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  • Paraporo

    Paraporo.

    C’est le mot du jour.

    C’est écrit dans la copie d’un élève de sixième.

    Ce n’est pas une tribu d’un continent lointain.

    Paraporo.

    Ça ne dit pas, mais ça voudrait dire : par rapport au. Ou : par rapport aux.

    L’enfant qui a écrit cela est en classe de sixième.

    Cela signifie donc que son niveau satisfait aux exigences de l’école élémentaire.

    Paraporo.

    C’est beaucoup plus grave qu’une déplorable faute d’orthographe au mot rapport.

    Le mot rapport, mal orthographié, indique au moins que l’enfant a compris, de cette compréhension de l’usage, qu’il est question d’un rapport.

    Dans paraporo, il n’est pas question de rapport. Dans paraporo, il n’est question de rien du tout.

    Paraporo.

    L’école avait déjà fait fi de l’orthographe, elle avait déjà jeté grammaire et syntaxe par la fenêtre, elle est maintenant en train de débarrasser la langue française (sic) de ses mots.

    Le français est une langue dans laquelle, enfin, il n’y a plus de mots.

    Ce n’est pas trop tôt.

    Paraporo.

    L’école est un carnage. C’est une boucherie. Une porcherie.

    L’école est un scandale. C’est une honte.

     

     

    L’abrutissement et l’analphabétisation de toute une Nation – l’ « éducation » est nationale, non ? – est un programme politique. (Certainement… certainement, des imbéciles de bonne foi, les pires, ont-ils commis sur des générations de cobayes quelques « erreurs » de didactique pédagogique. Mais à présent, les résultats étant ce qu’ils sont, ne rien faire, ou demander à ces mêmes imbéciles leurs conseils, ce qui revient au mieux à ne rien changer, c’est traiter cet abrutissement national en succès.)

    C’est également un suicide.

    Je n’ai pas du tout de goût pour la manie voltairo-américaine des procès, mais je suis tout de même étonné que des parents d’élèves, toujours si prompts pourtant à récriminer contre les enseignants, l’Education nationale, etc. (mais peut-être se plaignent-ils seulement qu’il y ait trop de travail, pas assez d’informatique ou de sorties au cirque citoyen) n’aient toujours pas eu l’idée d’attaquer en justice l’Etat français pour la manière dont il traite ou a traité leurs enfants. Parce que cette porcherie est obligatoire, évidemment.

    Il y a des matins où, quand je vois l’étendue de ce qu’on n’apprend plus aux enfants, je voudrais voir fleurir partout dans le pays dix mille, quinze mille, cent mille plaintes… Tenez, une par bachelier depuis vingt ans…

    C’est tout. Vous pouvez accéder, de ce blog, par les Liens proposés, à la pétition proposant de refonder l'école.

  • Albert Pauphilet et les Jeux du Moyen Age

    Le volume de la collection de la Pléiade Jeux et sapience du Moyen Age, déjà évoqué ici le 11 septembre, dans la note Parole n’a parolé, m’accompagne depuis quelque temps. Le choix des textes composant ce volume est l’œuvre d’un nommé Albert Pauphilet, dont je ne sais presque rien, sinon qu’il est également l’éditeur dans la même collection du volume Historiens et chroniqueurs du Moyen Age. N’ayant que peu de goût, et presque aucune compétence, pour la critique, je me contenterais ici de citer la première partie de la brève introduction par Albert Pauphilet au Jeu d’Adam, première pièce de l’ensemble des jeux présentés, introduction qui me semble importante, révélant un certain nombre de choses peu connues quant à l’origine du théâtre français.

     

     

    « Le théâtre, en France, a d’abord été religieux, et il est sorti presque insensiblement de la liturgie. Dès le XI° siècle, dans certaines abbayes bénédictines, afin d’instruire et d’édifier plus sûrement un public sans culture, on figurait divers épisodes de la résurrection du Christ. Ce n’était que la transposition du récit de l’Evangile en spectacle et en propos directs de personnages visibles. Un sépulcre était simulé d’un côté de l’autel, et des moines, vêtus comme il convenait, représentaient les Saintes Femmes et l’Ange ; et leurs paroles étaient exactement le texte évangélique, en latin. Peu à peu, les magnifiques ressources spectaculaires et dramatiques encloses dans le texte sacré furent mises en œuvre ; les phrases du récit, considérées isolément, devinrent comme des moment successifs de l’action et se transformèrent en autant de scènes. A l’épisode essentiel du Sépulcre s’ajoutèrent ainsi des scènes accessoires, préludes et épilogues ; ce qui n’était d’abord, selon l’heureuse expression de M. A. Jeanroy, qu’une « liturgie mimée », prenait de plus en plus l’ampleur d’un drame. C’est ainsi qu’on vit les trois Maries en route vers le Sépulcre et se demandant entre elles : « Qui nous ôtera la pierre qui ferme l’entrée ? » Mais elles devaient porter des aromates pour embaumer le corps : elles les avaient donc achetés, et l’on inventa la scène chez le marchand de parfums. De la même façon l’apparition de Jésus ressuscité aux pèlerins d’Emmaüs fut traduite en une scène pleine de poésie et de grandeur.

