Oh, c’est un tout jeune homme qui va s’exprimer ici. L’enfance d’un chef aurait pu faire son titre, histoire de renvoyer sa baballe au ténia… J’ai finalement préféré, avec une ironie qu’on comprendra peut-être, et dont je me fiche de toute façon qu’on me la renvoie, pour Fascistique du néant. Pourquoi ? Essentiellement parce que c’est d’une emphase tout à fait ridicule et que je n’aime les néologismes que nuls.
Il a peut-être vingt-cinq ans, donc, notre jeune homme, les cheveux blonds taillés pour sembler ne pas l’être, une chemise propre qui sent la condition de papa… et sans doute ne se serait-il pas exprimé lui-même ainsi, ni sur la forme – son lectorat (comme on dit) présent ou futur n’aurait pas supporté de si longues phrases – ni sur le fond.
Je note d’ailleurs qu’il pourrait, presque indifféremment, être une jeune femme – ce qui n’est pas rien.
Je l’ai rencontré, ce jeune homme. Plusieurs fois dans ma vie, à différents âges. Il n’a pas changé ; il se paye même le luxe de ne pas vieillir. Il est toujours de cette race-là du bourgeois qui semble avoir été sorti goutte à goutte d’un alambic fait seulement pour distiller le mépris le plus pur ; pour produire avec la culture la plus haute l’inculture la plus crasse, et l’ignominie la plus maniérée qu’on ait jamais vue. Peu importe.
Enfin, dernièrement… j’ai bu un verre à quelques pas de lui, à la terrasse d’un café, à l’occasion de mon passage dans cette ville hébétée, criminelle, en comparaison de laquelle le Bruxelles de Baudelaire jouxte la Jérusalem céleste, qu’on appelle Paris. Il y discutait avec son jumeau de ce qu’il leur appartiendrait, à eux, cette génération qui vient, de dépasser l’antiracisme (je le cite ici), afin d’en faire un dogme originel inexpugnable, avant qu’il ne commence de crever les yeux à tout le monde que l’antiracisme n’a pas d’autre fonction que valider ou invalider certains propos délicats mais cruciaux en fonction de la couleur de peau (Dieu merci on ne dit plus race), de la confession probable et du positionnement politique de celui qui les énonce… Je vous avoue que j’ai bien ri. Puis il a évoqué son mariage prochain, dans les deux ans, et l’hésitation pseudo-cornélienne qu’il avait encore entre l’héritière Machin et l’héritière Bidule – et sans parler même d’amour il ne fut pas non plus une fois question de cul. Je vous avoue que j’ai souvent rêvé que mon rire devrait débarrasser une telle engeance de la surface de la Terre, comme on dit. Il fut ensuite question de la manière dont il convenait de doubler ceux-là de leurs coreligionnaires, plus simples en matière de perversion, partis s’enter bille en tête dans les deux principaux partis de gouvernement…
Reste seulement à souhaiter que ce genre de petit malin-là prenne un jour en pleine face le généreux monde en merde qu’il travaille d’arrache-langue à établir, mais pour son seul profit.
J’en finis de son portrait. Il a poussé à la va-vite quelques études qu’on ne répute hautes que par une déplorable habitude – des choses politiques, en un mot. Il est intelligent, bien sûr. Puisque c’est le nom qu’on donne aujourd’hui à la malignité. Puisque nous sommes décidément, plus qu’hier et moins que demain je le crains, dans « le monde qui fait le malin », comme avait dit le grand Péguy. C’est un garçon malin, dis-je ; il fait de jolies pirouettes verbales, artiste acrobate, autour des actualités – il faut bien vivre avec son temps, et le nôtre est celui des penseurs pour tabloïds. Son plan est tout tracé, il le sait, et le voilà devant vous qui déroule sa carrière telle que sauf accident grave du monde il va la faire – j’imagine que ce qu’il a dans le crâne à un moment m aurait été pour ainsi dire photographié, ou plutôt enregistré, et retranscrit ensuite.
