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Le gai savoir, par Friedrich Nietzsche
A l’honneur des « homines religiosi ».
La lutte contre l’Eglise est sans doute entre autres aspects – car elle signifie mille choses diverses – la lutte des natures plus vulgaires, plus légères, plus confiantes, plus superficielles contre la domination des hommes plus graves, plus profonds, plus contemplatifs, c’est-à-dire plus méchants et plus méfiants, qui furent longtemps à scruter avec une suspicion profonde la valeur de l’existence comme aussi leur propre valeur : le vulgaire instinct du peuple, sa joie sensuelle, son « bon cœur » s’insurgèrent contre eux. L’Eglise romaine tout entière repose sur la suspicion méridionale à l’égard de la nature humaine, et qui dans le Nord prêta toujours au malentendu : suspicion qui constituait pour le Midi européen l’héritage du profond Orient, de l’antique et mystérieuse Asie et de son esprit de contemplation. A lui seul le protestantisme est un soulèvement populaire en faveur des braves gens, ingénus, confiants, superficiels (le Nord montre toujours plus de bienveillance et de platitude que le Midi) ; mais ce fut la Révolution française qui remit enfin solennellement et sans réserve le sceptre au « brave homme » (au mouton, à l’âne, à l’oie, en un mot à tout ce qui est d’une irrémédiable platitude, à tout ce qui braille, qui est mûr pour la maison de fous des « idées modernes »).
Nietzsche, Le gai savoir, fragment 350, traduction de Pierre Klossowski.