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Théâtre - Page 57

  • Une didascalie

     

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    Malgré le mépris latent, formidable dont elles sont environnées, et comme auréolées – texte inutile, indication irréalisable, etc.  –, j’aime les didascalies (« instructions données par un auteur dramatique aux acteurs sur la manière d'interpréter leur rôle » – c’est moi qui souligne –, selon le Trésor de la langue française).

     

    Ma préférence, ce jour, va à celle qui ouvre l’acte II de La Cerisaie, d’Anton Tchekhov.

    La Cerisaie, représentée pour la première fois en 1904 par le Théâtre d’Art de Constantin Stanislavski, est la dernière œuvre d’un Tchekhov malade, mourant, péniblement écrite de 1901 à 1903.

    Le seul acte nécessitant un décor d’extérieur ne se déroule pas, comme peut-être on aurait pu s’y attendre à la lecture du titre, dans la cerisaie. Non sans raison. La cerisaie demeure ce lieu mythique, déjà passé, auquel nul ne peut plus désormais accéder.

    La didascalie ouvrant cet acte II n’est pas seulement une description, c’est avant tout une vision. Elle est très simple, très claire, l’ordre dans lequel elle se déploie est le plus judicieux.

    Cette apparente description d’un paysage, aussi, est une chronologie. Elle raconte, sans tomber jamais au symbolisme, le passé tristement abandonné d’un monde mourant, et son avenir inéluctable, sans doute pas même clairement souhaité.

    D’un certain point de vue, cette didascalie (que je donne ici dans la traduction d'André Markowicz, Babel Actes Sud, 1992) dit toute la pièce :

     

    « Une prairie. Une petite chapelle abandonnée depuis longtemps, qui penche sous le poids de l’âge ; tout à côté, un puits, de grandes pierres, sans doute d’anciennes pierres tombales, et un vieux banc. On voit le chemin qui mène à la propriété de Gaev. A l’écart, de hautes rangées de peupliers forment une masse sombre : c’est la limite de la cerisaie. Au loin, une série de poteaux électriques, et, loin, très loin à l’horizon, les contours flou d’une grande ville, qu’on ne peut voir que lorsqu’il fait très beau, très clair. Le soleil va bientôt se coucher. »

     

  • Olivier Py, grenelle de bénitier

    Voici une sorte de billet d'humeur. J'espère ne pas en produire trop souvent. Ou bien sous d'autres formes...

     

    1. Editorial

    Olivier Py l’écrit dans son éditorial de saison : il veut faire de l’Odéon « un théâtre festif et populaire ». S’il ne s’attarde pas sur l’épithète festif, c’est certainement parce qu’un théâtre aujourd’hui qui ne serait pas festif est impensable, irreprésentable. Il faut dire qu’on enterre en grandes pompes une civilisation.

    En revanche, il s’attarde et tartine sur l’épithète populaire. Et sous prétexte de la repenser, il accumule les souverains poncifs de notre époque aberrante, homme engagé, exception, altérité, consumérisme, passions…

    Un exemple : « Le spectateur engagé n'a rien à revendiquer que son altérité, il est le peuple, il est ce public populaire dont nous avons tant besoin. » C’est complètement idiot, ça ne veut rien dire ; et c’est au fond toujours la même vieille histoire de la chose populaire décrétée unilatéralement : Moi, Machin, je décide que ce que je fais est populaire.

    A ce compte-là, il serait tout à fait facile à Olivier Py, si l’occasion lui en était fournie, d’ouvrir par exemple un théâtre prolétarien à Dubaï. Ou un théâtre-qui-est-ce-que-je-dis-qu’il-est dans le désert de Gobi.

    « Le spectateur engagé […] est le peuple, il est ce public engagé dont nous avons tant besoin. » Ou bien le spectateur engagé est générique et multiple, et Py nie alors l’individualité de chacune des personnes réelles composant « ce » dernier, n’importe quel spectateur étant exactement identique à n’importe quel autre ; ou bien un seul spectateur, qu’il dirait peut-être alors « symbolique », suffit à faire un public populaire. Ce n’est pas très clair. Souhaitons donc, sans y croire, un seul spectateur par soirée au Théâtre de l’Odéon.

