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Plaisanterie

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Œil pour œil et double langage pour double langage, en quelle langue va-t-il falloir le dire ? – Mon cher, dit le vieux, il y a tout de même un certain nombre de cas, que la loi ne prévoit pas, où l’attaque est légitime, et mourir dans son bon droit pas toujours bien ni juste. J’ai souri. « – Evidemment, je ne tiendrais pas les mêmes propos à un jeune homme qui serait, comme on dit, paranoïaque. » Ah. Il est à peu près certain que tout tient dans cette fragile distinction ; dans la capacité d’évaluer très vite, froidement, une situation conflictuelle, puis de prendre sinon la bonne décision du moins la meilleure – qui ne garantit pourtant aucune issue. Ensuite, en effet, c’est à la grâce de Dieu…

Quand tu te places en conscience face au miroir, tu te débrouilles très bien pour bannir l’expression de ta peur. Mais dans la rue, quand tu marches, ce n’est pas ce visage travaillé-là que tu offres au passant, et lui, peut-être saisit-il en surplus de ce que tu caches ce que tu ignores tout à fait… Oh, personne n’est qui il voudrait. Le gamin me raconte qu’il a refusé une cigarette à un type, qui l’a alors traité de fils de pute. Je regarde les grands nuages blancs par-delà les poutres métalliques, et comme le vent lentement les chasse, laissant espérer le soleil… Voilà une vraie question. Les mots ont-ils un sens ? Et si oui, ta mère est-elle une pute ? Peut-être, au fond, après tout… Peut-être, oui, au point où on en est, y a-t-il un léger doute. Ou bien, puisque tu es encore un petit garçon perdu, demande à ta mère : « – Maman, Maman, si on me traite de fils de pute, dois-je me battre ? » Crains la réponse, garçon, et n’écoute de toute façon pas ta mère, tu es grand. (Oh, je sais, ma plaisanterie est un massacre.)

Non, hurle le monde, et c’est presque son seul unisson, les mots n’ont pas de sens. Ouf. Il est bien possible qu’ils en aient eu, dans le temps, quand le monde était à feu et à sang, carnage. Mais c’est fini, leur sens s’est perdu, comme on disait jadis d’une lettre qu’elle ne s’était pas retrouvée. Prends ton pain dans la gueule et tends l’autre joue. Fais-toi latter les couilles. Tu es là pour t’éclater. Pour te faire éclater. C’est pour cela seulement que tu dois encore être un peu chrétien, petit con ; c’est un ordre – et baisse la tête, marche, marche dans la rue, les mots fils de pute dans ta gorge et répétant en boucle dans ta tête que ce n’est qu’une expression, et que d’ailleurs, si les mots n’ont pas de sens, elle ne veut pas dire ce qu’elle veut dire… Ici, l’église aussi est moderne, mon cher vieux Chesterton, elle aussi pleine d’idées chrétiennes devenues folles. Et ne se distingue plus du vaste monde écrabouillé sous mammon que parfois, à l’avant-pointe de la folie, par de gigantesques sursauts d’indigence, que le restant aussitôt lui envie, et copie, misère, misère. Entre l’aigu du sanglot et le grave du rire, ma raison joue sur les grandes orgues de la colère. « – Oui, c’est une expression comme une autre, fils de pute, explique le pédagogue, doucement. Les gens qui l’emploient ne prêtent aucune attention aux mots dont elle se compose (sinon, bien sûr, ils ne l’emploieraient point) ; oui, c’est comme un seul mot de trois syllabes, dont le sens demeure indéfini, suspendu ; car toi, jeune homme, quand tu dis putain ! en début de phrase, sans y prêter même attention, sans savoir que tu le dis, dis-tu vraiment putain, as-tu en tête l’image mentale, caricature ou cliché, d’une pute ? Non, alors, tu vois. » Qu’est-ce qu’on rigole, les gars, je ne m’en remettrai pas, de cette époque. Nous sommes tous pareils, gamin, toi qui lances dans le vide, pour donner à ta phrase un peu d’élan forcé, le beau mot de putain, et ton type dans la rue, qui sait très bien ce qu’il te dit quand il te dit fils de pute ; nous sommes tous bien égaux, pédagogue, et il n’y a rien à relever, littéralement, tout est à terre déjà. Tu es déjà à terre, garçon, et l’avenir boit à même ton crâne vide, vanité des vanités, tout est vanité et poursuite du vent. (Mais alors, justement, pourquoi ne pas y aller gaiement, quitte à mourir pour un mot de trop ? Surtout s’ils sont cinq, ces types, et pas un… Oui, je sais, c’est un mauvais calcul… et ta maman, camarade, qui t’a un peu appris à compter, t’a aussi élevé pour être insulté, même quand tu ne le sais pas, et le seul problème en fait c’est que ce type n’a pas eu le tact de t’insulter discrètement, c’est un rustre, assurément, et c’est pour cela seulement qu’il t’a subrepticement semblé mériter une correction qu’au reste tu es parfaitement incapable de lui donner, et que personne ne lui donnera pour toi, ce qui te laisse ce goût amer d’injustice dans la bouche : après tout, on a toujours tout fait pour toi, tout est toujours tombé comme par magie, et tu ne vois d’ailleurs toujours pas là une gigantesque insulte couvrant ta vie entière, et tout à coup, voilà que l’insulte discrète, permanente qui t’est depuis toujours dûe a fait défaut, et que tu te sens insulté – car cette insulte de ce type-là, en effet, t’est sensible, cuisante. Une seconde, gars, tu as vécu vraiment, et cette impuissance ne te fut pas agréable). Il y a bien dû y avoir, quelque part dans l’Histoire, un homme qui s’est mis au sol devant une prostituée qui n’était pourtant même pas sa mère, et il lui a lavé les pieds, mais il faut m’excuser, je ne sais plus qui c'est, et sans doute accordait-il trop d’importance aux gens, à leur dignité, quelque chose comme ça. On s’en fout, on est pressé, passe sur l’insulte, avale-la, et va jouer, va jouer à faire mumuse avec des gamines de ton âge, et que rien n’effarouche depuis déjà longtemps. Tu as raison, gamin. Mieux, c’est bien.

… que celui qui n’a pas d’épée vende son manteau pour en acheter une.

Bon. Ne prenez pas ça au sérieux, les enfants, c’est juste des plaisanteries.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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