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littérature - Page 121

  • Miroir, mon beau miroir...

    (Article également publié sur Ring.)

    Lara Persain dans Bash.jpg

    Il y a un homme dans ce fauteuil, un verre à la main. Il est cadre moyen, mormon, on est vers Las Vegas, il se confie à un voyageur de passage, un commercial quelconque. Il raconte comment, par peur de perdre son emploi, il a sciemment laissé mourir, étouffée, sa toute petite fille… Le spectacle s’appelle Bash, latterday plays, le texte est de Neil LaBute. Trois histoires sordides de gens banals, histoires réalistes, c’est-à-dire : hyperviolentes, écrites avec une grande intelligence et, c’est important, très bien interprétées par un quatuor de comédiens belges (XK Theater Group). Passage d’une ordinaire et émouvante Médée pour finir. Beau spectacle, mais grand malentendu critique. – Eh bien, si c’est ça le rêve américain, ça ne donne pas envie, remarquez, on le savait… me confie en sortant ma voisine de banquette, une cinquantenaire probablement enseignante. Le spectacle passe d’autant mieux qu’il est reçu comme une charge contre l’Amérique, et, comme l’antiaméricanisme se porte à merveille dans l’Europe naufrageant, il reste à s’émerveiller que cette charge soit l’œuvre d’un écrivain américain. En somme, on comprend à côté, c’est plus simple. Neil LaBute est un écrivain violent, passionnant parce qu’il représente des Américains banals en meurtriers devant des Américains banals. Un acte courageux, et qui n’a rien d’antiaméricain. Un acte critique. L’équivalent en France serait de représenter crument, sans métaphore, des bobos ignorant l’être, rebelles sous tous rapports, comme on disait bien sous tous rapports, avec des comédiens les défendant sans les juger, et de voir comment ces crétins-là réagissent à leur représentation. J’ai essayé, je me suis fait basher à la française, silence radio. La liberté d’expression est tellement rognée ici, et tellement heureuse et satisfaite d’être rognée, que le monde entier ne peut évidemment que nous envier nos rognures – du moins est-ce notre version officielle. Le site theatre-contemporain.net, dans sa présentation de Neil LaBute, trahit son incompréhension (n’oubliez pas d’admirer la syntaxe au passage) : « L’auteur de sa génération le plus prolixe n’en déroute pas moins, par le ton frais et drôle de ses pièces qui tranche avec sa féroce dénonciation de la supercherie de la société contemporaine. Sa fervente adhésion à l’église mormone est un autre sujet d’intrigue tant la liberté de ton et de thèmes qu’il aborde est corrosive et anticonformiste, pour ne pas dire sacrilège… » Neil LaBute sait en somme une chose que nous voulons ici à toute force ignorer : l’homme n’est pas bon, et lui-même ne s’excepte pas magiquement de ce simple constat. Ici, dans notre beau pays, nous préférons rousseauïser à qui mieux-mieux en attendant Robespierre, et glavioter que l’homme est bon par nature et que c’est la société (toujours plus ou moins américaine désormais) qui le pervertit. Du coup, le metteur en scène du spectacle, René Georges, préfère citer Bond, Edward Bond…  

     

    – Un spectacle décalé, me dit un jeune type en me fourguant l’énième tract pénible de la journée. Décalé de quoi ? Ne nous posons pas la question. Il y a dans le Festival off d’Avignon 1057 spectacles décalés, dont 1 Racine, 0 Corneille et 0 Claudel, par exemple. – Alors, j’attendrai qu’il soit calé, ai-je répondu.

    Le répertoire est paisiblement foutu aux chiottes. La connaissance historique avec. Et donc toute possibilité de penser l’écart entre les époques. Et donc la possibilité critique. C’est fait. Ce programme-là est derrière nous. Il nous reste le rêve, l’émotion, l’utopie ; il nous reste de parler à côté de la réalité, comme on marche à côté de ses pompes. Et de nous en faire gloire. Enfin, gloriole.

    Quels rêveurs, ces artistes.