    Je me souviens que le dernier grand auteur dramatique français, Eugène Ionesco, répondait à nos théâtreux puritains qu’il faisait du théâtre impopulaire.

     

    2. 68

    Il y a aussi, bien sûr, comme nous sommes en France, l’inévitable mai 68. Qu’Olivier Py, en charge du Théâtre de l’Odéon, se doit de commémorer ; on ne sait trop pourquoi, mais on voudrait que la chose soit évidente. Oui, on.

    Je lis dans Libération du 12 mai 2007 une interview de notre génial « poète » par l’affligeant René Solis, que le premier a confié à Laure Adler, quelconque Bernadette Soubirous de l’abrutissement culturel – notez le pléonasme –, la charge de préparer le quarantième anniversaire de « Mai », comme dit le journaleux. Evidemment, Olivier Py se fait fort de nuancer ce qu’il est ailleurs convenu (par ironie sans doute) de nommer « l’héritage » de 68  et parle des « splendeurs et ridicules du mouvement ». Non sans avoir auparavant précisé qu’il « aime le 68 de la libération sexuelle, pas celui du « Plus jamais Claudel ! ».

    Je sais que des rebelles moutonnants ont, entre mille autres imbécillités, braillé en 68 des « Plus jamais Claudel ! ». C’est un fait. Bien. Mais la libération sexuelle ? De quoi parle-t-on, exactement ? Et dans quelle langue ? Libération sexuelle de quoi ? La France, par exemple, en 1944 et 1945 a été libérée du joug de l’Allemagne des nationaux-socialistes (ou : nazis). C’est un fait. Mais je voudrais bien qu’on me dise enfin de quoi la sexualité a bien pu être libérée en mai 1968 ? Il semble pourtant largement attesté que les hommes (le masculin inclut ici le féminin) avaient bien avant l’an de grâce 1968 éprouvé l’existence du plaisir sexuel. A moins qu’on ne parle ici, à mots couverts, des premiers balbutiements de la pornographie obligatoire,  et considérée comme nouvelle norme anti-normative, sous le régime dictatorial de laquelle nous vivons aujourd’hui…

     

    3. De la religion

    Dans la même interview, Py précise avoir « dit 150 fois qu’[il] n’était pas un poète chrétien ».

    Si c’est vrai, pourquoi le dire 150 fois ? (Est-ce que je passe mon temps, moi, à rabâcher 150 fois que je ne suis pas un auteur agnostique, musulman, juif, hindou, animiste, etc. ?) Pour accéder à quel poste ? Et si c’est faux, cela fait tout bonnement 3 X 50 reniements. Ce qui est tout de même assez considérable. Le coq a une extinction de voix.

    Mais le « poète » précise : « Mon poème, c’est justement toute ma part inconvertie ». Et plus loin, cette phrase absolument formidable : « Le théâtre, c’est le lieu du païen ».

    Arrêtons-nous ici un moment.

    Au milieu environ de l’article, Py doit répondre devant l’Inquisiteur « libérationnel » Solis d’une accusation, ici parfaitement anonyme, portée contre l’un de ses écrits dans lequel on lui reprocherait de faire « du prosélytisme chrétien rampant ». Ce dont il se défend.

    Il a déjà dû, préalablement, justifier que les termes « offrande propitiatoire » lui venaient d’Eschyle et non de la Bible. Dont acte.

    Et Olivier Py, parlant de lui-même à la troisième personne du singulier, de préciser que si l’homme est chrétien, le poète ne l’est pas, et le directeur non plus. Suivi de « Je trouverais même scandaleux qu’il le fût. »  Ah bon. Mais ce « je »-là, qui trouverait scandaleux que le directeur fût chrétien, quel est-il ? Qui, de l’homme, du poète ou du directeur, répond à Solis ?

    Voilà donc une sinistre trinité de pacotille, et dans laquelle il seulement possible de se perdre. L’entité indéterminée Olivier Py est constituée 1. d’un homme chrétien, 2. d’un poète païen et 3. d’un directeur non encore qualifié. Lesquels, entre eux, ne sont pas bien d’accord (quelque pratique que cela semble par ailleurs). Au point qu’on peut se demander qui dirige le Théâtre National de l’Odéon. Et lequel des trois le Ministre de la Culture a nommé. Et si ce genre de distinction est porté dans le contrat du directeur Py, ce qui serait assez comique.

