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Critique - Page 13

  • Dramaturgiques 1-3, précédé de Couple avec interrupteur hystérique #1

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    En guise d’amuse-gueule, d’abord ce texte poétique écrit pour « illustrer » une œuvre d’art contemporain de l’Américain Jerome Jeden dans un luxueux catalogue à paraître :

     

     

     

     

    COUPLE AVEC INTERRUPTEUR HYSTERIQUE #1

     

    Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le rappelle et il revient. Il est là, elle l’engueule, le méprise, l’humilie ; il n’est pas là, elle pleure, vacille, s’effondre ; elle le siffle, il revient.

     

     

    *

    Je ne saurais trop prier ceux de mes chers lecteurs qui pourraient s’accorder à ne point trouver trop futiles les petits travaux que j’ai pris l’habitude de leur présenter ici même, de porter une bienveillante attention aux trois petits dialogues qui suivent, modestement intitulés Dramaturgiques 1-3, et se trouvent être en abrégé le fruit de mes travaux dramaturgiques (donc) de ces dernières années…

     

     

     

     

     

     

     

    DRAMATURGIQUES 1-3

     

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    Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l’art de vivre. 

    Brecht

     

    1.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – Ah, tu veux servir.

    L’homme. – Disons ça, alors.

    La guerre éclate. Issues également incertaines.

     

    2.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – Je t’interdis de te battre.

    L’homme se tue. La société meurt.

     

    3.

    L’homme. – Je cherche une occasion de mourir ; donnez-moi le prétexte.

    La société. – Pourquoi te donnerais-je cela ?

    L’homme. – Je n’ai pas peur de me battre.

    La société. – J’aime la paix.

    L’homme attaque la société. Issues également incertaines.

     

    *

     

    Commentaires

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    Il est extrêmement agréable, lorsque l’on ne sait pas trop quoi écrire et que cette oisiveté même nous presse, de se livrer brièvement, volontairement à l’imbécillité la plus crasse.

    L’imbécillité consiste ici à fabriquer récréativement quelques dialogues faussement intelligents, profonds comme un trompe-l’œil, contrefaçon dégueulasse et méprisant la vie, et dont je puis seulement souhaiter, avec une pédagogie de carnaval, qu’ils servent à démasquer ceux de mes contemporains criminels qui les pratiquent sérieusement, appuyant leurs crevures ineptes d’un vernis propagandiste quand il n’est pas philosophe, sinon pire (ici, Brecht)…, lesquels contemporains sont ordinairement, mais cette fois dans la vie, de très jolies ordures, ce qui leur permet donc de très artistement se pavaner et de prendre de haut l’ordinaire péquin n’entendant fort logiquement rien à leurs carabistouilles à la con. Fabriquer ces trois dialogues idiots m’a pris exactement douze minutes, saisie incluse.

    Quant à la première pièce, Couple…,  elle m’a pris beaucoup moins de temps encore ; elle signale d’un dièse bienvenu son exemplaire modernité et devrait en droit être accompagnée d’une citation de Freud ; Jerome Jeden, lui, n’existe carrément pas.

     

     

  • 53. Brouhaha

     

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    Bien avant d’écrire sa République dans laquelle il plaide avec une certaine logique pour l’exclusion des poètes de la Cité, Platon a eu l’excellente idée de faire disparaître lui-même ses tragédies. Il a finalement fallu attendre quelques néo-platoniciens de basse fosse pour, en défendant un prétendu théâtre des idées, parvenir aujourd’hui sous l’apparence inverse au résultat visé.

     

     

     

    Exercice 1. Vous vous demanderez pourquoi l’auteur a qualifié de nouvelle son paragraphe.

    Exercice 2. Vous garderez pour vous votre réponse.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Après la fermeture

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    « La mort naturelle de l’Esprit d’un peuple peut se manifester par la nullité politique. C’est ce que nous appelons l’habitude. (…) Peuples et individus meurent ainsi de leur mort naturelle. Les peuples continuent à durer, leur existence est sans intérêt, sans vie. Celle-ci n’a plus besoin de ses institutions parce que ce besoin a été satisfait. Elle n’est que nullité politique et ennui. La négativité n’apparaît plus comme lutte interne, combat. (…) Dans une telle mort, un peuple peut se sentir fort à son aise, bien qu’il soit sorti de la vie de l’Idée. »

     

    Hegel, La Raison dans l’Histoire.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ubicumque lingua romana, ibi Roma.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    hop 

     

     

     

  • Excellence française, risque zéro

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    Elle est un peu moins jolie qu’elle ne croit et pas encore charmante ; elle a vingt-quatre ans, est récemment sortie d’une prestigieuse école nationale de théâtre et m’explique, ce soir-là, avec une condescendance qu’elle juge deux fois légitime – j’ai quinze ans de plus qu’elle et je vis en cette entité géographique par essence indéterminée et floue que l’on appelle la province –, qu’il n’y a pas de personnages au théâtre et que, fort harmonieusement (mais c’est moi qui emploie cet adverbe), le théâtre ne raconte pas des histoires. Je l’écoute poliment, sachant qu’elle ne verrait pas mon sourire si d’aventure je le laissais paraître, et même lui offre un verre ; le fait est qu’elle débite son catéchisme culturel post-structuraliste post-brechtien avec la conviction d’acier de qui n’a jamais réfléchi une seconde – et tant mieux pour elle : la réalisation de sa carrière tout entière semble tenir à cette seule absence-là de réflexion. Il n’était pas jadis nécessaire d’être auteur dramatique pour savoir très simplement que le théâtre racontait, par le truchement exclusif de personnages parlant, des histoires ; et l’on savait aussi que ce savoir si banal et d’évidence tellement insuffisant ne permettrait  pas à lui seul aux auteurs d’écrire des chefs d’œuvre. Mais le pépère savoir inverse aujourd’hui enseigné au mépris de toute réalité historique dans les meilleures écoles nationales, fleurons de l’excellence française, garantit au moins qu’aucun chef d’œuvre n’arrivera par là ; et rien sans doute n’est aussi rassurant à la médiocrité instituée. Risque zéro. Oh, on peut bien sûr penser que tout cela n’a guère d’importance. Mais une telle négation de l’art, faite au surplus en son nom, même contre toute raison, engage toute une époque en normant la manière dont elle-même se représente, ou plutôt, justement : ne se représente pas. Ma brave jeune femme conclut tranquillement en vidant son mojito que, donc, les paroles au théâtre n’ont en fin de compte aucune espèce d’importance ; et, à considérer honnêtement les auteurs qu’elle aime et met en scène, elle est assurée d’avoir parfaitement raison, et cela seulement saurait lui importer. Se peut-il vraiment qu’à la fin de cette soirée pas mal arrosée, alors que considérablement saoule et manquant s’effondrer elle s’accrochait à moi, je lui aie glissé au prétexte de la retenir mon majeur dans son cul ? Et se peut-il aussi qu’elle ne se soit aperçue de rien, comme si ce soutien-là lui était, en quelque sorte depuis toujours, aussi parfaitement naturel que rigoureusement insensible ? Et moi-même, n’avais-je pas ainsi un instant, et très transitoirement, occupé la place exacte de cette carrière dont cette pauvre jeune femme, ignorant depuis toujours être abusée, ne doute pas une seconde qu’elle ne lui soit dûe ?