     

    Je suis allé assister, l’autre jour, à une très belle et très simple conférence de Giorgio Agamben. Je ne suis pas arrivé assez tôt pour avoir une place dans la salle, aussi ai-je écouté sa diffusion depuis le jardin, en buvant du café et fumant des cigarettes. Je regardais les gens autour de moi, qui écoutaient sagement la conférence. Quelque chose m’a frappé. Il n’y avait presque pas d’hommes. Des femmes, pour la plupart entre 35 et 60 ans. Je me suis dit que c’était ma façon de voir le monde, peut-être. Dans le doute, j’ai compté. 41 femmes, 6 hommes. Un beau signe des temps. Le soir, un ami comédien me dit qu’il a joué devant un public en grande majorité féminin. Depuis, je regarde les terrasses des cafés, les passants place de l’Horloge. Des couples bien sûr, tout de même, la quarantaine, profilés CAMIF, et puis, en nombre, des grappes de femmes, dans les cinquante, sorties entre copines. Pas tellement de jeunes gens, trop cher. Ou alors, quelques jours, un déluge de minettes parisiennes hypokhâgnées avec leur drôle d’accent affecté.

    Le théâtre n’intéresse plus les hommes ? On peut trouver cela dommage. Et en même temps, quand je pense au théâtre de notre belle époque, à ce qu’il dit et comment il le dit, à sa dénonciation en boucle, je ne puis m’empêcher de trouver cela rassurant. Et après tout, peut-être que le théâtre intéresse toujours les hommes. Peut-être est-ce, simplement, qu’il n’y a plus vraiment de théâtre… L’ambiguïté, l’ambivalence disparaissent, cèdent la place au message. Les spectacles dénoncent. Ils savent. Ils savent où est le Bien (c’est eux). Et ils dénoncent. La dénonciation est décidément une belle chose. Et rassurante, avec ça. Qu’est-ce qu’on rigole. Cela me fait ressouvenir que la III° République, du fait de son étroitesse de légitimité, menacée tant par le socialisme révolutionnaire que par les camelots du roi, avait refusé de donner le droit de vote aux femmes parce qu’elle les pensait majoritairement, et en tout cas davantage que leurs époux, soumises aux curés, à l’Eglise catholique. A tort ou à raison, elle craignait que le vote des femmes mît en danger son existence même. De quoi parle la conférence d’Agamben ? Pour partie de la sécularisation de la théologie, du gouvernement des hommes calqué sur celui de Dieu ; de l’angélologie comme modèle bureaucratique, vocabulaire compris : ministère, mission, hiérarchie (ce qui signifie pouvoir sacré). Que faisait Dieu avant la Création et que fera-t-Il après le Jugement ? That is the question. Et, plus largement, Agamben parle du désœuvrement dans l’art, la fête, la société… La belle critique subtile d’Agamben vient elle-même prendre place dans ce dispositif religieux insu, avec ses fidèles à majorité féminine, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles… 

     

    Je vais essayer de parler de ce crime, finalement, en quoi consiste d’abandonner aux journalistes la critique ; corollairement, de la commune lâcheté de prétendus artistes.

    Dire publiquement ce qu’on pense, ou pire : décrire simplement ce que l’on voit, dans un petit milieu monté en réseau, où chacun peut et « doit » avoir besoin de chacun, revient presque inévitablement à « mettre en danger » sa position,  à se fermer des portes : risque qui paraît à présent inacceptable.

    Si l’artiste est, il l’est statutairement ; son boulot consiste à enfoncer des portes ouvertes et son dernier talent à maintenir l’illusion qu’elles étaient fermées…

    Alors silence.

    Dans ce mauvais silence pourri de paroles convenues, répétées à toute heure comme des fragments d’une liturgie bizarre ayant envahi l’espace social, tout s’indifférencie : tout vaut tout. Le plus beau, c’est que la plupart du temps, l’artiste y croit : il récite son catéchisme avec la ferme conviction d’émettre une pensée personnelle. Il s’adresse à des gens qui sont bien d’accord avec lui, au nom de la même pensée tout aussi personnelle. Cette communion est subversion, puisque tout le monde le dit.