    L’immense René Solis dit alors, et nous en arrivons à notre point : « Mais vos spectacles ne comportent-ils pas une dimension liturgique ? »

    Et Py répond : « Aucunement. Je n’ai jamais confondu la messe et le théâtre. Le théâtre, c’est le lieu du païen. C’est cela que je montre. D’où la débauche, la nudité, la musique. »

    Voilà le sommet.

    Le sommet du n’importe quoi, il va sans dire.

    A un niveau d’intrication, et de confusion, des quelques paramètres ici en question rarement atteint.

    Ouvrons ensemble si vous voulez bien le dictionnaire nommé Trésor de la langue française au mot liturgie, et lisons-en la première définition – celle qui concerne cette antiquité grecque qui semble à tous, manifestement, préférable au christianisme : « Charge d'un service public ou parfois religieux dont l'exécution était confiée aux citoyens les plus riches de la cité. » (c’est moi qui souligne).

    Mais évidemment, quand Solis évoque la liturgie, il pense exclusivement au christianisme et impose, parce que notre époque est un suicide, à son interlocuteur de se défausser, sous peine de disqualification pour non-conformisme. Quand Solis impose l’éviction de la liturgie, c’est celle du service public qu’il croit défendre de toutes ses forces de nain, qu’il impose. Ce brave journaliste bardé de certitudes faciles ne sait pas ce qu’il fait.

    Les deux mots qui ne sont pas nommés ici, mais qui, me semble-t-il, sous-tendent le dialogue sont ceux-ci : République, laïcité. On s’attend à voir surgir au moins l’un des deux pour justifier le directeur de Théâtre national.

    Et pourtant, c’est le mot païen qui sort. Appliqué au théâtre.

    Comme j’imagine qu’Olivier Py aurait pu dire que le théâtre n’est pas le lieu du christianisme (et non pas du chrétien), ou encore qu’il est le lieu de la laïcité (et non pas du laïc), il eût été préférable, d’un simple point de vue grammatical, qu’il emploie le mot de paganisme. Mais bon, va pour païen, qui fleure bon, à la manière de citoyen, son adjectif substantivé et employé en place du substantif original. – A moins qu’il ne faille comprendre, et ce n’est pas peut-être à exclure, que parlant du théâtre Py parle de lui-même.

    Ce qui n’empêche pas de se demander ce qu’est un païen. Eh bien, toujours selon ce même Trésor : « Personne qui pratiquait une des religions polythéistes de l'Antiquité. » Et en particulier : « Personne qui pratiquait une des religions polythéistes gréco-latines de l'Antiquité. »

    Quant au paganisme : « Ensemble des religions polythéistes de l'Antiquité. » Et en particulier : « des religions polythéistes de l'Antiquité gréco-latine. »

    C’est formidable comme on ne sort pas de la religion, des religions. Mais si le paganisme est un ensemble de religions, on voit mal pour quelle raison objective il devrait être préféré au christianisme ; et on ne comprend plus pourquoi Solis qui s’offusquerait volontiers d’un prosélytisme chrétien, rampant ou pas, ne s’offusque pas de ce prosélytisme païen, puisqu’il est également religieux. Et partant, pas laïc.

    Je ne vais tout de même pas aller jusqu’à suspecter ce salarié sectateur (« adepte déclaré d'une doctrine philosophique, religieuse ou politique », faites le bon choix) de Mai 68 d’un anti-christianisme primaire tout à fait contraire à ses propres principes de Tolérance, lesquels sont bien sûr un héritage chrétien, quoique renié et dévoyé. 

    Olivier Py est donc tout à la fois selon la casquette qu’il porte, et la veste qu’il retourne, 1. un homme chrétien, c’est-à-dire monothéiste, 2. un poète païen, c’est-à-dire polythéiste, 3. un directeur de Théâtre national investi d’une mission de service public (cf. liturgie) non qualifié. (Se pourrait-il, d'ailleurs, que le paganisme soit le fantasme religieux de la laïcité, sinon même carrément sa religion, comme si l'on avait magiquement supprimé d'un coup mille six ans ans de chrétienté européenne, hop? Je ne peux plus ne pas le penser. Quant au contenu : la débauche, la nudité, la musique, voilà un chouette programme de théâtre païen, d'un niveau d'exigence pornographique redoutable, et exactement similaire à ce qu'il y a partout ailleurs, n'importe où, dans l'Espace France post-68 baignant de religiosité insue.)

