Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

ballard

  • Jouir sans entraves, le film

    A La Queue-lez-Yvelines, après qu’ils eurent regardé tous les trois un film pornographique sans doute égaré là, les deux garçons, onze et douze ans, violèrent, non sans à leur tour se filmer, la petite sœur de l’un d’entre eux. Puis ils diffusèrent fièrement le film à leurs camarades de classes – des sixièmes –, sur des téléphones portables, avant d’être arrêtés par la police. Ces enfants viennent de « milieux sociaux plutôt favorisés » et « ne sont pas livrés à eux-mêmes », comme on dit ; en effet : qu’est-ce que ce serait ?

     

    Atroce hommage de la réalité au talent de James Graham Ballard.

     

    – Ces enfants, âgés de moins de treize ans, n’encourent aucune sanction pénale, me dit avec un sérieux dégoûté le gars qui me raconte l’histoire, et je ne sais plus quoi penser…

    – Non, mais peut-être qu’ils peuvent ramasser un Hot d’or, s’il y a une catégorie « jeunes talents ».

     

    Mais même pas, en fait : les artistes radicaux sont incompris, voyez-vous.

    – Et la liberté d’expression des artistes, fussent-ils « en herbe », vous en faites quoi, merde ? Et si ce film était une « authentique œuvre d’art », hein ?

     

    C’est vrai, quoi.

    Ces jeunes gens n’ont-ils pas transgressé l’ordre établi ? N’ont-ils pas éclaté, au sens propre, un tabou, sinon plusieurs ? N’ont-ils pas eu, en somme, une attitude rebelle et citoyenne ? D’autant que rien n’indique (à ma connaissance) qu’ils aient monnayé le visionnement du film. Générosité, gratuité. Quel talent.

     

    Vous verrez que les commémorateurs professionnels de mai 68 auront l’outrecuidance de ne pas trouver ces actes artistiques et généreux en eux-mêmes formidables et péroreront autour ; comme quoi eux-mêmes sont devenus d’atroces conservateurs, défendant leur petit pouvoir et leurs places franches (comme les zones du même nom) chèrement achetées (dénoncer plus pour gagner plus). Au mieux critiqueront-ils le fait que de tels actes aient des conséquences judiciaires, même symboliques – ce qui est tout de même le minimum de la dénonciation, sinon moins. Non mais.

     

    Avec un peu de pot, le lacanien de service, ex-mao sympathisant tibétain, vous expliquera, avec l’air du gars subtil qui se situe bien au-delà du calembour, que : « voilà ce que c’est d’habiter un bled nommé La Queue… Ce que c’est que le signifiant, tout de même… »

     

    – Arrête, c’est pas drôle… Il paraît que les parents sont anéantis.

    – Tu veux que je te dise ? Ils le sont depuis longtemps ; seulement maintenant, ils le savent.

     

     

     

     

     

     

     

    Voir la note 68.

    Lire Du devoir d'insubordination.

    Lire De l'invertissement (I et II).

  • Je singe (fiction spéculative)

    « Le libre-arbitre consiste en ce que nous ne pouvons connaître maintenant les actions futures. » Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (traduction française de Gilles-Gaston Granger)

     

    Je n’ai pas un goût prononcé pour la science-fiction.

    Certaines œuvres pourtant, livres ou films, me plaisent beaucoup ; nonobstant quoi je conserve à l’égard de ce genre une réticence profonde, capable de parfois carrément virer à répugnance.

    Peu importe, après tout.

     

    Je dois noter que le sous-genre – quel rangement de bureaucrate, ou de magasinier, selon les options et folies – parfois nommé speculative fiction est celui, de loin, qui m’intéresse le plus (en attendant leur hypothétique advenue dans la réalité, les bastons d’empires cosmonautiques m’emmerdent…) : James Graham Ballard, par exemple. Ou George Orwell.

     

    Je dois également avouer être un garçon prosaïque, presque exclusivement intéressé par la réalité : rien ne m’intéresse autant que les rapports spéculaires, mimétiques qu’entretient avec son époque la littérature.

    La science-fiction m’apparaît donc, très souvent, comme le lieu où la métaphysique, le manichéisme ou l’eschatologie s’affranchissent facilement de la réalité – puis-je dire qu’ils s’en excipent ?  –, en quelque sorte et littéralement : s’en décomplexent, se réduisent à outrance.

    Avec son réalisme forcené, finalement, Madame Bovary me pose davantage de questions métaphysiques, manichéennes ou eschatologiques que, pour prendre un exemple qui ne soit pas ridicule, Le Seigneur des anneaux. (Néanmoins, la succession des romans de Flaubert, leur réalisme, pose la question de savoir ce qu’est exactement La Tentation de saint Antoine…)

    En somme, je préfère au mythe le roman.

     

    J’approche donc ce genre : la science-fiction, ce sous-genre : la speculative fiction (que l’on pourrait tout de même faire l’effort minime de traduire, non ?) en le mimant, non pas très sérieusement mais ironiquement, et en le réduisant à outrance (je n’ai tout de même pas que ça à faire).

    Je singe.

    Et voilà ce que ça donne, par exemple :

     

    Les imbéciles (1980 et sqq) formèrent des crétins.

    Les crétins (2000 et sqq) forment des abrutis.

    Les abrutis (2020 et sqq) formeront des animaux.

    Les animaux (sans date) se reproduiront (peut-être).

     

    Avoir tort ou raison, évidemment, ne m’intéresse pas.

    En revanche, se demander à quel moment, bien avant que je cesse de l’employer, l’emploi (justement) du verbe former est devenu impropre ; se demander s’il n’a pas été, même, chaque fois improprement employé, est un problème passionnant.

     

    Je suis un garçon qui s’intéresse à la réalité ; j’ai des problèmes de vocabulaire.