    C’est la crise, d’ailleurs, mon bon monsieur. Ne prenons pas de risques. Evacuons la réalité avec sa représentation et vendons nos schmilblicks. Ce serait donc à la crise, paradoxalement, qu’il reviendrait d’évacuer la critique, laquelle n’est peut-être finalement que sa description. Quelle vacherie, la crise, et l’inflation, pensez donc…

    Alors que non. C’est la peur. Et sans doute y a-t-il des raisons d’avoir peur ; mais je n’en vois pas de ne pas passer au-delà.

    Je parle d’une critique réelle dans les œuvres. Mais la langue de Molière disparaît ; et avec elle, Molière. Logique. Programmatique.

    Restent les journalistes. Petits potentats qui, eux aussi, ne prennent au fond aucun risque et n’effraient finalement que les imbéciles. Sauf procès. Leur seul pouvoir de publicitaire du néant est de parler les derniers, de ne laisser personne leur répondre.

    Pourquoi laisser à ces gens-là le dernier mot, après tout ?

     

    Je suis au cloître des Carmes, on est le mardi 22 juillet, j’assiste à la représentation de La Mouette de Tchekhov, mise en scène par Claire Lasne Darcueil, le mistral balance des rafales à cent kilomètres heure, le public est transi de froid, les actrices tiennent leurs jupes pour qu’elles ne couvrent pas leurs visages, des bribes de textes partent ailleurs, Dieu sait où, un fauteuil roulant vide traverse la scène à belle allure, ma concentration se fait intermittente elle aussi, j’attends que cela finisse, le dernier acte est censé représenter un intérieur et tout y vole, sourires, les bougies sont soufflées net, j’attends que cela finisse, incapable d’apprécier pleinement le spectacle pourtant fort subtil, trop de vent, trop de froid. Le lendemain, sous la chaleur lourde, je lis sur le site de Libération le flingage du spectacle, paru la veille au matin et que j’avais refusé de lire avant de voir le spectacle, par l’illustre René Solis. – Solis est tout de même un écrivain, me dit sans plaisanter ma voisine de café, quarante-quatre ans, metteur en scène de son état (j’imagine). Solis, un écrivain ? Bien sûr, mais seulement si tout vaut tout. Si Marc Dorcel vaut Andreï Tarkovski, et Paul Préboist Orson Welles, alors oui, René Solis vaut James Joyce, par exemple, ou Balzac, ou n’importe qui. Ce monde est un puterie sans nom.

    N’empêche. René Solis en ses basses œuvres m’aide à comprendre le spectacle. Car, à l’exception de Richard Sammut, qui joue Trigorine, médiocre écrivain fascinant la jeunesse, l’illustrissime Solis n’a rien aimé, du décor aux costumes, en passant bien évidemment par les comédiens. Il a même vu, chez Arkadina, jouée par Anne Sée, de la vulgarité, ouh la la. Que raconte La Mouette, déjà ? Pour aller vite, les amours non payées de retour d’une floppée d’oisifs embourgeoisés, actrices et écrivains… jusqu’au suicide de ce pauvre avant-gardiste de Treplev. Au nom de quoi tous ces braves gens seraient-ils dispensés de toute vulgarité, quand ils en sont la manifestation la plus exemplaire et, pour ainsi dire, la plus normative ? Parce que c’est Tchekhov, voyons !… Mais Tchekhov, loin des clichés lenteur éthérée, samovar et robes blanches, peint la fin d’un monde, l’effondrement dans la vulgarité et la pusillanimité devant la vie de la classe bourgeoise, aristocratique russe. Alors oui, René Solis, m’a aidé à comprendre le spectacle, et le talent extraordinairement discret – qualité rare – de Claire Lasne, à côté duquel j’ai bien failli passer, je l’avoue. Car Claire Lasne, tout en travaillant à servir comme une partition le texte établi par André Markowicz et Françoise Morvan, a mis le public d’Avignon sur le plateau. Des acteurs, des auteurs, leurs admirateurs, toute la boboïsation culturelle avec ses familles éclatées et sans pères, le ridicule et la vulgarité pour étendards, se retrouvent sur la scène à étirer leur vacuité, jusqu’à ce que la mort ait contaminé tout désir. Et ce que Solis a vu sur la scène du cloître des Carmes, qu’il n’a pas reconnu et qu’il a trouvé exactement atroce, non sans raison, c’est lui-même. Et il s’est vomi lui-même en quelques lignes dans les colonnes de son canard. Petites solissures.