    C’est tout de même étrange.

    Mais c’est seulement parce que cette interview nous a conservé le meilleur pour la fin.

    Car enfin notre superfétatoire pisse-copie affirme avec force, après avoir spécifié conformément à ce qu’on attendait de lui qu’il détestait l’ordre moral, le christianisme moisi et la morale bourgeoise, et qu’être chrétien pour lui consistait à rejeter la misogynie, l’homophobie, le sectarisme, le règne de l’argent (c’est-à-dire consistait en rien qui soit spécifiquement chrétien, puisque Py nous récite ici le catéchisme du bobo citoyen, récite en somme le catéchisme de son public parisien qu'il a en effet tout intérêt à ne pas perdre), ceci : « On peut être chrétien et révolutionnaire ».

    Une parenthèse. Notre époque qui cherche ouvertement à éclater les tabous et à faire disparaître les frontières, reconfigure en réalité autrement ces tabous et frontières, quitte à brouiller la très négligeable séparation entre sphère privée et publique. Mais surtout, elle les reconfigure n’importe comment.

    Ainsi Olivier Py fut-il acculé par le sinistre Solis à confiner son christianisme a la sphère privée (ce qu’il appelle, étrangement : l’homme), puisque ni le poète ni le directeur, dont les activités sont publiques, ne le sont. Mais il parle publiquement de cette intimité… Comme d’ailleurs de l’homosexualité qui, elle aussi, devrait appartenir à la sphère privée.

    Et voilà donc maintenant Olivier Py révolutionnaire, sans qu’il lui soit demandé de spécifier quelle des entités de sa trinité à la con est révolutionnaire. Mais que le surveillant général des vertus René Solis n’en soit pas gêné et ne demande pas à son interlocuteur d’affirmer publiquement qu’il s’agit là d’un vice exclusivement privé, signifie certainement qu’il est permis de l’être à une personne publique en charge d’une institution culturelle nationale.

    Je ne trancherai pas. Je n’irai pas affirmer que le mot  révolutionnaire pourrait enfin venir qualifier le directeur. Mais c’est tentant. Il faudrait juste admettre qu’un révolutionnaire est quelqu’un qui défend les institutions et cherche à garantir leur pérennité (par exemple, en commémorant festivement les événements qui prétendaient les détruire...).

    Ce qui dit assez le point d’abrutissement que nous avons atteint.

    Tout cela n’a aucun sens.

     

    Cette petite note est assez mal foutue, j’en suis conscient. D’un autre côté, son sujet ne méritait pas davantage de travail. Je l’ai d’ailleurs écrite en regardant l’équipe de France de rugby battre de justesse les All Blacks, dans ce quart de finale disputé à Cardiff.

     

  • Interview. Programme : No private joke

    Pour une Culutre citoyenne ! est le troisième texte de Tout faut.

    Je livre ici un extrait significatif du dossier de subvention d’ « aide à la production dramatique » déposé cette semaine auprès d’une Direction Régionale des Affaires Culturelles du Ministère de la Culture. Pas d’autre commentaire.

    Je livrerai plus tard ici même quelques unes des scènes indépendantes composant cette pièce ; au moins celles-ci : 1. Mission de sévice public et  6. Défense et illustration du Sinistère de la Culutre.

    Ces amples citations « culutrelles » seront toujours accompagnées du visuel que voici :

     

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    Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail.

                         Lautréamont, Poésies II

     

    J’entreprends ici, dans ce dossier de subvention, d’expliciter certains enjeux du texte Pour une Culutre citoyenne ! par une auto-interview évidemment factice.

    L’exercice permet à l’auteur de s’exprimer avec une relative franchise, et de ne pas sombrer dans les jargons qu’il exècre, précisément parce qu’ils imposent à de prétendues singularités socialement nommées artistes de s’exprimer dans une langue technocratique convenue, et partant, morte.

