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BOBO LE CLOWN. –
Par ballons, vous pouvez, si vous le désirez, entendre au moins les opinions. C’est ma spécialité, les opinions. Toutes les opinions. Je distribue les opinions, c’est tout. Les hommes les prennent et ils gonflent le monde. Ils le gonflent, le gonflent, le gonflent – eh oui, que pourraient-ils faire d’autre ? Et à un moment, c’est fatal, il leur pète à la gueule, le monde.
Ca les occupe un peu, encore, à cause de la surprise, tous ces ballons partout qui soudain pètent !
Ca fait un vrai bruit de guerre ! D’ailleurs, c’est vrai, ça pète dans tous les sens, dans tous les coins, tous les recoins ! Et pas seulement les ballons, tiens ! les hommes aussi ! et leurs femmes, leurs nouveaux-nés et tout le merdier ! C’est l’horreur ! Ils crèvent de moi, ils crèvent d’ennui, mais alors sans aucune lucidité et sans aucun moyen de s’en apercevoir en rien.
Car aussi je sais rester discret.
Je ne m’habille pas toujours en clown. Du moins, je ne me suis pas toujours habillé en clown. Mais là, vraiment, je donne toute ma mesure. Vous allez voir pourquoi…
Jamais, peut-être, le monde n’a été autant surgonflé. Moi, j’adore.
De loin, d’ailleurs, on dirait qu’il reste un seul ballon.
Certains disent même que c’est la Terre.
Oui, la Terre, le sol même sur lequel ils habitent.
Les cons.
Mais bon, enfin, c’est une opinion.
Comme ils me veulent ; à quel point ils me désirent et à quel point ils n’en veulent rien entendre. Pourraient-ils l’entendre, d’ailleurs, que cela ne changerait rien. Car si la non-pensée me laisse faire, la pensée, elle, m’active. C’est amusant, non ?
Alors quand je dis que je suis la Dépression, c’est pour prendre un vocable moderne, n’est-ce pas ? Je suis certes la Dépression de tout, et aussi la Menace de la dépression de tout, mais surtout je suis aussi ce Tout.
Tous ces ballons sont mes Œuvres.
Excusez du peu.
Promenons-nous dans les bois
Pendant que le loup y est pas
Si le loup y était
Il nous mangerait
Loup y es-tu
Beaucoup de ces ballons, aujourd’hui, portent les couleurs du Progrès. En l’occurrence, tout un fort joli camaïeu de roses. C’est tout bonnement magnifique, n’est-ce pas ? Et il y en a comme cela de très grandes quantités de par le vaste monde…
Or, non seulement ces ballons sont les plus nombreux, mais en plus ils sont aussi les plus gonflés. Au point même que de loin, disais-je, on croirait qu’il reste un seul ballon tout rose.
C’est un gros ballon, mettons.
Et moi, je suis le ballonnement du monde, je finirai bien par péter. C’est trivial, je sais, mais je n’ai pas peur du tout de la trivialité, bien au contraire. N’oublions pas, tout de même, que je suis un rebelle, un vrai, un clown.
Le ballon du Progrès porte les roses couleurs de la Libération. Il est très gonflé, il a le vent en poupe, dirait-on. Oui, s’il séduit autant, et si le monde ne veut plus qu’arborer ces forts jolis roses ballons, c’est qu’il porte les couleurs du Tourisme, qui ont été finalement, progressivement, préférées à celles du Travail.
Il faut dire que les couleurs du travail étaient nettement moins vives et que les petits hommes, raisonnables uniquement par défaut, je veux dire : par bassesse ou fainéantise, étaient nettement moins enclin à les gonfler à bloc.
Il était moins élastique, aussi, le ballon, pour le gonfler à bloc il fallait vraiment y aller, c’était un vrai sacerdoce stakhanoviste, quoi. Mais au moins, le ballon du travail, il ne risquait en général pas trop de péter.
C’est dire si depuis nous avons progressé. Production accrue, matériau plus souple, coloris plus adapté à la demande, c’est-à-dire à l’infantilisation globale du monde. Vous comprenez, les enfants ?
