sommes même plus vraiment catholiques, ni chrétiens… – Voilà bien pourquoi il ne nous demeure plus qu’à défendre la République. – Mais c’est une impasse, vu ce qu’elle est, et à quel point déjà elle est tout effondrée. – La République et la laïcité, donc. –  La laïcité ne connaît que la religion chrétienne, et elle s’imagine, naïvement, mais la naïveté est un facteur de crime, que toutes les religions du monde sont bâties comme la religion chrétienne. Alors que pas du tout, en fait. – Je suis bien d’accord que c’est une impasse, désormais, la République. – Alors quoi ? – Alors rien. Il s’agit peut-être seulement de mourir, et de savoir le faire. – Nous avons des racines, qui, elles, sont chrétiennes. Indiscutablement. – Mais ces racines indiscutablement chrétiennes, de quoi exactement sont-elles les racines ? – La question n’est pas tant de savoir si nous pouvons éviter la guerre civile, que de savoir s’il faut l’éviter, non ? – D’ici là, en tout cas, l’Union européenne aura tout à fait fini d’adhérer à la Turquie (et pas l’inverse, merci bien). – Oui, oui, c’est toujours votre lumineuse idée barje d’accélérer la catastrophe, en somme…

     

    V

    – L’ancienne laïcité a permis de transformer l’Eglise catholique française en ce machin relativo-droitdelhommiste qui semble supplier ses derniers fidèles d’aller voir ailleurs que c’est pareil tout en admettant par avance qu’ils n’auront donc plus aucune raison de revenir. – Ouais, et la nouvelle laïcité positive du déplorable Grenelle ne fera jamais rien qu’adapter la France à l’islam, islam qui donc se radicalisera ouvertement de plus en plus. Que voulez-vous, c’est le Progrès. – Rien n’arrêtera ça. Parce qu’il faudrait restreindre drastiquement, c’est-à-dire de façon réellement républicaine, le concept de laïcité, et repréciser, comme le disait je ne sais plus où Alain Finkielkraut, quelles sont exactement les indispensables lois de l’hospitalité. Mais rien n’arrêtera ça. Sauf peut-être le fait que ça pète. Et le plus tôt sera le mieux. – Mais pourquoi ? – Parce que nous nous affaiblissons dramatiquement d’heure en heure, mon cher.

     

    Et vive quand même la République !

     

  • Accélérer la catastrophe

     

    [Note : Voici une version un peu plus développée de ce texte.

    Pour répondre d’un mot aux diverses critiques reçues, je dirais volontiers de ce texte qu’il est ou une conversation de café, ou une blague d’une certaine ironie, ou au contraire un petit pamphlet trop sérieux ; mais je crois qu’il est tout cela à la fois… « Il ne faudrait pas que les RG tombent dessus… » et « C’est le salut par la guerre civile, votre machin ? » sont les phrases les plus drôles que j’aie lues à son propos.]

     

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    « C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de tranquillité, de consolidation finale et mortuaire.

    Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à cette pension qu’ils toucheront de l’Etat non plus pour faire, mais pour avoir fait (ici encore ce même virement de temps et de chronologie, cette même descente d’un cran, cette mise du présent au passé). Leur idéal, s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’Etat, un idéal d’hôpital d’Etat, une immense maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race.

    Un immense asile de vieillards.

    Une maison de retraite.

    Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir, comme ils disent. »

    Charles Péguy, Note conjointe

     

    « L’Occident meurt en bermuda. »

    Philippe Muray, Exorcismes spirituels III

     

    « Quand donc on donne aux gamins des écoles primaires des livrets de caisse d’épargne on a bien raison. Car on leur donne le bréviaire du monde moderne, un brevet de la tranquillité du monde moderne. C’est-à-dire un brevet d’avarice et de vénalité dans l’ordre du cœur. Et dans l’ordre de l’esprit, qui n’en est pas si loin, un brevet de matérialisme et d’intellectualisme, un brevet de déterminisme et d’associationnisme et de mécanisme.

    Et dans les deux ordres ensemble un brevet de raidissement et d’argent.

