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Solis René

  • Olivier Py, grenelle de bénitier

    Voici une sorte de billet d'humeur. J'espère ne pas en produire trop souvent. Ou bien sous d'autres formes...

     

    1. Editorial

    Olivier Py l’écrit dans son éditorial de saison : il veut faire de l’Odéon « un théâtre festif et populaire ». S’il ne s’attarde pas sur l’épithète festif, c’est certainement parce qu’un théâtre aujourd’hui qui ne serait pas festif est impensable, irreprésentable. Il faut dire qu’on enterre en grandes pompes une civilisation.

    En revanche, il s’attarde et tartine sur l’épithète populaire. Et sous prétexte de la repenser, il accumule les souverains poncifs de notre époque aberrante, homme engagé, exception, altérité, consumérisme, passions…

    Un exemple : « Le spectateur engagé n'a rien à revendiquer que son altérité, il est le peuple, il est ce public populaire dont nous avons tant besoin. » C’est complètement idiot, ça ne veut rien dire ; et c’est au fond toujours la même vieille histoire de la chose populaire décrétée unilatéralement : Moi, Machin, je décide que ce que je fais est populaire.

    A ce compte-là, il serait tout à fait facile à Olivier Py, si l’occasion lui en était fournie, d’ouvrir par exemple un théâtre prolétarien à Dubaï. Ou un théâtre-qui-est-ce-que-je-dis-qu’il-est dans le désert de Gobi.

    « Le spectateur engagé […] est le peuple, il est ce public engagé dont nous avons tant besoin. » Ou bien le spectateur engagé est générique et multiple, et Py nie alors l’individualité de chacune des personnes réelles composant « ce » dernier, n’importe quel spectateur étant exactement identique à n’importe quel autre ; ou bien un seul spectateur, qu’il dirait peut-être alors « symbolique », suffit à faire un public populaire. Ce n’est pas très clair. Souhaitons donc, sans y croire, un seul spectateur par soirée au Théâtre de l’Odéon.

    Je me souviens que le dernier grand auteur dramatique français, Eugène Ionesco, répondait à nos théâtreux puritains qu’il faisait du théâtre impopulaire.

     

    2. 68

    Il y a aussi, bien sûr, comme nous sommes en France, l’inévitable mai 68. Qu’Olivier Py, en charge du Théâtre de l’Odéon, se doit de commémorer ; on ne sait trop pourquoi, mais on voudrait que la chose soit évidente. Oui, on.

    Je lis dans Libération du 12 mai 2007 une interview de notre génial « poète » par l’affligeant René Solis, que le premier a confié à Laure Adler, quelconque Bernadette Soubirous de l’abrutissement culturel – notez le pléonasme –, la charge de préparer le quarantième anniversaire de « Mai », comme dit le journaleux. Evidemment, Olivier Py se fait fort de nuancer ce qu’il est ailleurs convenu (par ironie sans doute) de nommer « l’héritage » de 68  et parle des « splendeurs et ridicules du mouvement ». Non sans avoir auparavant précisé qu’il « aime le 68 de la libération sexuelle, pas celui du « Plus jamais Claudel ! ».

    Je sais que des rebelles moutonnants ont, entre mille autres imbécillités, braillé en 68 des « Plus jamais Claudel ! ». C’est un fait. Bien. Mais la libération sexuelle ? De quoi parle-t-on, exactement ? Et dans quelle langue ? Libération sexuelle de quoi ? La France, par exemple, en 1944 et 1945 a été libérée du joug de l’Allemagne des nationaux-socialistes (ou : nazis). C’est un fait. Mais je voudrais bien qu’on me dise enfin de quoi la sexualité a bien pu être libérée en mai 1968 ? Il semble pourtant largement attesté que les hommes (le masculin inclut ici le féminin) avaient bien avant l’an de grâce 1968 éprouvé l’existence du plaisir sexuel. A moins qu’on ne parle ici, à mots couverts, des premiers balbutiements de la pornographie obligatoire,  et considérée comme nouvelle norme anti-normative, sous le régime dictatorial de laquelle nous vivons aujourd’hui…

     

    3. De la religion

    Dans la même interview, Py précise avoir « dit 150 fois qu’[il] n’était pas un poète chrétien ».

    Si c’est vrai, pourquoi le dire 150 fois ? (Est-ce que je passe mon temps, moi, à rabâcher 150 fois que je ne suis pas un auteur agnostique, musulman, juif, hindou, animiste, etc. ?) Pour accéder à quel poste ? Et si c’est faux, cela fait tout bonnement 3 X 50 reniements. Ce qui est tout de même assez considérable. Le coq a une extinction de voix.