    J’essaie donc de donner à cette présentation officielle un caractère fictionnel minimal, et d’écrire ce bref texte comme une scène pouvant en droit trouver place dans l’œuvre présentée même.

     

    1. Pourquoi Culutre, et non Culture?

    J’appelle Culutre tout ce dont, programmatiquement, il ne doit demeurer rien : c’est-à-dire presque tout. Pour une Culutre citoyenne !

     

    2. Faut-il trouver seulement ironique ce titre étrangement exclamatif ?

    Il ne faut rien, et vous trouvez ce que vous voulez.

    La seule chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention est celle-ci : ce titre présente deux fautes de français : la première tient au mot Culutre lui-même, qui est un néologisme peu flatteur ; la seconde à l’impropre emploi du substantif citoyen comme adjectif épithète. Car en français – une langue qui ne se parle ni ne s’écrit plus – l’adjectif dérivé du substantif citoyen est civique.

    (Comme si on disait culture peuple en place de culture populaire, ou culture élite en place de culture élitiste… Parler d’une culture citoyenne, est au fond du même niveau de langue que de parler d’une « presse people », par exemple… et généralement, dans le milieu, c’est pour en faire l’apologie. Bien sûr. D’où, dans ce titre, le néologisme de Culutre, qui agit comme une distanciation.)

    Ceci pour faire entendre que si j’avais choisi pour titre un banal Pour une Culture citoyenne !, eh bien, ça n’aurait rien voulu dire non plus. Mais là, bien sûr, personne ne s’en serait aperçu.

    Parce que cette novlangue-là est couramment employée dans les milieux culturels.

     

    3. Bien. Mais quel est l’intérêt, au fond, de parler de la Culutre au théâtre ? Est-ce que ce n’est pas une private joke ?

    D’abord, le théâtre est le lieu où la Culutre n’est jamais critiquée.

    Vous verrez le théâtre critiquer à peu près tout, et tous les milieux, avec très souvent un mélange de naïveté, de morale puritaine et de bons sentiments tout à fait répugnant.

    Ensuite, je pense que la Culutre, loin d’être à part, loin de faire exception, loin de magiquement se situer au-dessus, est un milieu socio-professionnel qui catalyse toutes les imbéciles aspirations du monde contemporain.

    Pêle-mêle : Rivalité mimétique sous couvert d’égalité, promotions sociales délirantes et paupérisation globale, course impitoyable aux financements sous couvert de solidarité, chômage institué, volonté de se constituer en exception apparente par le sacrifice de la qualité au profit de la quantité (ce qui revient très exactement à rentrer dans la norme), intégrisme moral puritain au nom de la tolérance qui ne tolère qu’elle-même, mépris de sa clientèle qu’elle (la bien-nommée Culutre) nomme encore public quand elle n’a plus pourtant de réalité que statistique, et je passe sur le duo de choc prétentions démesurées et victimisations rentables

    En tout cela, la Culutre ne diffère donc pas, ou très peu, des autres aspects de notre monde rigolard.

    En somme : la qualité de la production est exactement indifférente ; seule compte la gestion optimisée du qu’en dira-t-on. Dictature de la communication. Comme partout.

    Aucune private joke, non. Bien au contraire.

     

    4. Donc, la Culutre, selon vous, est un milieu comme les autres ?

    D’abord, je ne vois aucune raison de principe pour laquelle un milieu ne pourrait pas être critiqué. Et moqué. Et fessé. Et battu. Je n’aime ni les communautarismes, ni les corporatismes.

    Alors commençons par balayer devant notre porte, avant de nous en aller pourrir de morale à la con des voisins qui, peut-être, ne nous méprisent pas sans raison.

    Mais il y a plus :

    Je trouve que la Culutre est tout de même à l’avant-garde. Elle est même, très loin à l’avant-garde du moderne, ce laboratoire où s’expérimentent les dernières innovations de la collusion libérale-libertaire :

    Sur une plateforme de financement public est créé une marché ultralibéral mettant en vente des produits presque exclusivement antilibéraux.

    La Culutre est tout à fait à l’avant-garde de la bassesse et de l’hypocrisie.

     

    J’ai écrit une farce. Pas une comédie. Il faut que ce soit violent. C’est même à la violence qu’il revient d’être drôle, dans la farce. On n’y exagère jamais assez.