    Et on a bien raison de le présenter avec tant de cérémonie et comme un symbole et comme un couronnement et comme un coffret d’être et comme un coffret de la loi. De même que les Evangiles sont un ramassement total de la pensée chrétienne, de même le livret de caisse d’épargne est le livre et le total ramassement de la pensée moderne. Lui seul est assez fort pour tenir le coup aux Evangiles, parce qu’il est le livre de l’argent, qui est l’antéchrist. »

    Charles Péguy, Note conjointe

     

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    J’écris le texte qui suit en pensant à ce que dit Pierre Legendre, à la fin, je crois, de son film sur l’ENA, concernant la remarque d’un touriste lisant dans le sigle RF d’un bâtiment ancien : Royaume de France, quand il s’agit de République Française.

    J’écris ce texte avec sous les yeux un recueil de « textes politiques choisis par Denise Mayer » intitulé La République… notre royaume de France, de Charles Péguy (Gallimard, Nrf, 1946). La citation exacte de Péguy dont est tiré le titre du compil est : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France. »

    Je pense également à George Orwell et à sa common decency ; et, plus proche de nous dans le temps, à Jean-Claude Michéa, et à ce qu’il dit de ce qu’il nomme la collusion libérale-libertaire.

    Je pense également à ce pays, la France, dont l’agriculture est en jachère, l’industrie en friches (industrielles et donc : artistiques) et qui n’est plus, sous couvert d’une culture abrutie se prétendant « exception », que le très touristique bronze-culs de l’Europe.

     

    I

    – La prochaine fois, il y aura des morts, forcément. Ils tueront un flic, par exemple, et les flics répondront. Ce sera l’escalade. – Quelle idée, d’appeler ces gens des délinquants. Ce sont des criminels. Les délinquants commettent des délits, les criminels des crimes. – Ces gamins-là n’ont pas du tout été éduqués. – Ouais. L’Education nationale sert à ça. A ne plus éduquer personne. Et je ne te parle pas d’instruire… – Elle avait raison, Royal, alors, quand elle envisageait un encadrement de certaines écoles par l’armée. – Ce n’est pas inintéressant, mais c’est à côté de la plaque. L’école est, enfin : était, le lieu d’enseignement des disciplines, et nécessitait pour cela de la discipline. – Mais plus personne ne veut de trucs atroces comme ça : la discipline, c’est bien simple, ça fait disciplinaire… – Quant aux disciplines, c’est bien simple, elles sont en lambeaux. Il n’y a plus de langue française. – C’est complètement foutu de ce point de vue-là. On fabrique des crétins. Des crétins ordinaires, analphabètes à baccalauréat garanti par l’Etat ; et des crétins d’élite, énarques ou doctorants, tous également alphabètes. – Mais merde, il n’y avait pas, dans le temps, ce machin, là, la République… – Oh, mais c’était il y a très longtemps tout ça, c’est fini. – On n’étudie même plus ça en histoire, vu qu’il n’y en a plus. – C’était une époque où le beau mot d’instituteur existait ; un instituteur, en somme, ça servait à instituer un être humain dans le langage. Mais des instituteurs, il n’y en a plus non plus. – C’est interdit, même, je crois. – C’est possible, en effet.

     

    II

    – Et puis il y a cette sinistre jeune femme, là, qui a été assassinée. Anne-Lorraine Schmitt (1). – Franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Cette pauvre gourde qui n’a pas voulu se laisser violer. Franchement, elle se serait laissée faire, elle parlerait encore. – Ouais, il y a des gens qui ont de leur dignité une appréciation suicidaire. Ils ne sont pas prêts à tout pour simplement survivre. Quelle idée, aussi, de se défendre quand on est attaqué. C’est complètement archaïque. – C’est du suicide. D’ailleurs, elle était catholique. – Non mais la conne. Quant au pauvre bougre qui l’a assassinée, sa vie est foutue. Déjà que c’est un récidiviste. – Oui, oui, le pauvre, c’est une victime. C’est incroyable, cette facilité qu’ont les victimes à devenir bourreaux. Ou bourrelles, même, parfois. Presque à leur corps défendant ; enfin, si on peut dire. Ça les dépasse ; à croire pour de bon qu’au fond, ils n’y sont vraiment pour rien ; ils sont victimes de leurs pulsions. – Bon, oui, quoi, c’est juste un fait divers, non ? – Exactement, ça pourrait arriver à n’importe quelle femme, voire à n’importe qui. C’est la vie… Personnellement, je ne comprends même pas qu’on ait pu en parler autant. – Les banlieues, c’est bien mieux. La misère s’y trouve plus générique. C’est un climat nettement plus révolutionnaire, au fond. Et la révolution, quand même, il n’y a que ça de vrai. – Tu m’étonnes.   

