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parole - Page 6

  • De l'invertissement II (Paroles)

    La première partie : ici. 

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      II. PAROLES

     

    Ah ! Ah ! Je vais parler contre le suicide. Contre l’obligatoire assassinat de soi. Contre le monde qui vient, en somme, et qui, aussi, essentiellement, est là depuis un bon moment déjà, plusieurs siècles. Si j’eusse pensé que ce monde neuf, sous son couvert opacifiant de rhétorique inverse, pure propagande de transparence, n’était pas, et presque exclusivement, Terreur et Destruction – terreur musicalement rythmée et soumettant à l’obligatoire approbation cacophonique des masses exactement tout ce qui vient, sans Discrimination aucune puisque c’est la capacité même de distinguer quoi que ce soit que l’on fait jovialement disparaître, en une festive abolition des frontières et séparations fourguant un monde de métissage généralisé vendu comme essence, sinon race, supérieure ; destruction des fondements jadis tus de la de la Raison et de la civilisation, je veux dire : levée des tabous jadis la garantissant contre le crime et la folie, ces deux jolies marottes de notre temps de fosses communes désormais hygiéniques –, eh bien, dis-je, si j’eusse pensé que ce monde neuf tirant libidineusement à lui toutes les atrocités à venir n’était pas avant tout Terreur et Destruction, je n’eusse tout bonnement pas écrit cette longue phrase. (– C’est compliqué exprès, et ce n’est pas fini.) Nous entrons aux temps abjects de la Crimination. Et par la grande porte, encore ! Et en fanfare bruitiste ! Je parle contre le suicide. (– Trop tard, mon lapin.) Te voici dans l’Occident forclos, ayant accompli le prodige suicidaire de se forclore lui-même. Raison évacuée dans les eaux glacées du calcul scientifique – produits dérivés inclus –, l’accès est aujourd’hui barré de la réalité ; et toute parole prétendument autorisée doit parler à côté, et à faux, usant contre toute politique connue de recours utopiques et idéologiques, du fond d’une insondable prostitution qui se voudrait pourtant bénigne, voire même légitimante. C’est notre propre meurtre qu’ainsi nous tramons obscurément, justifiant présentement et par anticipation toutes sortes de barbaries bariolées, et cette affaire assurément serait simple si nous avions réellement le courage de nos actes insensés, délirants – mais ce mépris du danger est justement ce que nous nous interdisons avec une fermeté des plus étranges, pourrait-on dire ultime ?  Et le moment du suicide, toujours éminent, toujours souhaité, est tout de même incessamment repoussé, procrastiné – comptablement reporté à nouveau, comme s’il nous devait être crédit ; de sorte qu’il écherra sur ces enfants idolâtrés que nous choyons et choyons et choyons, sur ces enfants à notre effigie, pantins que nous désarmons pour nous et déjà vêtons de blancs linges, et offrons en généreux sacrifice à ces barbaries adulées que nous appelons de nos vœux. En fait de transmission, les gosses en somme paieront la note de rien moins que leur vie – c’est pas du cash, ça ? –, ce qui est une manière de malédiction d’une puissance nouvelle : point ne sera besoin de décompter dans les siècles tant ou tant de générations. Bien, bien. Je parlerai en poète, puisque n’importe qui l’est – et par quoi, au nom de quelle autre moderne magie m’exciperais-je d’autorité de notre désormais égalitaire sort funeste et commun ? (– Bienvenue dans mes lignes de code, cerveau étranger : vous disposez ou non des connaissances pour que les connexions s’opèrent… – Il y a des pièges ? – Toute une batterie, oui. Moi aussi, je me bats.) La poésie contemporaine – cet adjectif est disqualificatif, je le rappelle – est devenue une Province de la Technique. On en est arrivé là lentement, de catastrophe en catastrophe, de romantisme triomphant en romantisme honteux. D’extases atroces, mais satisfaites, en atrocités industriées, jugées satisfaisantes dans la réalité – à preuve qu’on les poursuit, reniant chaque fois les précédentes, sur des échelles jamais vues, à des cadences infernales. Le Progrès. Jusqu’à l’humiliation définitive du poète – et peu me chaut qu’on juge immoral qu’après de telles évocations de meurtres de masse je ramène à ma phrase le seul petit poète, innocent amateur dans un monde de victimes toujours plus bankables –, humiliation consentie, quémandée, revendiquée – finalement stipendiée. L’humiliation, hein, pas l’humilité – bien au contraire. Une espèce d’humiliation volontaire, selon le mode inverti qui occupe désormais le monde, dont grassement, avec des vulgarités de maquerelles, nous nous faisons titres de gloire – bons au porteur. Un néologisme pour caractériser cette accumulation-là : Invertissement. (– Tu fais quoi, en ce moment ? – J’invertis, tout bonnement. – Ah, et ça rapporte ?) Les poètes usinent précieusement de petites choses techniques, insensées, démolissent au glaviot la syntaxe. Le fait est qu’ils font des miniatures, point