     

     

    5. Oui, justement : pourquoi sous-titrer cette Culutre farce, et non pas comédie ? 

    La comédie, c’est sa définition classique, finit bien. Je ne mange pas de cette utopie-là.

    Maintenant, si vous entendiez comédie au sens vulgaire, au sens commun, qui est peut-être le seul un peu fondé, et si vous me demandiez en fait si l’on va rire à ma Culutre, je vous dirais alors que la farce s’apparente à la comédie en ce qu’elle divertit, certes, mais elle s’en distingue en cela qu’elle divertit exclusivement au détriment des puissants.

     

    Et aussi que si cette farce instruit, c’est uniquement à charge.

     

    (L’un des principes de la farce est évidemment celui de l’exagération monstrueuse. Un paradoxe, qui n’est peut-être qu’apparent, veut que cette exagération brutale soit seule capable de désigner la vérité.

    Il faut donc ne pas considérer les détails, et même les réputer négligeables, en l’espèce les maigres forces œuvrant, depuis le milieu culturel même, contre l’imbécillisation et l’analphabétisation globales. Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Précisément parce que le Diable est dans les détails.

    Ceci me contraint donc, et c’est heureux, à tenir pour rien ma propre position.)

     

    6. Mais cette Culutre, à quoi peut-elle bien servir ?

    1. A faire de la Propagande pour le néant.

    2. A abrutir encore un peu les imbéciles.

     

    3. A prouver que tout vaut tout dans un monde saturé de marchandises.

  • Notule pour un théâtre politique

    Comment parler au théâtre, sans détour ou abusif recours à la métaphore, du monde contemporain ? Sinon en posant que la première division politique sépare ceux qui ont le sens de l’humour de ceux qui ne l’ont pas ? (Et je ne parle pas ici de cet humour des circonstances du spectacle, épinglé au désuet, si agréable et inoffensif qu’il réunit bassement tout le monde). – Non, je me demande plutôt : Qui peut rire de soi-même, et de ses propres idées, non moins que de cette béance entre soi-même et ses propres idées ? Et de surcroît quand on lui présente tout cela méchamment déformé par une mauvaise foi sans frein, en public, dans le miroir du théâtre ?

     

     

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    Fabien Joubert interprétant Joseph Vronsky dans Ce que j'ai fait quand j'ai compris que j'étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde de Pascal Adam, mise en scène de l'auteur. Ce texte appartient à l'ensemble Tout faut, dont il est la part finale (voir Sur le titre dans la catégorie Tout faut de ce blog). La photographie est de Thierry Robert.

  • Albert Pauphilet et les Jeux du Moyen Age

    Le volume de la collection de la Pléiade Jeux et sapience du Moyen Age, déjà évoqué ici le 11 septembre, dans la note Parole n’a parolé, m’accompagne depuis quelque temps. Le choix des textes composant ce volume est l’œuvre d’un nommé Albert Pauphilet, dont je ne sais presque rien, sinon qu’il est également l’éditeur dans la même collection du volume Historiens et chroniqueurs du Moyen Age. N’ayant que peu de goût, et presque aucune compétence, pour la critique, je me contenterais ici de citer la première partie de la brève introduction par Albert Pauphilet au Jeu d’Adam, première pièce de l’ensemble des jeux présentés, introduction qui me semble importante, révélant un certain nombre de choses peu connues quant à l’origine du théâtre français.

     

     

