Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Porcherie - Page 16

  • 1918

    Le vieux monsieur, né dans une époque où l’on pouvait encore juger du monde par ce qu’on en voyait couramment soi-même, me raconte cela, qui a marqué son enfance et peut-être en a signé la fin : l’armée allemande pénétrant sans qu’aucun combat n’ait été livré dans son village de Lorraine. C’est simple : l’armée française a reculé, l’armée allemande a avancé, et c’est tout ; pas un coup de feu. La guerre, il ne l’a finalement vue, et entendue, que cinq années plus tard, lorsqu’elle est repassée dans l’autre sens, avec des combats cette fois, mais bien peu de Français encore pour les livrer.

    Un peu plus tard, à propos d’autre chose, il dit que la génération de 1968, finalement, c’est la génération élevée par ceux qui ne se sont pas battus en 1940. Il dit cela, et ne dit que cela ; il ne dit pas, avec une radicalité abusive, par exemple, que les lâches ont levé et nourri des traîtres. Après tout, il a vécu avec ces gens-là ; certainement même les a-t-il aimés ; et il a mêlés à ceux-ci ses propres enfants, qui sans doute s’y sont fondus.

    La France, quelque attention qu’elle ait ou non portée à l’humiliation allemande du traité de Versailles, en est donc restée à cette formule : la Der des Ders ; et dans une large mesure, même, au sens le plus trivial, elle y est restée. Le vieux monsieur, par la suite, est allé perdre une guerre en Indochine ; son frère cadet, en Algérie. Guerres dont on a pu avouer, ensuite et plus ou moins franchement, que l’issue nous indifférait en quelque sorte… Voilà, c’est fini. C’était fini depuis 1918. En 1968, on a bruyamment fêté en France les 50 ans de la Der des Ders.

    J’aime beaucoup Dada, cette convulsion fulgurante, par-dessus tout inassignable, née du dégoût de la grande boucherie européenne. Je l’aime d’autant plus que je voue aux gémonies tous ses continuateurs prétendus. Que l’art officiel, aujourd’hui, se réclame de Dada n’est pas seulement une escroquerie manifeste ; c’est avant tout un symptôme. La Der des Ders. Il ne s’est rien passé depuis, et rien surtout ne doit arriver. Sauf du fric.

     

  • En attendant Darcos...

    Le texte qui suit a maintenant dix ans, voyez comme il se conclut :

     

    Quant à l’élimination de toute common decency, c’est-à-dire la nécessité de transformer l’élève en consommateur incivil et, au besoin, violent, c’est une tâche qui pose infiniment moins de problèmes [que d’imposer volontairement la « dissolution de la logique », note du copieur]. Il suffit ici d’interdire toute instruction civique effective et de la remplacer par une forme quelconque d’éducation citoyenne, bouillie conceptuelle d’autant plus facile à répandre qu’elle ne fera en somme que redoubler le discours dominant des médias et du show-biz ; on pourra de la sorte fabriquer en série des consommateurs de droit, intolérants, procéduriers et politiquement corrects, qui seront, par là même, aisément manipulables tout en présentant l’avantage non négligeable de pouvoir enrichir à l’occasion, selon l’exemple américain, les grands cabinets d’avocats.

    Naturellement, les objectifs ainsi assignés à ce qui restera de l’Ecole publique supposent, à plus ou moins long terme, une double transformation décisive. D’une part celle des enseignants, qui devront abandonner leur statut actuel de sujets supposés savoir afin d’endosser celui d’animateurs de différentes activité d’éveil ou transversales, de sorties pédagogiques ou de forums de discussion (conçus, cela va de soi, sur le modèles des talk-shows télévisés) ; animateurs qui seront préposés, par ailleurs, afin d’en rentabiliser l’usage, à diverses tâches matérielles ou d’accompagnement psychologique. D’autre part, celle de l’Ecole en lieu de vie, démocratique et joyeux, à la fois garderie citoyenne – dont l’animation des fêtes (anniversaire de l’abolition de l’esclavage, naissance de Victor Hugo, Halloween…) pourra avec profit être confiée aux associations les plus désireuses de s’impliquer – et espace libéralement ouvert à tous les représentants de la cité (militants associatifs, militaires en retraite, chefs d’entreprise, jongleurs ou cracheurs de feu, etc.) comme à toutes les marchandises technologiques ou culturelles que les grandes firmes, devenues désormais partenaires explicités de « l’acte éducatif », jugeront excellents de vendre aux différents participants. Je pense qu’on aura également l’idée de placer, à l’entrée de ce grand parc d’attractions scolaires, quelques dispositifs électroniques très simples, chargés de détecter l’éventuelle présence d’objets métalliques.

     

    Jean-Claude Michéa, L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes.

  • Croupir

    On ne peut pas dire que je surestime le théâtre de mon époque ; il arrive donc qu’on me demande pourquoi je n’écris pas des romans…

     

    Je ne m’intéresse presque plus aux actualités, aux nouvelles, aux informations, aux médias ; ils passent quand même. Le monde ne bruit pas d’autre chose.

    Au vu du français qu’on enseigne à l’école, et des livres que publient de sinistres coteries parisiennes, il faut admettre que lire ce qui paraît ne doit plus avoir pour quiconque d’un peu intelligent la moindre espèce d’intérêt.

    Ne pas lire peut aussi être un acte critique. 

     

    (La seule chose, généralement ignorée dans les campagnes, qu’on peut finalement apprendre de Saint-Germain-des-Prés, et qui a également l’immense avantage de dispenser de s’y rendre, c’est que le mot pré peut avoir pour adjectif pratin.)