    Mais le « poète » précise : « Mon poème, c’est justement toute ma part inconvertie ». Et plus loin, cette phrase absolument formidable : « Le théâtre, c’est le lieu du païen ».

    Arrêtons-nous ici un moment.

    Au milieu environ de l’article, Py doit répondre devant l’Inquisiteur « libérationnel » Solis d’une accusation, ici parfaitement anonyme, portée contre l’un de ses écrits dans lequel on lui reprocherait de faire « du prosélytisme chrétien rampant ». Ce dont il se défend.

    Il a déjà dû, préalablement, justifier que les termes « offrande propitiatoire » lui venaient d’Eschyle et non de la Bible. Dont acte.

    Et Olivier Py, parlant de lui-même à la troisième personne du singulier, de préciser que si l’homme est chrétien, le poète ne l’est pas, et le directeur non plus. Suivi de « Je trouverais même scandaleux qu’il le fût. »  Ah bon. Mais ce « je »-là, qui trouverait scandaleux que le directeur fût chrétien, quel est-il ? Qui, de l’homme, du poète ou du directeur, répond à Solis ?

    Voilà donc une sinistre trinité de pacotille, et dans laquelle il seulement possible de se perdre. L’entité indéterminée Olivier Py est constituée 1. d’un homme chrétien, 2. d’un poète païen et 3. d’un directeur non encore qualifié. Lesquels, entre eux, ne sont pas bien d’accord (quelque pratique que cela semble par ailleurs). Au point qu’on peut se demander qui dirige le Théâtre National de l’Odéon. Et lequel des trois le Ministre de la Culture a nommé. Et si ce genre de distinction est porté dans le contrat du directeur Py, ce qui serait assez comique.

    L’immense René Solis dit alors, et nous en arrivons à notre point : « Mais vos spectacles ne comportent-ils pas une dimension liturgique ? »

    Et Py répond : « Aucunement. Je n’ai jamais confondu la messe et le théâtre. Le théâtre, c’est le lieu du païen. C’est cela que je montre. D’où la débauche, la nudité, la musique. »

    Voilà le sommet.

    Le sommet du n’importe quoi, il va sans dire.

    A un niveau d’intrication, et de confusion, des quelques paramètres ici en question rarement atteint.

    Ouvrons ensemble si vous voulez bien le dictionnaire nommé Trésor de la langue française au mot liturgie, et lisons-en la première définition – celle qui concerne cette antiquité grecque qui semble à tous, manifestement, préférable au christianisme : « Charge d'un service public ou parfois religieux dont l'exécution était confiée aux citoyens les plus riches de la cité. » (c’est moi qui souligne).

    Mais évidemment, quand Solis évoque la liturgie, il pense exclusivement au christianisme et impose, parce que notre époque est un suicide, à son interlocuteur de se défausser, sous peine de disqualification pour non-conformisme. Quand Solis impose l’éviction de la liturgie, c’est celle du service public qu’il croit défendre de toutes ses forces de nain, qu’il impose. Ce brave journaliste bardé de certitudes faciles ne sait pas ce qu’il fait.

    Les deux mots qui ne sont pas nommés ici, mais qui, me semble-t-il, sous-tendent le dialogue sont ceux-ci : République, laïcité. On s’attend à voir surgir au moins l’un des deux pour justifier le directeur de Théâtre national.

    Et pourtant, c’est le mot païen qui sort. Appliqué au théâtre.

    Comme j’imagine qu’Olivier Py aurait pu dire que le théâtre n’est pas le lieu du christianisme (et non pas du chrétien), ou encore qu’il est le lieu de la laïcité (et non pas du laïc), il eût été préférable, d’un simple point de vue grammatical, qu’il emploie le mot de paganisme. Mais bon, va pour païen, qui fleure bon, à la manière de citoyen, son adjectif substantivé et employé en place du substantif original. – A moins qu’il ne faille comprendre, et ce n’est pas peut-être à exclure, que parlant du théâtre Py parle de lui-même.