    « Le théâtre, en France, a d’abord été religieux, et il est sorti presque insensiblement de la liturgie. Dès le XI° siècle, dans certaines abbayes bénédictines, afin d’instruire et d’édifier plus sûrement un public sans culture, on figurait divers épisodes de la résurrection du Christ. Ce n’était que la transposition du récit de l’Evangile en spectacle et en propos directs de personnages visibles. Un sépulcre était simulé d’un côté de l’autel, et des moines, vêtus comme il convenait, représentaient les Saintes Femmes et l’Ange ; et leurs paroles étaient exactement le texte évangélique, en latin. Peu à peu, les magnifiques ressources spectaculaires et dramatiques encloses dans le texte sacré furent mises en œuvre ; les phrases du récit, considérées isolément, devinrent comme des moment successifs de l’action et se transformèrent en autant de scènes. A l’épisode essentiel du Sépulcre s’ajoutèrent ainsi des scènes accessoires, préludes et épilogues ; ce qui n’était d’abord, selon l’heureuse expression de M. A. Jeanroy, qu’une « liturgie mimée », prenait de plus en plus l’ampleur d’un drame. C’est ainsi qu’on vit les trois Maries en route vers le Sépulcre et se demandant entre elles : « Qui nous ôtera la pierre qui ferme l’entrée ? » Mais elles devaient porter des aromates pour embaumer le corps : elles les avaient donc achetés, et l’on inventa la scène chez le marchand de parfums. De la même façon l’apparition de Jésus ressuscité aux pèlerins d’Emmaüs fut traduite en une scène pleine de poésie et de grandeur.

    Parallèlement à ces « jeux » de Pâques, quoique vraisemblablement un peu plus tard, des scènes consacrées à la Nativité s’ordonnèrent et se multiplièrent. La crèche, les bergers, les Mages, leurs offrandes rustiques ou somptueuses, que d’éléments pour des spectacles variés, et quelle incomparable source de poésie grandiose ou familière ! Un étonnant ensemble, représenté à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, montre tout à tour l’arrivée des Bergers à Bethléem et leur adoration, la marche des Rois mages guidés par l’étoile, et leur comparution devant Hérode ; l’inquiétude d’Hérode qui fait rechercher par ses scribes les prophéties touchant ce Roi des Rois qui vient de naître ; sa colère ; puis l’adoration des Mages, et leur départ ; enfin la fuite en Egypte, le massacre des Innocents, la disparition d’Hérode et le retour de la Sainte Famille !

    Le texte sacré seul ne pouvait longtemps suffire à de telles extensions ; il se dilua, s’étoffa de paraphrases et de développements, s’entoura de commentaires lyriques. Dans les intervalles des dialogues, le chœur chantait des antiennes, entretenant ainsi constamment le souvenir de la liturgie toute proche, et conservant à ces fictions l’harmonieuse dignité des cérémonies du culte.

    Il est vraisemblable que le public laïc prenait grand intérêt à ces offices transformés, car peu à peu ils s’orientèrent vers lui et utilisèrent sa langue. Le français parut d’abord dans quelques ornements et broderies, puis il se mêla de plus en plus abondamment au latin. Vint un jour où il n’y eut plus guère en latin que les textes liturgiques chantés par le chœur, et les indications destinées aux clercs « meneurs de jeu » qui voudraient monter le spectacle. Le théâtre français était né ; ses origines ont un caractère de noblesse et d’idéalisme qui rappelle la naissance du théâtre grec, sorti lui aussi de la religion. »

     

     

    Il n’est pas étonnant, au vu des idéologies mortifères qui gambadent dans notre belle société, que cet aspect de la Renaissance du XII° siècle, comme on commence à dire enfin, laquelle correspond à peu près à ce que Pierre Legendre, sur un versant plus juridique, nomme la Révolution médiévale de l’interprète, soit généralement passé sous silence. Le XVII° siècle français ne serait donc pas sorti tout armé du néant, avec son trafic de règles sorties de la Poétique d’Aristote. Ce théâtre français médiéval, qui doit bien avoir un équivalent en Espagne aboutissant au XVI° siècle à la riche production des autos, est tout à fait passionnant, ou devrait l’être, pour nous aujourd’hui, en ce qu’il réouvre totalement la manière d’envisager un théâtre occidental qui ne soit pas simplement une copie de celui des grecs anciens.

    Le texte du Jeu d’Adam, après leçon et chant latins, commence par ce dialogue entre Figura (i.e. la Figure de Dieu) et Adam :

    FIGURA. – Adam !

    ADAM. –                Sire !

    FIGURA. –                       Formé te ai

                         De limo terre.

    ADAM. –                          Ben le sai…

    Ce qui n’est pas sans rappeler, par exemple, le début (si ma mémoire est bonne) du Monologue d’Adramelech de Valère Novarina, l’un des seuls auteurs dramatiques contemporains qui ne passe pas son temps à mettre en dialogues altercitoyens l’introuvable fond des articles de Libération ou du Monde diplomatique.