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Lacoste Joris

  • Joris Lacoste, génie (fabula rasa 2)

     

     

     

    « Quand on écrit un spectacle, quelle que soit la manière de faire, on a donc une approche essentiellement utilitaire du texte ?

    « Dans les deux cas, le texte (partition ou transcription), vient en effet se subordonner au projet du spectacle. De ce fait, il n’y a aucune nécessité pour que l’écrit fasse texte, pour qu’il fonctionne selon son régime d’inscription propre, c’est-à-dire sur le plan immanent de la littérature. Rien n’assure que le texte aura suffisamment d’autonomie pour exister en tant que tel. Et c’est pourquoi on peut dire (première proposition) que si un texte de théâtre existe en tant que théâtre, il n’existe pas nécessairement en tant que texte. »

    Réponse de Joris Lacoste à une question d’Adrien Ferragus, Théâtre/Public n°184

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    [Voir aussi, sur des thémes identiques ou voisins :

    Fabula rasa ;

    Rappel : Culutre ;

    Forteresse ;

    Albert Pauphilet et les Jeux du Moyen Age ;

    Parole n'a parolé.]

     

     

     

    Dans le numéro 184 (avril 2007) de la revue au titre deux fois menteur Théâtre/Public, on peut lire une interview de l’immense Joris Lacoste par Adrien Ferragus titrée : « Le texte de théâtre n’existe pas » (1).

     

    Il nous faudra donc ici bénir (c’est hélas le seul verbe qui nous vienne du mot : bien) Alain Françon – directeur du Théâtre National de la Colline, metteur en scène d’un théâtre absurdement dit de texte, mais aux idées élargies par la fréquentation assidue, quoique peut-être excessive, de l’œuvre apocalyptique d’Edward Bond –  d’avoir su imposer, contre les forces régressives partout encore présentes, le génial Joris Lacoste au poste évidemment envié  d’auteur associé à son théâtre.

     

    Notre époque, certainement, attendait Joris Lacoste. Par tout ce qu’elle est, quoi qu’elle croie être, elle l’implorait d’exister. On pourrait même dire, pour employer des termes déjà obsolètes, que toutes les forces de progrès, dans le milieu « culutrel » qui ne se distingue presque plus en rien de la société dans son ensemble, espéraient et priaient l’ advenue de ce messie des temps neuneus.

    Mais il y a mieux : le théâtre lui-même, très téléologiquement, n’avait certainement jamais existé depuis Thespis ou Eschyle que dans la visée balistique du moment où, enfin, Joris Lacoste viendrait. Et ce moment enfin est venu, et le fracas terrifiant de vingt-cinq siècles de fureur peut enfin cesser, enfin sombrer dans un oubli immensément mérité.

    Enfin.

    Car enfin, il revenait à Joris Lacoste, sous ses airs de parfait imbécile, de révéler au monde théâtral qu’un siècle d’agonie et quarante années d’indigence définitive avaient préalablement préparé, cette chose exactement exacte : « Le texte de théâtre n’existe pas ».

    Oui, il revenait à Joris Lacoste, incarnation débile de la modernité modernante et modernulle, de prononcer enfin cette phrase libératoire, oblitérant en sa simplicité même tout le passé littéraire de l’art dramatique, l’exterminant d’un jet de salive propret.

    Imaginez un peu la tronche, dans ce nouvel enfer sur mesure que nous leur réservons, de ces vieilles merdes surannées d’Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, Grégoire de Nazianze, pour ne rien dire d’Arnoul Gréban, Rutebeuf, Shakespeare, Marlowe, Molière, Corneille, Racine, Goethe, Schiller, Hugo, Tchekhov, Feydeau, Labiche, Jarry, Ionesco, etc…

     