… au fond, j’aimerais bien, parfois, avoir sur toutes choses une opinion inflexible et variable, savoir selon l’heure du jour quoi exactement affirmer sur absolument tout et puis, ayant gravi très vite les marches co-optatoires du seul succès qui vaille, ne pas avoir à écouter réellement quelque argument contraire que ce soit, puisque faire semblant, la mine navrée, suffirait amplement. Je saurais ainsi avec certitude où sont les bons et où sont les méchants, qui a raison et qui a tort, qui partage ma foi et qui a la mauvaise, et ainsi pourrais-je à coup sûr être un bon, un bon du bon côté, et passer ma vie à démolir poliment, du moins en public, des ordures d’autant plus géographiquement éloignées qu’elles sont plus signifiantes, et pourrais-je encore, avec plus ou moins de discrétion selon les nécessités, comme à la cour d’école traiter de quelques épithètes définitivement infâmantes dès l’ombre d’un désaccord de fond n’importe quel contradicteur un peu talentueux. En somme, j’aimerais bien, parfois, être un imbécile et un lâche – et je le suis, déjà, parfois, bien sûr, dans ces moments travaillés d’abandon à la reine facilité nous tenant lieu d’extase émue et d’éjaculation locutoire, puisque la facilité sommitale de notre temps organise incessamment ce concours d’une exigence infinie d’imbécillité, de lâcheté, auquel se pressent tout ce que notre vieille baderne de nation compte d’arrivistes par avance justifiés devant l’homme, cette idole tout en merde et qu’il convient à chaque heure de remodeler de ses mains, pieds, langues –, c’est-à-dire un intellectuel. Et je pourrais juger tranquillement, car tout cela est forcément très reposant, les gens sur ce qu’ils disent du monde, sans égard pour le monde ni pour eux, en fonction simplement de ce qu’il est normativement original de dire aujourd’hui, et, selon que l’opinion de ces gens sur telle fraction du monde arbitrairement découplée de son reste sera plus ou moins orthodoxe à la mienne, je les échelonnerais vaillamment de la fange absolue, tout en bas, jusqu’à moi-même, tout en haut – dussé-je brandir par-dessus ma tronche de bonne poire liftée, pour n’apparaître pas tant bouffi d’orgueils variés, quelques maîtres anciens n’en pouvant mais, car tous bel et bien crevés –, et mieux, je leur délivrerais ou non, à ces tâcherons de seconde zone, tout exténués déjà d’être seulement arrivés face à moi, les permissions de s’exprimer correspondantes, toutes à leur veulerie conforme exactement corrélées. Je pourrais même, dans certains cas extrêmes, réduire leurs idées délirantes à une dérisoire caricature d’elles-mêmes et ramener tous leurs actes concrets à cette caricature, jusqu’à prouver enfin que leur très hypothétique courage réel est partie intégrante de leur ignominie. Certaines personnes, bien sûr, n’auraient plus du tout la parole ; on leur ferait même interdire, par exemple, avec une discrétion vraiment discrétionnaire, toute profession permettant une prise de position publique sur les sujets de société – et on musellera pour finir même les blogs les plus anodins, dès la seconde anicroche – soyons magnanimes ; et comme tout cela ne fera naturellement qu’exacerber la colère de ces scribouillards conformés à ce qui n’est pas, ou plus, et provoquer des débordements très réels, on pourrait également les ruiner à petits coups de procès bien intentionnés ; après quoi l’on prouvera bien sûr sa grandeur d’âme en rappelant gentiment à l’ordre de la liberté d’expression ceux de nos militants personnels payés à cela qui voudraient à coup sûr voir de telles brutes enfermées. Oh oui, comme nous humilierions de nos décrets médiatiques, lettres de cachets éhontément marquées de la manie égalitaire, et au besoin, donc, de quelques décisions de justice, ces vermisseaux fascistes – puisque c’est celui qui est dénoncé tel qui l’est, et le premier qui balance l’autre qui a gagné, et puisque le mot fasciste est l’épithète la plus infâmante qui soit, non parce que dans l’histoire le fascisme aurait été grandement plus criminel que quelques autres avatars du socialisme, mais surtout parce qu’il ne se trouve pas une faction et pas un homme pour se revendiquer d’une telle imbécillité écrasante, et que cette épithète immédiatement assigne l’interlocuteur à un néant social et politique qui littéralement l’interdit, néant social et politique dont il faut bien admettre ici qu’il fait exactement pendant, et tant mieux, à la blancheur immaculée du joli mot de socialisme, que l’histoire a pris quelque malin plaisir à dissimuler dans la contraction de nazisme ou dans l’acronyme URSS – oh oui, dis-je, comme nous les humilierons, faisant déluger sur eux des cataractes de Bien dru, ces vermisseaux fascistes sortis d’on ne sait trop quelle souille infecte et qui nous traiteront lamentablement de bien-pensants, alors que nous savons pertinemment, pour justifier nos préventions, qu’ils ne rêvent que de nos places au soleil et qu’ils se débrouilleraient à coup sûr, s’ils les obtenaient jamais, pour que nous ne puissions plus exprimer ces émouvantes lampisteries nous procurant des émoluments mirifiques. Merde, ils n’avaient qu’à tenir alors notre discours, celui du pouvoir, tout en disant l’inverse, ou même en ne disant que l’inverse ; car enfin, ce n’est tout de même pas si compliqué. Le chemin est tracé net et droit autour duquel, sans nous éloigner jamais beaucoup, comme des mouches à merde nous circonvoluons en arabesques infinies, danseuses délicates d’un invisible tyran dont, livrées pour lui, nous prétendons, et c’est à faire pâlir d’envie n’importe quel muet ! être la seule critique qui vaille, la seule admise à vendre sa concussion banale pour révolte sincère et donc (donc !) autorisée à barguigner sous les lambris, cœur obcordé saignant en bandoulière…