    Si c’est ça, le théâtre, il n’en faut plus jamais. On préfèrera Castellucci, génie muet.

    Il n’est pas seul dans ce cas, notre médiocre Trigorine de Solis. Le tâcheron de L’Humanité – un canard que personne ne lit plus, et pour cause, mais dont les articles culturels jouissent encore, dans le milieu, et sans aucune raison, d’un certain carat de prestige… ce que c’est que la nostalgie, tout de même – a dû se reconnaître aussi : il va jusqu’à reprocher aux comédiens de déplacer eux-mêmes des chaises ! Les acteurs ne devraient pas avoir de bras, surtout pour jouer Tchekhov, ne devraient pas être les ouvriers du théâtre. Cette « entreprise provinciale », comme le dit notre larbin laborieux, n’est sans doute pas assez parisienne, ne parle pas assez dans le vide ; et en effet, elle détruit le parisianisme, le montrant pour ce qu’il est : une boursouflure de néant, que conclut un suicide. Trop de réalité, pas assez d’éther. Privé de son shoot, le journaleux. Mais enfin, ne tirons pas sur le corbillard. Prenons plutôt pitié.     

     

     

     

     

      

     

     

  • Travailler repose

    Père Noël par Haddon Sundblom.jpg

    Foin de l'avignonnaise brocante de conneries neuves... 

    Je viens de passer les quatre derniers jours à écrire une petite forme dramatique, cinq pages, durée estimée 20 minutes.

    Une pochade, également annoncée Christmas tale.

    Parodie d’émission culturelle télévisée (si l’expression a un sens). Nom de la chaîne : NDE 1, c’est-à-dire Near Death Experience One, NDE signifiant en français Expérience de Mort Imminente.

    Titre de la pochade : Become clever/restez cons.

    (J’aime l’imbécillité de la barre de fraction linéaire, qui est très à la mode. Slash. Il ne manque qu’un dièse pour être au top de n’importe quoi. Quand le langage s'effondre, de nouveaux signes apparaissent?)

     

     

     

     

    Objet dramaturgique : fondre au même ridicule mes détestations et mes fascinations, ainsi que toutes les autres opinions, miennes ou pas miennes, qui se présentent.

  • Ordet, de Kaj Munk

    Ordet.jpg

    On peut regretter que le titre n’ait pas été traduit, référence au film de Dreyer « oblige ». Quant à Kaj Munk, l’auteur danois de la pièce ayant inspiré ce film, il semble avoir disparu derrière la notoriété du réalisateur.

    Kaj Munk était pasteur, poète et dramaturge ; Ordet veut dire « la Parole » et la pièce raconte un miracle, comment on parvient au miracle : la résurrection, et s’achève avec lui. La traduction, ou faut-il dire l’adaptation, est signée de l’écrivain Marie Darrieussecq et du metteur en scène Arthur Nauzyciel.

    Non seulement Ordet, donc, est une pièce de théâtre, mais elle traite par surcroît de ce qui le fonde, lui aussi : la Parole. Quoique Munk ne soit pas Kierkegaard, qu’il évoque, ni Dostoïevski, au Grand Inquisiteur duquel il emprunte au moins le motif de fond, il est un solide faiseur de théâtre, dans la construction impeccable comme dans la précision de chaque phrase. De la querelle des trois pasteurs en présence, qui font varier la théologie selon leurs intérêts, laquelle s’envenime en fin de course d’un médecin moderne, scientiste et athée, ne sourd guère que de la politique, j’entends par là : les enjeux de la domination du monde, et le miracle de la résurrection viendra par l’illuminé, reprochant aux hommes d’Eglise leur peu de foi, et  prétendant lui-même être Christ.