d’épopées ; mais des miniatures de quoi, je voudrais bien le savoir. On ne reconnaît rien, jamais. Il faut deviner ! Et lire encore n’importe quoi, en bons devins, dans les entrailles fétides de la modernité. Je suis sans doute bouché, je n’augure rien, et surtout rien de bon dans les cadavres… Ces poètes-là réputent donc leurs tristes messages encodés, encodés de ce pauvre code qu’ils seraient en définitive eux-mêmes, ces infatués du néant, et qui ne se communique pas. (– Qu’as-tu fait de ton Talent ? –  Eh bien, vois comme je suis vertueux, mais je lui ai chié dessus tout le long de la vie ! pour le protéger hein, et mes lecteurs éventuels se doivent d’être avant tout fouille-merde…) Ils ravagent le champ même de la langue, au nom que chacun fait la sienne ; et tous en font finalement une seule, et qui comme telle n’est pas. (Et je vous interdis ici de songer, même approximativement, à la Babel de la Bible ; les fameux Dalton de Lucky Luke, creusant pour s’évader de la même cellule du même pénitencier chacun leur propre trou exactement identique, et identique car différent, est une image bien plus juste.) C’est leur propre écrabouillis chaque fois qu’ils écrasent sur la page. Quand par extraordinaire demeure une page. Ils sont passés dessous la parole, sont retournés aux animaux en se prenant pour de petits dieux lares, et ça ne suffira pas, techniquement, de foutre à homme une majuscule de pure forme. Oh, ce n’est pas simplement un échec ou une impasse, moins encore quoi que ce soit qu’on puisse banaliser et ramener à tel ou tel particulier, et pas davantage ce n’est une aporie, non, c’est une extermination qui voue chaque langue à sa disparition paradoxale, ensevelie sous des mégatonnes de discours secondaires très fashion eux-mêmes voués à l’illisible. Pour les mêmes causes de fond, quoique avec des moyens fort différents et pour l’heure considérablement moins sanglants, cette extermination voue par exemple la langue française à devenir bientôt ce qu’est aujourd’hui, hélas, le yiddish. (– Tout le monde s’en fout ? Je passe… Mais comme Terminator, I’ll be back !) Il faut désormais des tombereaux de citations ineptes, généralement de philosophes ou assimilés, ces favorites tarifées du tyran, lesquelles élèvent avec une candeur trafiquée de pervers sexuel leur athéisme au rang d’acquis social, pour défendre dans le vide de petits monceaux de syllabes qui font regretter de ne pas s’être plongé plutôt dans un magazine féminin, par exemple, ou dans un merveilleux roman – contemporain lui aussi. Les poètes dont je parle ce soir sont de droit, et tels, sont aussi bien n’importe qui, et j’appelle donc ici poète exactement n’importe qui – l’invertissement toujours –, non qu’il se soit agi jadis de naissance mais bien plutôt d’une élévation et finalement d’une noblesse, en aucun cas d’un droit ; et voilà bien ce qui effraie ma chronique. Ils sont n’importe qui, dis-je, et l’époque recrute large, arguant d’une clause égalitaire qui justifie les abrutis, n’admettant de les discriminer que pour les propulser à d’inenvisageables sommets (mais que sont-ils vraiment, ces sommets de l’invertissement ?). Ils sont n’importe qui, ils parlent n’importe comment pour dire n’importe quoi, et ils s’en contrefoutent eux-mêmes, pourvu que ça serve, que ça invertisse et donc rapporte. Oui, je parle aussi, dans ce toujours même paragraphe, de l’Argent, mais pas seulement ; je parle de son mode à nouveaux frais de collusion avec cette espèce de post-nazisme qui ne menace guère de submerger les basses terres de notre époque, parce qu’elles sont déjà intégralement noyées sous lui. Entendons-nous bien : je ne parle là que de ce qui, sous des étiquettes diversement colorées, est déjà présent et gouverne, si ce terme s’est conservé un sens ; qui, aussi, tient à demeurer insu de lui-même afin de perversement se préserver de toute critique, et plus encore de toute crise réelle. Je parle bien, après la trahison – cette fois triomphale ! – de Dieu, de cet irrémissible péché contre l’Esprit en quoi consiste le suicide normatif de toute une civilisation. Et je vais pour finir vous dire ce qu’ils font, ces poètes qui n’en sont aucunement, faute d’œuvre, eh bien c’est pourtant simple, comme ils peuvent, avec leurs pauvres moyens d’impuissants et leur nombre de plus en plus élevé – les possédés sont Légion –, ils ne font rien moins que Désincarner le Verbe (y parviennent-ils vraiment ? C’est bien possible). Et le plus affligeant, et le plus amusant aussi, c’est qu’ils ne me contrediront pas. Ils sourient, même, flattés sans doute de cette reconnaissance inutile, et qui déjà m’expulse. Et moi aussi, je souris. Et puisque, au fond, je n’ai pas d’autre ambition dérisoire, prostituée que celle d’être un auteur comique, un humoriste idiot de ces temps festifs égayant de sa coruscante noirceur les grandes soirées mondaines et auto-promotionnelles de révolutionnaires en peluche, je souris moi aussi en posant cette navrante question : Qui ai-je donc imité ?