    Parallèlement à ces « jeux » de Pâques, quoique vraisemblablement un peu plus tard, des scènes consacrées à la Nativité s’ordonnèrent et se multiplièrent. La crèche, les bergers, les Mages, leurs offrandes rustiques ou somptueuses, que d’éléments pour des spectacles variés, et quelle incomparable source de poésie grandiose ou familière ! Un étonnant ensemble, représenté à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, montre tout à tour l’arrivée des Bergers à Bethléem et leur adoration, la marche des Rois mages guidés par l’étoile, et leur comparution devant Hérode ; l’inquiétude d’Hérode qui fait rechercher par ses scribes les prophéties touchant ce Roi des Rois qui vient de naître ; sa colère ; puis l’adoration des Mages, et leur départ ; enfin la fuite en Egypte, le massacre des Innocents, la disparition d’Hérode et le retour de la Sainte Famille !

    Le texte sacré seul ne pouvait longtemps suffire à de telles extensions ; il se dilua, s’étoffa de paraphrases et de développements, s’entoura de commentaires lyriques. Dans les intervalles des dialogues, le chœur chantait des antiennes, entretenant ainsi constamment le souvenir de la liturgie toute proche, et conservant à ces fictions l’harmonieuse dignité des cérémonies du culte.

    Il est vraisemblable que le public laïc prenait grand intérêt à ces offices transformés, car peu à peu ils s’orientèrent vers lui et utilisèrent sa langue. Le français parut d’abord dans quelques ornements et broderies, puis il se mêla de plus en plus abondamment au latin. Vint un jour où il n’y eut plus guère en latin que les textes liturgiques chantés par le chœur, et les indications destinées aux clercs « meneurs de jeu » qui voudraient monter le spectacle. Le théâtre français était né ; ses origines ont un caractère de noblesse et d’idéalisme qui rappelle la naissance du théâtre grec, sorti lui aussi de la religion. »

     

     

    Il n’est pas étonnant, au vu des idéologies mortifères qui gambadent dans notre belle société, que cet aspect de la Renaissance du XII° siècle, comme on commence à dire enfin, laquelle correspond à peu près à ce que Pierre Legendre, sur un versant plus juridique, nomme la Révolution médiévale de l’interprète, soit généralement passé sous silence. Le XVII° siècle français ne serait donc pas sorti tout armé du néant, avec son trafic de règles sorties de la Poétique d’Aristote. Ce théâtre français médiéval, qui doit bien avoir un équivalent en Espagne aboutissant au XVI° siècle à la riche production des autos, est tout à fait passionnant, ou devrait l’être, pour nous aujourd’hui, en ce qu’il réouvre totalement la manière d’envisager un théâtre occidental qui ne soit pas simplement une copie de celui des grecs anciens.

    Le texte du Jeu d’Adam, après leçon et chant latins, commence par ce dialogue entre Figura (i.e. la Figure de Dieu) et Adam :

    FIGURA. – Adam !

    ADAM. –                Sire !

    FIGURA. –                       Formé te ai

                         De limo terre.

    ADAM. –                          Ben le sai…

    Ce qui n’est pas sans rappeler, par exemple, le début (si ma mémoire est bonne) du Monologue d’Adramelech de Valère Novarina, l’un des seuls auteurs dramatiques contemporains qui ne passe pas son temps à mettre en dialogues altercitoyens l’introuvable fond des articles de Libération ou du Monde diplomatique.

  • Ouverture : 2. Sur le titre

    Le titre se prononce facilement « tout faux », mais s’écrit Tout Faut, selon le désuet indicatif présent du verbe faillir : je faux, tu faux, il faut… Où la troisième personne du singulier recoupe exactement celle du verbe falloir.

    Je m’arrête là, dans ce champ les développements paraissant infinis : de la faille à la faute, de ce qu’il faut et de ce qui est vrai, sans parler de cette Faux que tient la Mort. Signalons encore, tout de même, que tout faut peut avoir le sens de tout tombe, tout faisant littéralement dé-faut ; et voici la gravité, la chute, the fall, the fault.

    En ce sens, c’est à l’endroit où tout faut (faillir) qu’il faut (falloir) instituer autre chose. Il est donc bien ici question de la Chute et du péché originel, et de la façon dont s’institue ce qui en Occident n’est rien moins que le Père.

    Cette romanesque succession de pièces, comme elle peut, de préférence en parlant d’autre chose, raconte que l’Occident est terminé ; raconte, fût-ce sous le couvert du libéral-socialisme planétaire, sa faillite.

    A moins que…

     

     

    Si vous riez en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.

    Si vous ne riez pas en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but, et peut-être cette fois en étiez-vous la cible. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.