    « Oui, ce qui est extrêmement troublant, c’est que ce miracle arrive à la fin, qu’il est expédié en trois répliques. Et ça se termine par : « Pour nous la vie ne fait que commencer ». Mais avant, alors, c’était quoi, si la vie commence à la fin ? Et si la résurrection est la fin des temps ? Le théâtre est troublant dans son rapport entre le réel et l’illusion. Le miracle à la fin est effectivement un miracle, mais on est au théâtre, donc c’est le simulacre de miracle. A partir du moment où, au théâtre, les morts se relèvent toujours, c’est comme si la mort était une cérémonie, et l’expérience de la représentation une façon de conjurer la mort. Une célébration du vivant. » Ce sont les propos d’Arthur Nauzyciel, et s’ils sont au fond banals, il faut se demander quelle époque nous les fait paraître importants.

    Le pasteur Mikkel Borgen, paterfamilias de Borgengard, a trois enfants… (c’est le moment de réduire l’histoire en trois phrases et de critiquer la mise en scène, ce dont cette parenthèse me dispense), servie par des acteurs formidables, au premier chef… on regrettera seulement que les costumes et décors… monde paysan, archaïque… un temps séduit par le fascisme, Kaj Munk est mort en 1940, assassiné par la Gestapo… (C’est bien, le journalisme, c’est tranquille.)

    « Vouloir résolument faire d’Ordet une œuvre d’aujourd’hui aura juste servi à montrer à quel point la pièce pouvait être, aussi, et désuette [orthographe certifiée d’origine] et démodée » conclut Fabienne Pascaud, qui, pour la plus grande tranquillité des lecteurs de Télérama, n’a jamais rien compris.

    On peut bien sûr reprocher au spectacle son décor (les murs du cloître des Carmes auraient suffi) et ses costumes, peut-être même parfois sa lenteur, quoique j’aie trouvé juste la part du silence dans ce travail sur la Parole, peut-être même sa longueur à finir, gloser jusqu’à plus soif (et il fait chaud) sur les mérites de la traduction-adaptation de Marie Darrieussecq. On peut. Mais je crois surtout que l’on reprochera à ce spectacle ce en quoi son audace même consiste, de nous mettre face à tout ce dont nous ne voulons plus.

    Et même l’ennui, dont il y a plusieurs espèces, n’est pas désagréable.

    Ce sera tout.

     

     

    Mise en scène : Arthur Nauzyciel. Traduction et adaptation : Marie Darrieussecq et Arthur Nauzyciel. Avec Pierre Baux, Xavier Gallais, Benoît Giros, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot, Laure Roldan de Montaud, Marc Toupence, Christine Vézinet, Catherine Vuillez, Jean-Marie Winling. Décor : Éric Vigner assisté de Jérémie Duchier. Chant : Ensemble Organum Mathilde Daudy, Antoine Sicot, Marcel Pérès. Musique : Marcel Pérès. Journal de répétition : Denis Lachaud. Photographie de plateau : Frédéric Nauzyciel. Conseiller littéraire : Vincent Rafis. Costumes et mobilier : José Lévy. Son : Xavier Jacquot. Lumières : Joël Hourbeigt.  Travail chorégraphique : Damien Jalet.

    Production déléguée : Centre dramatique national Orléans-Loiret-Centre avec la participation artistique du Jeune Théâtre National. Le décor a été construit par les ateliers de la Maison de la Culture de Bourges.

    Coproduction : Centre dramatique national Orléans-Loiret-Centre, Festival d’Avignon, CDDB-Théâtre de Lorient – Centre dramatique national, Maison de la Culture de Bourges, Compagnie 41751. Avec le soutien de la Région Centre, du Nouveau théâtre de Montreuil – Centre dramatique national et de la Scène nationale d'Orléans.

    Le Festival d’Avignon reçoit le soutien de l’Adami pour la production.

  • Culture Pride

    Le Festival Off a commencé, hier.

    Avec ses 1000 et quelques spectacles.