Il était gonflé un peu donc, le ballon du travail, juste de quoi tromper l’ennui, et il ne pétait pas souvent. Le gars mourait tout essoufflé, certes, tout au bout d’une longue vie de gonflage minimal – mais au moins, disais-je, ça ne lui pétait pas à la gueule en plein effort. C’était beaucoup, beaucoup moins drôle.
Inutile de vous dire que je préfère le nouveau modèle obligatoire et rose.
Il se gonfle si facilement, sans effort, que c’est un vrai plaisir pour l’homme que d’aller en taquiner les limites.
Sans compter qu’on peut le gonfler en faisant autre chose. Beaucoup de jeunes gens, m’a-t-on dit, gonflent leur ballon en faisant l’amour, et parfois même sans s’en apercevoir.
C’est dire si c’est fastoche, les enfants. Allez, tout le monde répète après moi : Vive le ballon rose du Progrès ! Allez, allez, c’est faiblard, on répète tous ensemble après moi : Vive le ballon rose du Progrès ! Ah, c’est déjà mieux, allez, une dernière fois : Vive le ballon rose du Progrès ! Ah, quand même…
Promenons-nous dans les bois
Pendant que le loup y est pas
Si le loup y était
Il nous mangerait
Loup y es-tu
Et maintenant, le monde est très élastique, très gonflé, très à bloc – très prêt à péter, quoi.
Et dans la bonne humeur la plus formidable, s’il vous plaît.
Il va péter, il va péter ! Allez les enfants, soufflons encore un peu, un tout petit peu, voilà, doucement, on ne va pas non plus se presser, c’est tellement bon ce moment juste avant la Déflagration générale.
Comme un prodrome du pétage du gros ballon rose civilisationnel, on entend de plus en plus de petits bruits de pétage de-ci de-là, des ballons individuels sans doute, on ne les voit guère bien sûr, tant ils sont masqués par le gros ballon rose du tourisme, du progrès, de la communication entre les êtres et de la culture comme bouillie pour nourrissons.
Ca va péter. J’espère. J’aime bien ce monde. C’est ma plus belle réussite, aussi loin que je me souvienne.
Il est chouette, mon costume de clown, hein ? On m’a tout à fait oublié, cette fois, dans l’euphorie généralisée obligatoire. Tant mieux. On m’a tout à fait oublié, moi, l’Ennui. Tout est gonflé à bloc, mais à bloc.
Et leur rose ballon, maintenant, tellement il est énorme, il a occulté tout le reste, les petits hommes ne voient plus rien que leur gros ballon rose qu’ils prennent pour la Terre, alors ils sont heureux, ils jouent avec, ils le gonflent, le gonflent, le gonflent – qu’est-ce que je m’éclate, moi !
Loup y es-tu
– A tout de suite les copains.
Commentaires
Peu énigmatique
Parce que vous ne croyez plus au loup, peut-être... Si nous parlons bien de la même chose (et le bonsoir à Jacques L.).
C'est pas pour dire, mais c'est un peu long pour apprendre quel est ce livre "épatant impressionnant formidable"! dont vous parliez le 19. Si ce n'était pas vous, on dirait: quel teasing d'enfer. Mais ce n'est pas votre genre de beauté le teasing. Non.
Alors quoi? vous cherchez quel livre vous allez donner comme réponse?
Je trouverais ça rigolo d'ailleurs si c'était ça!
@ Sophie : Ah bah non mais elle est drôle, je vous jure ! C'est pas pour dire non plus, mais d'abord, j'avais dit dans le titre, texto: JE NE VOUS LE RECOMMANDE PAS. D'abord. Ensuite, non, je ne cherche pas quel livre je vais donner parce que je ne suis pas rigolo du tout. Tac. Enfin, je n'ai pas le temps de faire tout ce que je voudrais, et d'écrire un joli billet sur ce bouquin formidable épatant impressionnant & oublié. Alors? me direz-vous. Eh bien, je ne sais pas, moi, cherhcez donc, au lieu d'attendre. Non mais.
Chercher? Trop fatigant. Non mais.