     

     

    III

    – Nous filons droit vers la guerre civile. Un gouvernement habile pourra au mieux la repousser, la retarder. – Ce qui est idiot. Ce qu’il faudrait, au contraire, c’est accélérer la catastrophe. – Aucun gouvernement, médias au cul, ne voudra jamais faire cela. Ils ont la trouille. – Ils sont tenus par les couilles, oui. Même qu’il a fallu un microscope pour les choper. – Quoi ? – Les couilles, tiens…  – N’empêche. Je ne comprends pas. Pourquoi veux-tu l’accélérer, la catastrophe ? – Mais parce qu’elle aura lieu de toute façon. Il est bien trop tard pour l’empêcher. Un gouvernement habile pourra au mieux la repousser. – C’est-à-dire la refiler au prochain, bon débarras, lavage de mains pilatique. – Bon, mais quand même : pourquoi l’accélérer, cette putain de catastrophe ? – Je vais te dire : au lieu de repousser le moment du clash, il faut le précipiter. Parce que chaque jour qui passe donne à l’adversaire plus de moyens, plus d’armes, plus d’organisation ; parce que plus on repoussera le clash, plus on jouera la montre, à désarmer et désarmer pour donner des gages de bonne volonté citoyenne, plus ils seront puissants, et plus nous serons écrasés. – Tant que ces criminels brûleront les bagnoles de leurs voisins au fin fond de la banlieue, ça ne concernera guère le bobo – architecte, mais surtout : journaliste de gauche – qui les soutient moralement, de son fauteuil design. En revanche, si on arrivait à faire descendre en ville, à Paris, ces hordes, ces meutes de barbares… – Tu veux dire, s’ils s’en prenaient aux quartiers paisibles et chics de la capitale. – Oui, si au lieu d’avoir pour théâtre ces banlieues – parce que les banlieues, pour un parisien de Paris, c’est déjà l’étranger, et ce qui brûle là-bas ne brûle en définitive que dans sa télé –, ces émeutes avaient lieu à Paris, si la voiture du bobo était carbonisée, sa fille et sa bobote violées, là, peut-être qu’ils cesseraient d’excuser comme un seul homme les hordes criminelles… – Sans compter que les criminels pourraient s’attaquer à de plus gros symboles, même s’ils n’ont aucune idée de ce que c’est, l’Hôtel de Ville par exemple, et péter le Louvre aussi plutôt qu’une minable bibliothèque de quartier (je fais l’impasse sur l’Opéra Bastille)… – Et il y aurait un sursaut, tu crois ? – On peut l’espérer, non ? – Du courage. Tu attends du courage de ces gens-là, toujours prêts au nom de leur morale pornographique à excuser, ou plutôt : à justifier, à rendre juste, le pire. Ils justifient l’horreur et la terreur. Ils sanctifient le crime et l’abomination. Tu attends du courage de gens qui ont peur de tout. – Ils ont peur de tout, ces connards. Ils auraient peur de leur ombre. Ils ont même peur de la fumée des cigarettes, et de l’air qu’ils respirent.

     

    Votez Grenelle !

     

     

     

     

    (1) Je me permets de renvoyer ici au texte somptuaire (c’est le seul mot qui me vient) de Juan Asensio intitulé D’un silence assourdissant : sur l’assassinat d’Anne-Lorraine Schmitt.