               

  • L'histoire du communisme racontée aux malades mentaux, de Matéi Visniec

    Je ne connais pas Matéi Visniec. Je possède un seul livre de cet écrivain, acheté par curiosité pour son titre : L’histoire du communisme racontée aux malades mentaux, publié chez Lansman.

     

    Je lis dans la présentation que Visniec est roumain, né en 1956 ; qu’il est dramaturge et poète ; qu’il a écrit de 1977 à 1987 une vingtaine de pièces, un roman et deux scénarios de films, tous refusés par la censure ; qu’il vit à Paris (depuis 1987 si je comprends bien, mais ce n’est pas certain) et qu’il a obtenu la nationalité française en 1993 ; qu’il écrit en français depuis 1987 ; que sa renommée en Roumanie est considérable depuis la chute du régime totalitaire.

     

    « L’action se déroule à l’Hôpital central des Malades mentaux à Moscou, en 1953, quelques semaines avant la mort de Staline. Eventuel décor unique : un portrait de Staline. »

     

    Je recopie ici en intégralité la scène deuxième, qui suit une très courte scène première en forme d’ouverture et dans laquelle le chœur de chambre de l’Hôpital central des Malades mentaux de Moscou interprète Le Chant des partisans :

     

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    Iouri Petrovski dans le bureau du directeur Grigori Dekanozov.

    LE DIRECTEUR. – Vous comprenez, cher Iouri Petrovski, personne ne doit rester aujourd’hui en dehors de la lumière de l’art et de la littérature. Notre conception scientifique de la société dit que l’homme est au centre de l’attention du parti. Notre nouvelle conception humaniste, telle qu’elle nous a été enseignée par le Grand Lénine et le Grand Staline, dit que le socialisme n’est pas possible sans la transformation de l’homme. Et l’art, la littérature ont un rôle immense dans la transformation de l’homme… C’est pour ça que je me pose la question : et les malades mentaux ? Ne sont-ils pas, eux aussi, des hommes ? Ne doit-on pas les transformer, eux aussi ? Ne devraient-ils pas bénéficier, eux aussi, des bienfaits de l’art, de la littérature ? Dans la mesure du possible, bien entendu… Je crois que les malades mentaux de notre société socialiste n’ont rien à voir avec les malades mentaux des pays capitalistes et impérialistes. Nos malades mentaux, nous, on ne les abandonne pas… Nous pensons qu’ils sont guérissables. Nos scientifiques travaillent jour et nuit pour trouver de nouveaux traitements capables de guérir les maladies mentales… Et l’art, la littérature ont peut-être leur mot à dire dans ce combat. 

     

    Etonnant comme à l'évocation des dieux tutélaires Lénine et Staline près, ce propos est encore familier, aujourd'hui, en France... Je n’en dirai ni citerai pas plus.

  • Parole n'a parolé

    1. Le théâtre est cet art où l’action, grande ou triviale, se déduit de ce que disent les personnages.

    2. Il faut donc, pour que l’action ne coïncide pas à la parole d’un seul, que toutes paroles soient fausses. (Ou bien, et l’on peut y voir le reliquat religieux d’où le théâtre est issu, que le personnage soit bientôt assassiné, ignoblement.)

    3. Le théâtre est cet art où, s’il est une vérité, elle ne peut être dite. (Ou pas sans être assassinée aussitôt.)

    *

    Le théâtre était le plus grand art. Jadis. Le genre préféré du génie. Les noms suffisent à le savoir. Mais c’est fini.

    Le théâtre a agonisé au moins cent ans. Ses défenseurs actuels l’ont fossoyé vivant. Encore vivant. Ils continuent de jeter des pelletées de terre quand passe un journaliste, et il en passe !

    Le théâtre en tant que tel n’intéresse plus grand monde, et surtout pas ceux qui en font profession.

    *

    Si l’on considère la représentation spectaculaire comme superfétatoire, sinon inutile, l’intérêt d’écrire aujourd’hui du théâtre croît. (En revanche, il se peut qu’il s’éteigne pour nombre de graphouilleux.)

    Si l’on admet qu’un bachelier moderne ordinaire a été formé tout spécialement pour ne rien comprendre à la langue de Molière, et peut-être même pour ne rien comprendre à rien… l’intérêt d’écrire aujourd’hui du théâtre croît.

    (Voilà pourquoi l’avant-ringarde officielle préfère faire caca dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes que dire un texte. Et tant mieux. D’abord parce qu’en faisant caca, elle fait ce qu’elle sait le mieux ; ensuite, parce qu’elle ne sait pas vraiment lire, voire vraiment pas…)

    Etc.

    *

    « Parole n’a parolé. » est une didascalie tirée de La Passion du Palatinus d’un auteur anonyme français du XV° siècle. Elle marque, en la scène XII, dans le Palais d’Hérode, le silence de Jhesu. 

    On peut lire cette pièce dans le court volume (non-bilingue – mais après tout, c’est écrit en français) intitulé Jeux et Sapience du Moyen-Age, de la collection de la Pléiade.