    Mais la plus symbolique de ses manifestations, la plus « parlante », je veux dire : la plus bruyante, pour la deuxième année consécutive a eu lieu avant-hier, et, misérable que je suis, je l’ai ratée.

    La Grande Parade du Off.

    La Culture Pride.

    La Dé-Culture Pride.

    Comme vous voulez.

    Puisque, dans le monde auquel nous nous rendons gaiment, comme dans le 1984 d’Orwell, une chose peut être définie par son contraire.

    Principe actif de néantisation.

    J’y reviendrai.

     
  • Inferno, de Romeo Castellucci

    (Article initialement publié sur Ring.) 

     

    Inferno_Castellucci_Etranglement.jpg

    Bien. Je vais vous raconter.

    Il y aura peut-être de petites inexactitudes dans le déroulé. La mémoire…

    Vous voudrez bien noter, au passage, que cet article en désordre réussit au moins cet exploit d’inclure l’intégralité du texte de la « pièce de théâtre » en question, Romeo Castellucci continuant de dire que ce qu’il fait sur la scène est du théâtre.

    Et s’il le dit, c’est que c’est vrai.

    Et ce ne sont pas les spécialistes de la presse nationale, pour l’heure du moins, qui vont le contredire.

    Dans Le Monde, la toujours judicieuse Brigitte Salino titre éloquemment : Castellucci mène « L’Enfer » au sommet.

    Dans Libération, l’illustre René Solis, livrant  un article au titre hautement post-sartrien : L’« Inferno » c’est nous, doublé d’un sous-titre délirant d’éloge : « Théâtre. Romeo Castellucci insuffle à Dante une nouvelle énergie », voit même dans ce spectacle un enchantement : « Tous les vingt ou trente ans, un spectacle réussit l’enchantement de la cour d’honneur. C’est parfois la magie d’un acteur (Gérard Philipe dans son pourpoint de prince de Hombourg), ou l’évidence d’une énergie nouvelle (le ballet de Maurice Béjart). Inferno de Castellucci a cette force-là, qui nettoie le regard, ouvre des chemins, ne vise pas la perfection, et s’intéresse à ceux qui le font. […] Sidération et mélancolie plus que torture ou désolation, Inferno raconte la chute, la tristesse, le plongeon toujours recommencé, la répétition éternelle. La nostalgie de la douceur. »

    Pour insuffler une nouvelle énergie à un immense auteur ancien, il suffit de se passer de son texte. Bref, Dante sans Dante est un enchantement. CQFD.

     

    Cette fois, je raconte.

    La chose se passe, donc, dans la célèbre cour d’honneur du Palais des papes.

    Un type seul entre du fond, au centre du grand plateau presque nu (il y a juste une grosse boîte noire, à Jardin, c’est-à-dire à gauche pour le spectateur), descend lentement vers le public, s’arrête et dit :

    « Je m’appelle Romeo Castellucci. »

    Début de spectacle que notre maître René Solis compare à la première phrase de Moby Dick et  interprète (tout seul) comme signifiant : « Je m’appelle Romeo Castellucci et c’est moi qui ai peur ».

    Ainsi commence Inferno, « libre adaptation » de Dante par Romeo Castellucci, et cette phrase, en somme, sera la seule. Même s’il y en a approximativement quatre ou cinq autres ensuite, dont un chœur qui répète : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime… ».

    Mais bon. Quelqu’un amène au type qui a dit s’appeler Romeo Castellucci une combinaison renforcée, qu’il enfile tandis que sept maîtres-chiens, flanqués de sept bergers allemands, entrent à l’avant-scène Jardin (toujours à gauche, donc, pour le spectateur). Les maîtres-chiens attachent au sol par le moyen de chaînes leurs toutous.

    Puis un berger allemand venu de Jardin entre à toute vitesse, se jette sur le pauvre Romeo, le renverse. Un deuxième chien arrive, à toute vitesse aussi, se jette sur lui. Puis un troisième.

    Romeo est au sol, malmené par les vilains toutous. Pauvre Romeo. La chose dure quelques minutes, dans les hurlements (amplifiés ?) des sept chiens-spectateurs, puis, on ne sait pourquoi, un type à Jardin siffle les trois chiens attaquant Romeo, lesquels chiens obéissent à l’instant.