     

    Lire un roman, désormais, c’est tolérer une manière de journalisme amateur qui ne prétendrait même pas, alors que cela seulement pourrait être un peu drôle, dire quelque chose d’important (– Alors, tu la craches, ta gavalda ?) ; ou inversement, qui prétendrait tellement à la révélation, au sens journalistique, d’importance, qu’il en deviendrait aussitôt stupide de boursouflures (Dan Brown, par exemple).

    J’attends donc la sortie, je ne sais quand, du prochain roman de Houellebecq.

     

    De toute façon, on est bons pour le cinéma et, bêtise pour bêtise, personne d’un peu sensé ne fait même plus mine d’en attendre quoi que ce soit d’un peu intelligent.

     

    Adios.

     

     

     

     

     

     

     

  • La création veut des pièces nulles !

    Invité en guise de changement de décor, à lire trois minutes de texte sur l’art du théâtre à la suite du directeur du théâtre et d’un comédien, j’ai donné ce petit montage :

     

     

     

     

     

    L’intellectuel irrite l’homme cultivé comme l’adolescent irrite l’adulte, non par l’audace de ses idées mais par la banalité de ses présomptions.

     

    Nicolas Gomez Davila

     

    [Je précisai ensuite, pour la compréhension de l’auditoire, que ce qui est nommé régie dans le texte qui suit est ordinairement nommé mise en scène, et régisseur metteur en scène.]

     

    La mise en scène est-elle une création ou une interprétation ?

    Le créateur, au théâtre, c’est l’auteur. Dans la mesure où il nous apporte l’essentiel. Quand les vertus dramatiques et philosophiques de son œuvre sont telles qu’elles ne nous permettent aucune possibilité de création personnelle, lorsque nous nous sentons encore, après chaque représentation, son débiteur. Ce qui ne signifie pas que l’œuvre soit parfaite. La perfection d’ailleurs, c’est Voltaire dramaturge.

    Donner son sens, par le jeu des corps et de l’âme des interprètes, à une scène de Shakespeare par exemple, est une tâche qui exige du régisseur l’emploi de toutes ses facultés d’artiste, mais ça n’est jamais qu’une œuvre d’interprétation. Le texte est là, riche au moins d’indications scéniques incluses dans les répliques mêmes des personnages (mise en place, réflexes, attitudes, décors, costumes, etc…). Il faut avoir la sagesse de s’y conformer. Tout ce qui est créé hors de ses indications est « mise en scène » et doit être de ce fait méprisé. Et rejeté. J’ai pris l’exemple de Shakespeare parce que chacune de ses œuvres offre au régisseur trop imaginatif l’illusion et les tentations de la création. Ce n’est pas l’imagination du régisseur qui doit ici imposer la vue d’un personnage, cela est insupportable ; c’est le personnage qui, suffisamment dépouillé, doit rester « ouvert » à l’imagination du public. Ce dépouillement, facilité déjà par les rares indications scéniques de Shakespeare, implique bien entendu un jeu plastique ordonné, sans bavure, mais exige par contre du comédien une sensibilité toujours frémissante, toujours en contact avec le public.

    Je me permets d’ajouter que si le régisseur faisant « répéter » un chef d’œuvre se considère comme un créateur, j’en dirais autant des comédiens. Et du public aussi, pourquoi non ? Rappelez-vous cette boutade des vieux comédiens : « l’auteur écrit une pièce, le comédien en joue une autre, le public en comprend une troisième ». Mais alors, je vous le demande, qui sera un interprète ? Quand ça ne serait que pour donner un sens précis à chaque mot de notre profession, il serait indispensable de s’en tenir à une distinction raisonnable en ce qui concerne les notions de créateur et d’interprètes.

    Il reste cependant un champ clos où le metteur en scène affamé de création peut trouver pâture à son génie dévorant : lorsque la pièce est nulle ; lorsqu’elle n’est plus, à l’implacable usure des répétitions, qu’un prétexte, un inévitable aide-mémoire. Parmi les pratiques du comédien, il existe cependant un art authentique de création. Celui du Mime. « Un canevas, et mon corps parle. »

     

    Jean Vilar  

     

    [J’ajoute que l’art du mime a certainement disparu avec le respect, et donc la possibilité, du silence.]

     

    Lorsque la rouerie commerciale des uns exploite la crédulité culturelle des autres, on parle de diffusion de la culture.

     

    Nicolas Gomez Davila

     

     

     Je conclus donc par ce titre : La création veut des pièces nulles !

  • Une devise pour l'Union Européenne

    Attila.jpg

    Puisque le très lamentable in varietate concordia ne sert même pas, latin oblige – c’est suspect, non, le latin ? c’est à la fois érudit, donc antidémocratique, impérial, donc potentiellement colonialiste, et chrétien, donc mal –, de devise à l’Union Européenne (devise volontairement mal traduite en français, si vous voulez mon avis, par : Unie dans la diversité, quand les autres postnations traduisent par l’équivalent de unité dans la diversité, même si je puis admettre que : unité dans la variété aurait trop fait concours de l’Eurovision et que la conservation du mot concorde est élitiste, ce dernier mot ne s’appliquant ni à la place parisienne ni à l’avion foutu à la casse), il faut bien considérer que la seule devise officielle de l’UE, la seule capable en tout cas de dire intégralement ce qu’elle est, c’est l’euro.

    Aussi, comme je suis une belle âme, sensible, charitable, ouverte, tolérante et tout le fourniment, ai-je pris sur moi, au moment que s’ouvrent ces formidables érections eulopéennes (pardon) qui ne manqueront pas de passionner notre postnation de pluriens, de proposer une nouvelle devise :

    Lire la suite