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Providence

  • 1984

     

    J’aurais certainement pu expliquer, mais par l’exemple seulement hélas, que parler des hommes préhistoriques inclut les femmes, tandis que parler des femmes préhistoriques exclut les hommes. Et j’aurais ajouté, trop brutalement sans doute, que le féminin était, au moins en grammaire, le genre même de la discrimination – laquelle, je le précise, au-delà de toute provocation, n’est pas par nature criminelle et est même souvent, en nombre de cas où elle permet de distinguer les choses entre elles, parfaitement fondée.

    Au résultat, parce que la mode est à la confusion entretenue des genres grammaticaux et naturels, mes propos se seraient retournés contre moi. – Qu’elle soit volontaire ou subie, cette confusion des genres grammaticaux et naturels relève exclusivement de la superstition : exactement comme si l’on cherchait à « déduire » les opinions politiques d’un boxeur du fait que sa droite est meilleure que sa gauche – ou l’inverse – et du nombre de combats qu’il gagne ; puis à faire de cette « déduction » une prétendue « loi universelle » applicable à coup sûr à tout cas.

    Car tel est bien le point de destruction de la logique auquel nous voilà parvenus.

    *

    L’idée soudain m’effleure vaguement qu’il pourrait apparaître à quelques cervelles modernes réactionnaire, ringard ou je ne sais quelle autre infâme bondieuserie de citer cette institution forcément obsolète qu’est l’Académie française.

    Plus personne, évidemment, n’a besoin d’apprendre – je ne parle pas même de se souvenir – qu’il existe en grammaire française un genre marqué et un genre non marqué, lesquels sont ordinairement nommés, respectivement, féminin et masculin.

    Plus personne, évidemment, n’a besoin de savoir quoi que ce soit sur sa langue maternelle, puisqu’il est exactement recommandé par certaines autorités en charge de l’éducation, de parler comme des porcs.

    On se demande même par quelle intervention de la Providence, ces « éducateurs » d’un genre assurément nouveau n’ont pas eu l’idée, au moment d’en finir avec la langue française, d’asséner qu’elle était en réalité paternelle, et conséquemment, criminelle, coupable et condamnée…

    A l’époque de cette déclaration remarquable, la France vivait donc sous la Présidence de François Mitterrand, et poussait même l’âge d’or jusqu’à connaître un troisième gouvernement Mauroy.

    Il est ainsi possible de voir et de comprendre très manifestement la provenance des saloperies qui, plus de vingt ans après, continuent d’échoir sur nos gueules d’ahuris ; et comment la « femellisation » de la langue, s’il est permis de néologiser au moment de citer l’Académie, est en réalité une volonté de retourner la langue contre elle-même, et de l’ « auto-détruire » (on dit bien de certaines personnes qu’elles ont été suicidées).

    Quant au mot de « femellisation » que je viens d’employer, il est l’ennemi – au moins dans mon esprit – de toute féminité. Je tenais à le préciser.

    Féminisation

    (Déclaration de l’Académie française, 14 juin 1984)

    L’Académie a appris par la presse l’existence d’une Commission de terminologie, créée à l’initiative du Gouvernement (décret du 29 Février 1984), « chargée d’étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d’une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes ».

    Le décret précise que « la féminisation des noms de professions et des titres vise à combler certaines lacunes de l’usage de la langue française ».

    On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède d’un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu’elle ne débouche sur des propositions contraires à l’esprit de la langue.

    Il convient en effet de rappeler qu’en français comme dans les autres langues indo-européennes, aucun rapport d’équivalence n’existe entre le genre grammatical et le genre naturel.

    Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et « féminin ». Ces vocables hérités de l’ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué.

    Le genre dit couramment «  masculin » est le genre non marqué, qu’on peut appeler aussi extensif en ce sens qu’il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l’un et l’autre genre. Quand on dit « tous les hommes sont mortels », « cette ville compte 20 000 habitants », « tous les candidats ont été reçus à l’examen », etc..., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l’opposition des sexes n’est pas pertinente et qu’on peut donc les confondre.

    En revanche, le genre dit couramment « féminin » est le genre marqué, ou intensif. Or, la marque est privative. Elle affecte le terme marqué d’une limitation dont l’autre seul est exempt. À la différence du genre non marqué, le genre marqué, appliqué aux être animés, institue entre les sexes une ségrégation.

    Il en résulte que pour réformer le vocabulaire des métiers et mettre les hommes et les femmes sur un pied de complète égalité, on devrait recommander que, dans tous les cas non consacrés par l’usage, les termes du genre dit « féminin »- en français, genre discriminatoire au premier chef - soient évités ; et que, chaque fois que le choix reste ouvert, on préfère pour les dénominations professionnelles le genre non marqué.

    Seul maître en la matière, l’usage ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Quand on a maladroitement forgé des noms de métier au féminin, parce qu’on s’imaginait qu’ils manquaient, leur faible rendement (dû au fait que le cas non marqué contenait déjà dans ses emplois ceux du cas marqué) les a très vite empreints d’une nuance dépréciative : cheffesse, doctoresse, poétesse, etc. On peut s’attendre à ce que d’autres créations non moins artificielles subissent le même sort, et que le résultat aille directement à l’encontre du but visé.

    Il convient enfin de rappeler qu’en français la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales... Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier.

    *

    C’était donc, comme par hasard – et cela ne me dérange en rien que l’on entende dans le « comme » l’annulation déjà du mot « hasard » –, en 1984 qu’un gouvernement socialiste, comme par hasard – idem –, inaugura la novlangue de merde que nous sommes aujourd’hui contraints d’animalement éructer, sous peine d’une mise au ban qui pour paraître effectivement chaque jour plus désirable n’en est pas moins extrêmement difficile à assumer.

    (Et bien sûr, ce sont les mêmes salopards qui à la fois imposent cette « femellisation » de la langue, et interdisent de fait, et prétendraient-ils le contraire –, par des mesures propres à faire passer leur ancêtre Tartuffe pour un authentique Père de leur Eglise d’abrutis, l’enseignement jadis exigeant, et fondé seulement sur une autorité de compétence, de la langue française.)

    Cette novlangue est un forçage autoritaire – au sens le plus moderne et dévoyé du mot – et totalitaire de la langue française : l’usage y est défini par l’abus.

    Et comme j’imagine que l’image parlera à des gens qui veulent à toute force faire coïncider exactement genres grammaticaux et naturels – et aussi parce que je sais que la position que je tiens ici est par avance perdue –, je dirai que cette novlangue est un viol du français.

    Car la langue était vivante ; et elle était un corps en vie. Et la voilà violée maintenant ; et la voilà comme morte. De mauvais esprits voudront peut-être noter que je parle d’un viol de la langue pour illustrer la manifestation tyrannique de sa femellisation obligatoire, c’est-à-dire : la volonté autocratique d’exclure un genre grammatical masculin incompris, puisque ramené sans logique au genre naturel. J’espère seulement qu’il restera à ces mauvais esprits assez de logique (et de courage, aussi) pour comprendre qu’il s’agit là à la fois d’une métaphore et d’un euphémisme.