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Theatrum Mundi - Page 4

  • Spleen de la France...

    C’est au hasard d’un vieux volume abîmé, en cherchant tel célèbre poème de Baudelaire, que je suis tombé sur cette merveille… récapitulant en dix-huit vers, pour dire le spleen d’un seul, la situation politique de notre vieux pays, aujourd’hui.

     

    SPLEEN

    Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
    Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
    Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
    S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
    Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
    Ni son peuple mourant en face du balcon.
    Du bouffon favori la grotesque ballade
    Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
    Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
    Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
    Ne savent plus trouver d'impudique toilette
    Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
    Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
    De son être extirper l'élément corrompu,
    Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
    Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
    Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété
    Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.

  • Sentence VI

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    Promenade

    Il est certainement insensé de se réjouir d’une guerre ; aussi ne puis-je trouver aucune satisfaction à cette paix bourbeuse, que les réseaux d’un pouvoir inverti n’ont de cesse de nous vanter, et de nous vendre cher (puisque ce que nous sommes est en définitive le prix à payer), paix qui n’est maintenue qu’en cédant toujours davantage à nos ennemis ; il en ira ainsi cependant jusqu’à ce que ces ennemis aient eux-mêmes pris possession de la grande majorité de ces réseaux enchevêtrés du pouvoir, à l’intérieur desquels, déjà, on ne peut plus trouver trace d’un centre de décision réel, donc unique et censément conscient de la situation d’ensemble ; et en un sens plus profond, il est au fond indifférent de penser que cette paix est perdue déjà, ou sur le point de l’être très bientôt : elle l’a été réellement dès le départ, du jour où, sans pensée ni aucune parole autre que convenue, il a paru préférable de céder, du jour où se défendre réellement (en attaquant, donc) n’a plus effleuré quiconque, dans ces endroits absurdes et criminels où le pouvoir réel est fragmenté, dissipé, vaincu par anticipation ; car en réalité, loin de se défendre et de nous défendre, ces réseaux de pouvoir, dans la croyance qu’ils se défendaient eux-mêmes en ne nous défendant plus, ont commencé de céder le jour où ils nous ont exposés, montrés comme étant, en nous-mêmes, ce sur quoi précisément il devait être cédé aux ennemis ; et c’est ainsi que nous devînmes à la fois des morts et de la fausse monnaie : on ne nous cédait que pour ce que nous avions été et que nous n’étions plus ; et c’est ainsi que principalement, nos ennemis ont cessé de nous être extérieurs et sont devenus d’abord cette réticulation horizontale d’un pouvoir inverti.

     

     

     

     

     

     

  • Le roi

    charles-quint-2.jpg

    Le roi a seize ans.

    Seize ans et déjà l’État.

    Comme d’une embuscade il porte son regard,

    par-delà les vieillards qui l’entourent au conseil,

    quelque part plus loin dans la salle

    et peut-être ne sent-il rien d’autre

    que le froid du collier de la Toison d’or

    contre le menton long, étroit et dur.

     

    L’arrêt de mort qu’il a devant lui

    reste longtemps sans parafe.

    Et eux imaginent ses tortures de conscience.

     

    Le connaîtraient-il mieux, ils sauraient

    qu’il ne fait que lentement compter jusqu’à soixante-dix

    avant de signer.

     

     

    Rainer Maria Rilke

    Nouveaux poèmes, 1ère partie

    traduction de Lorand Gaspar