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Corneille - Page 4

  • Théâtre de Tertullien

     

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    Si c’est la culture théâtrale qui te charme, nous avons assez d’ouvrages, de poèmes, assez de pensées, assez de pièces instrumentées, assez de chants. Et ce ne sont pas des inventions, mais la vérité, ni des intrigues, mais la simplicité même.

    Tertullien, Des spectacles (XXIX, 4), traduction Marie Turcan, éditions du Cerf, 1986

     

     

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    Suite du texte sur le Saint Genest de Rotrou.

     

    I

    Comment fait-on retour, finalement, du théâtre dans le théâtre, au théâtre tout simplement ? Eh bien, en parlant.

    A l’acte IV, scène 4, Genest joue l’acte III du martyre d’Adrien. Anthisme (joué par l’acteur Lentule) s’apprête à baptiser ce dernier. C’est donc au moment de jouer le baptême d’Adrien que Genest interrompt son rôle et annonce sa propre conversion.

     

    ADRIEN. – Mes vœux arriveront à leur comble suprême,

    Si, lavant mes péchés de l’eau du saint baptême,

    Tu m’enrôles au rang de tant d’heureux soldats

    Qui sous même étendard ont rendu des combats.

    Confirme, cher Anthisme, avec cette eau sacrée

    Par qui presque en tous lieux la croix est arborée,

    En ce fragile sein le projet glorieux

    De combattre la terre et conquérir les cieux.

    ANTHISME. – Sans besoin, Adrien, de cette eau salutaire,

    Ton sang t’imprimera ce sacré caractère :

    Conserve seulement une invincible foi,

    Et, combattant pour Dieu, Dieu combattra pour toi.

    GENEST, après avoir rêvé quelque temps. –

    Ah ! Lentule ! en l’ardeur dont mon âme est pressée,

    Il faut lever le masque et t’ouvrir ma pensée :

    Le Dieu que j’ai haï m’inspire son amour ;

    Adrien a parlé, Genest parle à son tour.

    Ce n’est plus Adrien, c’est Genest qui respire

    La grâce du baptême et l’honneur du martyre ;

    Mais Christ n’a point commis à vos profanes mains

    Ce sceau mystérieux dont il marque ses saints.

    (Regardant au ciel, d’où l’on jette quelques flammes.)

    Un ministre céleste, avec une eau sacrée,

    Pour laver mes forfaits fend la voûte azurée ;

    Sa clarté m’environne, et l’air de toutes parts

    Résonne de concerts, et brille à mes regards.

    Descends, céleste acteur ; tu m’attends, tu m’appelles.

    Attends, mon zèle ardent me fournira des ailes ;

    Du Dieu qui t’a commis dépars-moi les bontés.

    (Il monte deux ou trois marches et passe derrière la tapisserie.)

    MARCELLE, qui représentait Natalie. –

    Ma réplique a manqué ; ces vers sont ajoutés.

     

    Les choses sont si proches que Genest lui-même est obligé de préciser qu’il parle désormais en son nom et non plus pour son personnage ; malgré cela, ses camarades de jeu pensent à un problème de réplique et les spectateurs, Maximin et Dioclétien notamment, ne comprennent pas immédiatement qu’ils vont devoir à leur tour intervenir et faire mourir Genest comme l’un d’entre eux, Maximin, dans la réalité, avait fait mourir Adrien.

    Après qu’un ange invisible à tous et muet l’aura baptisé – seconde intervention surnaturelle et invisible, la première étant une voix –, Genest reviendra s’expliquer devant son empereur (il semble davantage s’adresser à Dioclétien qu’à Maximin), acte IV, scène 6 :

     

    GENEST. – Excuse-les, Seigneur, la faute en est à moi ;

    Mon salut dépend de cet illustre crime.