    Puis les sept maîtres-chiens et leurs chiens quittent à leur tour le plateau. Silence.

    Le pauvre Romeo, si je comprends bien, est laissé là pour mort. Oh, pauvre Romeo.

    Quelqu’un entre, recouvre le corps de Romeo d’une peau de chien, de berger allemand.

    Puis un type presque nu vient à côté de Romeo et prend sur lui la peau de l’animal – c’est l’envol de son âme, explique mon voisin à sa femme.

    Le type presque nu commence d’escalader le haut mur de fond de scène du Palais des papes.

    Il ira jusqu’en haut, trente-cinq mètres, exécutant quelques jolies figures au passage de la fenêtre de l’Indulgence. Brigitte Salino du Monde  voit d’ailleurs dans cette ascension silencieuse « l’une des plus belles chose jamais vues à Avignon ». Tandis que René Solis au regard nettoyé nous précise : « Où est L’Enfer selon Castellucci ? Ici, maintenant, dans les murs du palais des Papes. »

    Vers la fin de son ascension, entre une jeune fille, banalement vêtue, qui bombe très lentement (en fait, tout est très lent) le mur du Palais : JEAN, en lettres capitales. « Un sacrilège, une note d’humour », commente le grand René Solis.

    Puis elle s’éloigne vers le Jardin. « Jean », si c’est bien lui, est arrivé au terme de son escalade, et se tient debout sur le mur, à Cour.

    Tiens, Jean a trouvé un ballon, tout là-haut, un ballon de basket je crois, et il va l’envoyer à la demoiselle, il vise, ça y est, il l’envoie, le ballon tombe, rebondit, rebondit, et la demoiselle l’attrape.

    Et maintenant, elle joue à le faire rebondir.

    Les rebonds sont amplifiés. De plus en plus. La lumière descend. Les rebonds font de plus en plus de bruit. Des nappes sourdes de sons graves envahissent l’espace, les rebonds du ballon assurent la rythmique, il fait sombre, les fenêtres du mur du Palais s’allument, s’éteignent, « on se déplace là-dedans », le bruit encore plus, on se croirait dans un film d’épouvante et c’est très drôle.

    Au bout d’un long moment de ce vacarme à jeux de lumières, entre à Cour une soixantaine de personnes un peu zombies, et lentes, donc.

    Elles tombent une à une, jusqu’à faire une sorte de tapis de corps colorés.

    La jeune fille à ballon de basket tient toujours la place centrale.

    Les soixante corps « roulent en dansant » lentement vers le fond de scène.

    Il y a du silence, à présent. Du calme.

    Un des corps sort du tapis, vient relever la demoiselle gardant le ballon, qui va s’allonger dans le tapis. Puis un autre corps vient relever le releveur, et ainsi de suite. Il y a des gens de tous les âges, des petits enfants, un vieillard.

    Je viens de vous raconter les vingt premières minutes, disons, du spectacle.

    Impressionnant, n’est-ce pas ?

     

    Après quoi je commence à avoir du mal à remettre les choses en ordre. Moments « marquants » :

    Dans un grand cube de verre, des enfants de deux ans, peut-être trois, jouent ; ils sont surveillés par un nounours géant (un adulte). Durée approximative : cinq, six minutes. Palpitant.

    Il y a des gens, avec des enfants, des bébés. A un moment, il y a même deux personnes qui s’approchent, se rencontrent. J’ai même vu une femme danser deux minutes. Si.

    On amène un piano à queue et on le brûle sur la scène (préalablement arrosée).

    Soixante figurants se mettent deux par deux et jouent à s’égorger au ralenti. Mais le vieux monsieur est tout seul, alors il dit : « Où es-tu ?... Où es-tu ?... Je t’implore… » et un jeune gars arrive, ils sont contents de se voir, s’enlacent, puis le jeune gars égorge le vieux monsieur, qu’est-ce que c’est beau, ça en raconte des choses, hein ?

