Marre, tiens.
En me promenant dans les rayons de la librairie, devant les romans neufs, je me suis dit, mauvais :
L’arrière tiendra.
Ils sont tous là, avec leurs pauvres historiettes. Toutes les mêmes. Je veux dire : avec des différences identiques.
La vie de maintenant.
Sans passé. Sans arrière-plan.
Sui generis.
Sans intérêt. Sans guère d’avenir, aussi. Tant mieux.
L’histoire du nombril qui rêve qu’il s’est fait tout seul. Une misère.
La vie de maintenant sous vide.
Souffle nul.
Alzheimer éditorial.
Laisse les morts ensevelir les morts.
Je le dis, je le note, parce que la tentation est grande d’aller les rejoindre, de venir grossir encore les rangs des morts.
D’ajouter, non sa pierre à l’édifice, mais son déchet à la décharge.
C’est l’autodafé à l’envers. Toujours acte de foi.
Pavoiser. Ecrire sous pavillon moderne. Faire son roman. Devenir normal ; se mépriser.
L’arrière tiendra.
Je ne m’en fais pas.
Ils peuvent très bien se passer de moi.
Les romans du dix-neuvième, déjà, s’accroupissaient aux étalages ? C’était sans doute pour y chier les nôtres.
Je regarde la librairie encore.
Les clients farfouillent à la table des nouveautés.
Plusieurs centaines de romans neufs.
Soyons optimiste : il y a peut-être là-dedans un chef d’œuvre. Et quoi ? allez, cinq bons romans et sept passables.
Je suis optimiste, vous voyez bien.
Je regarde les gens. Ils farfouillent.
Ils ne savent pas quoi prendre.
Je les comprends.
Ils ne veulent pas prendre, mais ils vont prendre quand même.
Derrière, sur plusieurs pans de mur, le fonds. Comme on dit.
Les classiques. D’Homère à McCarthy, mettons.
Tout Balzac. Tout Dostoïevski. Tout Shakespeare. Tout Corneille. Tout Faulkner. Ou presque.
Même deux vieux Bernanos et un Péguy d’occase.
Là, personne.
Pas un chat.
Bien ça.
C’est très quotidiennement le coup de la Lettre volée.
Farfouillez, farfouillez.
Oh, moi aussi, j’en achète ; parfois même j’en lis.
De ces romans. On ne les lit pas, d’ailleurs, on les dort.
Ne vous méprenez pas, j’aime beaucoup les romans.
Justement.
Je n’ai rien, même, contre les romanciers.
Il y en a plein ma table, des romans. De romanciers bien vivants, même.
Même Yannick Haenel.
Des morts, aussi. Balzac. Chesterton.
Il y a même un essai de Marie Darrieussecq. Bien, d’ailleurs.
Et même Horace, qui n’est pas essayiste. Lui.
Et puis ce bon vieux Corneille, énorme. Qui sourit. (Mais chut).
Aucun ordre à trouver là-dedans. C’est juste une photo. Partielle. Un coin de bureau.
Alors quoi ?
L’arrière tiendra.