    Il faut bien que je rigole pour vous. Mais tout de même, je crois que maintenant, vous devriez relire ce texte.

     

     

     

  • Parole n'a parolé

    1. Le théâtre est cet art où l’action, grande ou triviale, se déduit de ce que disent les personnages.

    2. Il faut donc, pour que l’action ne coïncide pas à la parole d’un seul, que toutes paroles soient fausses. (Ou bien, et l’on peut y voir le reliquat religieux d’où le théâtre est issu, que le personnage soit bientôt assassiné, ignoblement.)

    3. Le théâtre est cet art où, s’il est une vérité, elle ne peut être dite. (Ou pas sans être assassinée aussitôt.)

    *

    Le théâtre était le plus grand art. Jadis. Le genre préféré du génie. Les noms suffisent à le savoir. Mais c’est fini.

    Le théâtre a agonisé au moins cent ans. Ses défenseurs actuels l’ont fossoyé vivant. Encore vivant. Ils continuent de jeter des pelletées de terre quand passe un journaliste, et il en passe !

    Le théâtre en tant que tel n’intéresse plus grand monde, et surtout pas ceux qui en font profession.

    *

    Si l’on considère la représentation spectaculaire comme superfétatoire, sinon inutile, l’intérêt d’écrire aujourd’hui du théâtre croît. (En revanche, il se peut qu’il s’éteigne pour nombre de graphouilleux.)

    Si l’on admet qu’un bachelier moderne ordinaire a été formé tout spécialement pour ne rien comprendre à la langue de Molière, et peut-être même pour ne rien comprendre à rien… l’intérêt d’écrire aujourd’hui du théâtre croît.

    (Voilà pourquoi l’avant-ringarde officielle préfère faire caca dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes que dire un texte. Et tant mieux. D’abord parce qu’en faisant caca, elle fait ce qu’elle sait le mieux ; ensuite, parce qu’elle ne sait pas vraiment lire, voire vraiment pas…)

    Etc.

    *

    « Parole n’a parolé. » est une didascalie tirée de La Passion du Palatinus d’un auteur anonyme français du XV° siècle. Elle marque, en la scène XII, dans le Palais d’Hérode, le silence de Jhesu. 

    On peut lire cette pièce dans le court volume (non-bilingue – mais après tout, c’est écrit en français) intitulé Jeux et Sapience du Moyen-Age, de la collection de la Pléiade.