  • Fournitures

    Malgré l’apparence, je ne saurais recommander les livres qui suivent, pour la simple raison que je ne les ai pas encore lus. La rentrée littéraire, qui n’est pas une préoccupation réelle pour moi, pourrait bien durer l’année scolaire tout entière… et il y a fort à parier que je ne bouclerai pas le programme. Au surplus, je ne me sens pas obligé de publier en ce blog une note pour chaque livre lu, partiellement ou totalement. Voici donc une liste non exhaustive des quelques livres qui, pour l’heure, ont retenu mon attention, quoique fort diversement :

    Le Chant de la mission, de John le Carré, au Seuil. Parce que j’ai lu, cet été même, de cet auteur dont je n’avais jusque là rien lu, en guise de divertissement intelligent et dans cet ordre : La Maison Russie (1989), Une Amitié absolue (2003) ; puis la « Trilogie de Karla », à savoir : La Taupe (1974), Comme un collégien (1977) et Les Gens de Smiley (1979) ; puis L’espion qui venait du froid (1963). Faut-il ajouter que si j’avais trouvé mauvais, ou même moyens, les romans de Le Carré je n’en aurais pas lu tant ?

    L’Empire du moindre mal, de Jean-Claude Michéa, dont j’ai déjà beaucoup apprécié la finesse dans L’enseignement de l’ignorance et Impasse Adam Smith. Peut-être est-ce simplement la fatigue, mais je crois qu’il est possible de faire un lien entre Michéa et Le Carré. Sans doute tient-il à la fois de cette common decency chère à Orwell et de cet Empire du moindre mal que le Carré a défendu contre le communisme soviétique, mais non pas aveuglément, et auquel désormais il botte très allégrement le train adipeux. Je note encore que le titre de Michéa ne peut pas ne pas être – de quelle façon précisément, je ne sais, n’ayant pas lu le livre – un hommage au regretté Philippe Muray.

    La Littérature à contre-nuit, de Juan Asensio, chez Sulliver. Le blog de Juan Asensio est l’un des seuls que je fréquente, et je veux effectivement dire par là que je le visite fréquemment (n’en est-on pas venu, lorsqu’on emploie les mots dans le sens qui est précisément le leur, à se sentir redevable de le préciser à un lecteur que l’on suppose, à tort ou à raison, pressé, distrait ou peut-être même, pour reprendre l’expression de Péguy, alphabète ?). Juan Asensio a ses obsessions, dont certaines sont tout à fait déplorables. Je vise ici celle, par exemple, qui consiste à talocher verbalement quoiqu’à tour de bras l’insignifiant Assouline, et à continuer encore et encore, bien après l’épuisement des derniers effets du comique de répétition. Quant à la littérature, je trouve fondées ses exigences, sa vindicte et ses apologies, et si je suis assez éloigné de partager tous ses goûts (Abellio, malgré son brillant style en trompe-couillons, ne trouve de place dans mon anti-panthéon littéraire qu’en tant que le plus manifestement doué des préfaciers d’Elisabeth Teissier), je prends connaissance de ses « papiers virtuels » avec grande attention. Lesquels m’ont faire lire, entre autres, Nicolas Gomez Davila et Juan Donoso Cortès. Ce n’est pas peu. – Pour le reste et pour finir, je trouve Asensio effectivement très doux.

    Il n’y a personne dans les tombes, de François Taillandier, chez Stock. Le troisième volume, après Option Paradis et Telling, de « La grande intrigue ». Dois-je préciser, là encore, que si je ne trouvais pas d’intérêt à cette lecture, je n’en parlerais pas ici ?

    Artefact, de Maurice G. Dantec, chez Albin Michel. Le seul des livres cités ici dont j’ai effectivement fait l’acquisition, quoique je ne l’aie pas encore commencé. J’ai lu tous les livres précédemment publiés de Dantec et, malgré certaines déceptions – la fin de Villa Vortex, par exemple, ou tel et tel passage de Cosmos Incorporated – et divergences d’opinions – mais il faut tenir les opinions pour rien, et les ramener à leur fond d’hérésie – je continue de le lire avec joie. Oui, avec joie.

    Voilà pour la littérature.

    Je m’étais promis de rédiger cette note en dix minutes et de simplement citer titres, auteurs et éditeurs, et voilà plus d’une demi-heure que je tapote à deux doigts mon clavier. Je lirai certainement encore, pour ma gouverne, un petit livre sur la situation actuelle en Irak : Le Chaos irakien (dix clés pour comprendre) de Fanny Lafourcade, aux éditions La Découverte.

    Pour l’heure, m’attendent le De grammatico de saint Anselme de Cantorbéry, et mon lit.