    On fait défiler sur le mur du fond de scène la liste des œuvres d’Andy Warhol, laquelle est interrompue par un hommage aux acteurs morts de la Sociétas Raffaello Sanzio (la compagnie de Romeo Castellucci himself). Pendant ce temps-là, montés un à un sur le cube à gamins, des gens basculent dans le vide et disparaissent.

    Tous les figurants sont d’un côté, et de l’autre, il y a un beau cheval blanc (tiens, l’Apocalypse) : personne ne bouge pendant longtemps. D’une intensité dramatique à faire pâlir William Shakespeare, l’auteur de C’est beau un cheval la nuit (je suis bien sensé vous résumer L’Enfer de Dante, moi).

    Les figurants se déploient au pied des gradins, déplient une immense toile blanche dont ils recouvrent l’intégralité du public. Camping.

    Il y a des moments de silence, et des moments avec beaucoup de son fatiguant.

    Vers la fin, qui n’en finit pas de tarder, on amène une voiture accidentée, brûlée aussi peut-être, et il en sort un clone perruqué d’Andy Warhol qui n’a rien à nous dire. Ici, d’ailleurs, même Brigitte Salino, qui a trouvé sommital tout ce qui précède, émet une réserve à l’emporte-pièce : « Mais on se demande bien pourquoi Andy Warhol occupe la fin de L’Enfer, sautant d’une voiture calcinée. Il y a là vingt minutes inutiles. Elles n’offensent pas le souvenir du spectacle, qui transforme le Palais en une « forêt obscure » où chacun est invité à faire son propre voyage ». 

    Huit ou dix téléviseurs sont apparus aux plus hautes fenêtres du mur de la cour d’honneur ; sur chaque, une lettre ou un écran noir : on peut lire le mot « ETOILES ». Un à un les téléviseurs viennent s’écraser sur la scène, vingt mètres plus bas environ. Reste seulement à lire : TOI. ( – Moi ? Quelle leçon de poésie nous fait-là Dante Castellucci !)

    Et comme dit René Solis : « Si le déploiement des visions n’a rien d’une grand-messe, c’est que tout se déploie avec une fluidité et un souci de la composition qui ne laisse aucune place au solennel. »

    Le solennel, voilà l’ennemi. Mais heureusement, le déploiement se déploie.

    Inferno_Castellucci_Warhol.jpg

    Ce que j’ai compris de ce spectacle ?

    Eh bien, les gens naissent, les gens meurent, et entre ces deux pôles, ils s’ennuient et font des enfants, mais surtout, ils s’ennuient en spectateurs.

    Génération, corruption, miroir.

    Vous ne me croirez peut-être pas, mais je le savais.

    Si jamais ce que j’ai compris est bien ce que Romeo Castellucci souhaitait que je comprenne, il n’avait qu’à le dire clairement, avec des mots, la chose aurait duré moins longtemps, et ça aurait été plus économique pour tout le monde.

    Ai-je été ému à un quelconque moment ?

    Non. Mais je me suis passablement emmerdé. Et certains sons m’ont agacé les dents.

     

    Ceci dit, Romeo Castellucci m’a tout l’air d’être un honnête « artiste contemporain ». Dans le petit programme remis au spectateur, il y a un court texte du « metteur en scène » joliment intitulé : J’ai quelque chose à dire, dont j’extrais ces quelques phrases :

    « La Divine Comédie est un projet impossible, c’est clair. La grandeur de ce livre excède le littéraire et, en terme de théâtre, elle le fait tourner à vide. Mais c’est alors qu’à travers l’impossible, je peux atteindre tous les possibles. »

    Et un peu plus loin :

    « En ce sens, être Dante. Adopter son attitude comme au début d’un voyage dans l’inconnu. Dire l’œuvre comme si elle n’avait jamais été écrite, jamais dite. Assumer cette responsabilité : prendre le risque de s’exposer totalement au ridicule.

    Il faut faire Dante, être Dante et non son œuvre. »

    Bref, à mission impossible, ridicule accompli.

     

    Mais enfin, soyons charitable, ne tirons pas sur le Dantiste.