    Ce qui n’empêche pas de se demander ce qu’est un païen. Eh bien, toujours selon ce même Trésor : « Personne qui pratiquait une des religions polythéistes de l'Antiquité. » Et en particulier : « Personne qui pratiquait une des religions polythéistes gréco-latines de l'Antiquité. »

    Quant au paganisme : « Ensemble des religions polythéistes de l'Antiquité. » Et en particulier : « des religions polythéistes de l'Antiquité gréco-latine. »

    C’est formidable comme on ne sort pas de la religion, des religions. Mais si le paganisme est un ensemble de religions, on voit mal pour quelle raison objective il devrait être préféré au christianisme ; et on ne comprend plus pourquoi Solis qui s’offusquerait volontiers d’un prosélytisme chrétien, rampant ou pas, ne s’offusque pas de ce prosélytisme païen, puisqu’il est également religieux. Et partant, pas laïc.

    Je ne vais tout de même pas aller jusqu’à suspecter ce salarié sectateur (« adepte déclaré d'une doctrine philosophique, religieuse ou politique », faites le bon choix) de Mai 68 d’un anti-christianisme primaire tout à fait contraire à ses propres principes de Tolérance, lesquels sont bien sûr un héritage chrétien, quoique renié et dévoyé. 

    Olivier Py est donc tout à la fois selon la casquette qu’il porte, et la veste qu’il retourne, 1. un homme chrétien, c’est-à-dire monothéiste, 2. un poète païen, c’est-à-dire polythéiste, 3. un directeur de Théâtre national investi d’une mission de service public (cf. liturgie) non qualifié. (Se pourrait-il, d'ailleurs, que le paganisme soit le fantasme religieux de la laïcité, sinon même carrément sa religion, comme si l'on avait magiquement supprimé d'un coup mille six ans ans de chrétienté européenne, hop? Je ne peux plus ne pas le penser. Quant au contenu : la débauche, la nudité, la musique, voilà un chouette programme de théâtre païen, d'un niveau d'exigence pornographique redoutable, et exactement similaire à ce qu'il y a partout ailleurs, n'importe où, dans l'Espace France post-68 baignant de religiosité insue.)

    C’est tout de même étrange.

    Mais c’est seulement parce que cette interview nous a conservé le meilleur pour la fin.

    Car enfin notre superfétatoire pisse-copie affirme avec force, après avoir spécifié conformément à ce qu’on attendait de lui qu’il détestait l’ordre moral, le christianisme moisi et la morale bourgeoise, et qu’être chrétien pour lui consistait à rejeter la misogynie, l’homophobie, le sectarisme, le règne de l’argent (c’est-à-dire consistait en rien qui soit spécifiquement chrétien, puisque Py nous récite ici le catéchisme du bobo citoyen, récite en somme le catéchisme de son public parisien qu'il a en effet tout intérêt à ne pas perdre), ceci : « On peut être chrétien et révolutionnaire ».

    Une parenthèse. Notre époque qui cherche ouvertement à éclater les tabous et à faire disparaître les frontières, reconfigure en réalité autrement ces tabous et frontières, quitte à brouiller la très négligeable séparation entre sphère privée et publique. Mais surtout, elle les reconfigure n’importe comment.

    Ainsi Olivier Py fut-il acculé par le sinistre Solis à confiner son christianisme a la sphère privée (ce qu’il appelle, étrangement : l’homme), puisque ni le poète ni le directeur, dont les activités sont publiques, ne le sont. Mais il parle publiquement de cette intimité… Comme d’ailleurs de l’homosexualité qui, elle aussi, devrait appartenir à la sphère privée.

    Et voilà donc maintenant Olivier Py révolutionnaire, sans qu’il lui soit demandé de spécifier quelle des entités de sa trinité à la con est révolutionnaire. Mais que le surveillant général des vertus René Solis n’en soit pas gêné et ne demande pas à son interlocuteur d’affirmer publiquement qu’il s’agit là d’un vice exclusivement privé, signifie certainement qu’il est permis de l’être à une personne publique en charge d’une institution culturelle nationale.

    Je ne trancherai pas. Je n’irai pas affirmer que le mot  révolutionnaire pourrait enfin venir qualifier le directeur. Mais c’est tentant. Il faudrait juste admettre qu’un révolutionnaire est quelqu’un qui défend les institutions et cherche à garantir leur pérennité (par exemple, en commémorant festivement les événements qui prétendaient les détruire...).

    Ce qui dit assez le point d’abrutissement que nous avons atteint.

    Tout cela n’a aucun sens.

     

    Cette petite note est assez mal foutue, j’en suis conscient. D’un autre côté, son sujet ne méritait pas davantage de travail. Je l’ai d’ailleurs écrite en regardant l’équipe de France de rugby battre de justesse les All Blacks, dans ce quart de finale disputé à Cardiff.