    Car évidemment, du fond de son hypermoderne et progressiste révisionnisme révélant, Joris Lacoste nous dégueule ici (pourquoi parler, après tout ?) un texte d’une précision, d’une logique implacables ; de sorte que c’est peu dire que son texte ouvre au théâtre rien moins qu’une nouvelle ère, pour ne pas dire une nouvelle alliance, et seule l’obligation normative de beugler à tout-va mon admiration me contraint de demander que l’on date, au moins en France, selon une tradition remontant à la belle époque de Fabre d’Eglantine (Il pleut, il pleut, bergère…), précurseur en droite ligne de Joris Lacoste, an I du nouveau théâtre cette ridiculement chrétienne année 2007 – mesure à laquelle, en bonne logique, les affidés du Ministère de la Culutre, ne devraient pas même pouvoir indécemment s’opposer…  

    Mon lecteur, peut-être, a encore le très archaïque et conséquemment sinistre réflexe de se demander comment le divin Joris Lacoste a bien pu réussir ce tour de force, et d’écrou, de produire un texte hautement et éminemment logique écrasant de sa seule puissance vingt-cinq siècles d’art et d’histoire… eh bien, c’est très simple, très ingénieux (ne devrait-on pas dire plutôt : très génieux ?), en un mot : très malin, il a tout simplement osé donner ce que chacun attendait en secret, id est sa définition personnelle, telle qu’il la ressent quoi, du mot théâtre ; définition que je ne résiste pas à vous copier ici dans son intégralité :

     

    « … le théâtre consiste à faire quelque chose devant quelqu’un »

     

    Il suffisait d’y penser. C’est tout simple, mais cette phrase limpide vous ouvre sous les pieds un monde beau comme un gouffre… D’autant que la chose est contextualisée à l’extrême, et que Fabre, pardon, Joris Lacoste en son interview chef-d’œuvrale, s’appuie sur la musique, le grand art de la musique, dont chacun sait qu’elle est notre nouvelle drogue légale de consommation forcée, libératoire… Aussi ne puis-je résister à vous donner ici un extrait plus conséquent du chef d’œuvre de notre héros de la dramaturgie nouvelle (les paroles sacrées de Joris Lacoste sont en caractères italiques, celles d’Adrien Ferragus en gras) :

     

    « D’abord il faut reconnaître que le théâtre manque d’un système un peu élaboré de notation de l’action, c’est-à-dire un vrai système d’écriture et de partition. J’appelle partition un ensemble organisé d’actions données comme étant à effectuer. Ecrire la partition, c’est le vrai sens de la fonction de dramaturge : celui qui crée, organise, agence écrit l’action. Or le texte de théâtre s’est historiquement constitué comme notation non de l’action mais du contenu de la parole. Tout s’est toujours passé comme si l’essence du théâtre consistait à parler, et que la parole était du coup la seule chose digne d’être notée.

    « Ce n’est pas ta définition du théâtre ? 

    « Oh, ma définition serait la plus triviale qui soit, un truc comme « le théâtre consiste à faire quelque chose devant quelqu’un » ; où faire quelque chose peut être aussi bien réciter, chanter, raconter une histoire ou représenter un personnage, que déplacer des objets, faire du bruit avec la bouche, jouer au badminton, plaider au tribunal, tenir un cours d’archéologie médiévale, donner une interview… Le drame, la déclamation, la danse, la performance, le discours politique, le concert, la conférence, le match de foot, le défilé, etc. sont pour moi autant de modes possibles et équivalents du théâtre. Selon cette manière de voir, la notion de représentation est considérée dans sa dimension moins de contenu (représenter quelque chose) que de relation, en temps réel entre celui qui agit et celui qui regarde (être en représentation). On appellera théâtre l’art de cette relation. »

     

    N’est-ce pas intégralement magnifique, et révolutionnaire ? Qu’ajouter, sinon, pour briser encore un ou deux tabous imbéciles et encore archaïquement conservés, qu’une telle définition du théâtre fait un acteur d’un homme qui se branle dans la rue – ce que nos arriérés ancêtres eussent appelé un détraqué mental – et que même le viol en réunion, plus festivement nommé « tournante », peut être désormais inclus dans la chose théâtrale telle qu’entendue, et étendue, par Joris Lacoste.

    Rien, je dis bien : rien, ne doit pouvoir même prétendre entraver notre progrès.

     

     

    (1) On peut également lire en ligne sur ce site au joli nom modernistement masturbatoire remue.net (ici) cette magnifique interview.