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  • Le dramaturge crucifié

    L’Italie est un pays qui devient de plus en plus stupide et ignorant. On y cultive des rhétoriques toujours plus insupportables. Il n’y a pas, du reste, de pire conformisme que celui de la gauche : surtout, naturellement, quand il est repris aussi par la droite. Le théâtre italien, dans ce contexte (où le caractère officiel est la protestation), se situe culturellement au niveau le plus bas. Le vieux théâtre traditionnel est de plus en plus rebutant. Quant au nouveau – qui n’est rien d’autre que le long pourrissement du modèle du «  Living Theatre » (à l’exclusion de Carmelo Bene, indépendant et original) – il a réussi à devenir aussi rebutant que le théâtre traditionnel. C’est la lie de la néo-avant-garde et de 1968. Oui, nous en sommes encore là : sans oublier le retour de la restauration rampante. Le conformisme de gauche. Quant à l’ex-républicard Dario Fo, on ne peut rien imaginer de plus affreux que ses textes écrits. Peu importe son caractère audiovisuel et ses mille spectateurs (fussent-ils en chair et en os). Tout le reste, Strehler, Ronconi, Visconti, n’est que pure gestualité, matériau pour magazines.

     

    Dans un tel contexte, il est naturel que mon théâtre ne soit même pas perçu. Ce qui (je le confesse) me remplit d’indignation impuissante, étant donné que les Pilates (les critiques littéraires) me renvoient aux Hérodes (les critiques de théâtre) dans une Jérusalem dont je souhaite qu’il ne reste plus bientôt pierre sur pierre.

     

    Pier Paolo Pasolini, extrait du bref avant-propos à Bête de style,

    son autobiographie théâtrale, conséquemment aussi sa dernière pièce, ici traduite par Alberte Spinette (Babel n°177)

     

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  • Science-fiction

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il avait trouvé l’abîme en lui. Peut-être l’avait-elle ouvert, en effet. C’est possible. S’en vantait-elle ailleurs ? Peut-être. Le couple roulait des yeux émerveillés sur son néant. Ils se marièrent, un printemps. La passion s’éteignit lentement, un peu plus vite sur sa fin à mesure qu’ils y songeaient moins. Il travaillait beaucoup, jusque tard ; elle un peu moins. Elle lui cracha quelques enfants, qu’il coiffa de son nom. Routines, habitudes, cris d’enfants. Un coup de gueule de temps en temps. Routines, habitudes. On les leur reprochait : leur entourage les trouvait sages, eût souhaité quelques rots passionnels dans cette digestion tranquille. Mais ce malheur leur fut épargné. Les enfants quittèrent la maison. Il mourut d’abord, elle ensuite. Voilà, ils sont dans ce caveau modeste que la mousse envahit, sous une petite croix.

  • Un beau prologue

    Dieu vous garde, bons auditeurs, et puisse votre bonté répondre à notre désir de vous plaire. Si vous continuez à nous épargner les murmures, nous voulons vous faire entendre une aventure arrivée en ce pays. Regardez cette décoration qui se déploie sous vos yeux : voilà votre Florence. Une autre fois, ce sera Rome ou Pise : c’est à se disloquer la mâchoire à force de rire.

    Cette porte que vous voyez là, à ma main droite, c’est celle de la maison d’un docteur qui a appris force lois dans Boèce. Cette rue qui s’ouvre à ce coin est la rue de l’Amour, où celui qui tombe une fois ne se relève plus. Et puis, si vous ne vous en allez pas trop tôt, vous pourrez reconnaître, à la robe d’un moine, quel est le prieur ou l’abbé qui habite l’église placée du côté opposé.

    Un jeune homme, Callimaco Guadagni, venu de Paris tout récemment, demeure là, à cette porte sur la gauche. Parmi tous les autres bons compagnons celui-ci a fait ses preuves, et donné des exemples qui lui ont mérité l’honneur et le prix de galanterie. Une jeune femme, la sagesse même, en fut passionnément aimée : vous verrez comment il s’y prit pour la séduire ; et je voudrais, mesdames, que vous fussiez séduite comme elle.

    La pièce se nomme la Mandragore. Pourquoi ? Vous le verrez bien, je suppose, en l’entendant jouer. L’auteur n’est pas homme de grande renommée ; pourtant s’il ne réussit pas à vous faire rire, il consent à payer à boire. Un amant qui se désole, un docteur un peu rusé, un moine dissolu, un parasite, enfant gâté de la malice, voilà pour aujourd’hui votre passe-temps.

    Et si ce sujet vous paraît trop frivole et peu digne d’un homme qui veut paraître sage et grave, excusez-le, dans la pensée qu’il s’étudie à rendre plus doux, par ces vaines imaginations, ses jours de douleur ; car il ne sait plus où tourner ses regards : on lui interdit de montrer dans d’autres travaux un autre talent, et il n’est point de récompense pour ses peines perdues.

    La seule récompense qu’il se promette, c’est que chacun se tienne à l’écart et ricane dans sa barbe en critiquant ce qu’il voit et ce qu’il entend. C’est sans doute grâce à cette triste manie que le siècle présent dégénère en toutes choses de l’antique vertu ; car voyant partout la médisance, le monde dédaigne de prodiguer sa fatigue et ses sueurs, pour élever, à travers mille obstacles, une œuvre que voilera le brouillard, que les vents ravageront.

    Cependant si quelqu’un, en médisant de l’auteur, s’imaginait le saisir par les cheveux, l’étourdir ou lui faire quitter la partie, j’avertis ce quidam que l’auteur aussi entend la médisance, qu’elle fut son premier métier, et que dans tous les pays du monde où le si résonne il n’estime âme qui vive, bien qu’il fasse escorte à qui peut porter un meilleur manteau que le sien.

    Mais laissons la médisance à qui veut médire. Revenons à notre affaire, afin que l’heure ne nous devance pas. Il ne faut pas tenir compte des paroles, ni prendre pour un monstre une chose si incertaine qu’on ne sait encore si elle existe ou non. Callimaco sort ; il a avec lui Siro, son domestique, et il va dire ce dont il s’agit. Que chacun soit donc attentif, et ne demande pas pour l’instant un autre renseignement.

     

    Machiavel, La Mandragore,

    Traduction de d’Avenel (1837)