    Ce n’est plus Adrien, c’est Genest qui s’exprime ;

    Ce n’est plus un jeu, mais une vérité

    Où par mon action je suis représenté,

    Où moi-même, l’objet et l’acteur de moi-même,

    Purgé de mes forfaits par l’eau du saint baptême,

    Qu’une céleste main m’a daigné conférer,

    Je professe une loi que je dois déclarer.

    (…)

     

    Voilà.

    Genest est sorti du théâtre.

    Et la pièce première, amorcée en l’acte I, se poursuit.

    Cette sortie du théâtre se fait au théâtre.

    Cette apologie de la sortie du théâtre pose question.

     

    II

    A la fin du XIX° siècle, Léonce Person avait parfaitement identifié les sources du Saint Genest de Rotrou : Il y avait donc Lope de Vega et le père jésuite Cellot avec son théâtre martyrologique en latin.

    627279805.jpgMais un texte récent, paru dans la revue XVII° siècle, amène d’autres lumières (1): Toute la conception de l’œuvre, à distinguer ici des inspirations quant à au récit, est empruntée très fidèlement au Des spectacles de Tertullien (2).

    Lequel texte de Tertullien condamne les spectacles. Suffisamment bien pour qu’il ait servi de référence, avec quelques passages de saint Augustin, dans la longue querelle qui opposa l’Eglise catholique au théâtre. Bossuet, contemporain de Rotrou, y fait encore référence.

     

    III

    Sans doute faut-il un grand amour du théâtre, et non moins une méfiance immense envers sa représentation, pour faire de la plus ferme des condamnations des spectacles le moteur même de sa pièce, laquelle d’ailleurs ne se prive guère de faire rimer théâtre et idolâtre.

    Le contexte sans doute n’y est pas pour rien.

    L’immense Polyeucte martyre, de son ami et disciple Corneille vient de connaître un vif succès. Le théâtre est soumis aux règles grecques d’Aristote (3) – sans lequel saint Thomas d’Aquin peut-être n’eût pas été l’immense théologien qu’il fut – c’est-à-dire aux règles de la mimésis. Le monde dans lequel vit Rotrou, et Rotrou lui-même, sont fermement chrétiens.

    Le théâtre, peut-être, en le gardant extrêmement de toutes dérives païennes, peut être chrétien.

    C’est-à-dire un théâtre de « l’Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ » (4). Le texte attribué à Thomas a Kempis alors est en vogue, Corneille le traduira.

     

    IV.

    Cela me semble poser la question du public.

    Pourquoi Maximin, pour célébrer ses noces, veut-il voir représentée la mort d’Adrien, qu’il a lui-même ordonnée ? Parce qu’en ces temps païens, l’assassinat d’Adrien est à sa gloire, la culpabilité de celui-ci ne faisant pas de doute.

    Pourquoi la mort de Genest doit-elle être, au moins en théorie, au spectateur du XVII° siècle un objet d’imitation ? Sinon parce que le spectateur est invité à imiter saint Genest, lequel imite saint Adrien, lequel imite le Christ (5).

     

     

     

    (1)     Ce texte, disponible sur internet, ne donne pas, malheureusement, le nom de son auteur.

    (2)     Je donne ici un extrait de la présentation de l’éditeur : « Comme le Romain lui-même, le Carthaginois romanisé de l'époque sévèrienne passait plus de deux cents jours par an au spectacle. Tueries, violences, Grand-Guignol et pornographie étaient son pain quotidien. C'est pour l'arracher aux combats de gladiateurs, à l'obscénité du théâtre et à l'entraînement des passions que Tertullien compose le traité sur Les spectacles qui influencera tous les contempteurs du théâtre jusqu'à Bossuet inclus. »

    (3)     Le théâtre français du XVII°, par là, est beaucoup plus grec que le théâtre élisabéthain, lequel doit son déluge de violences à l’immense Sénèque.

    (4)     Voir la première note de Theatrum Mundi : Parole n’a parolé.

    (5)   Question subsidiaire : Qu’est-il intéressant aujourd’hui de représenter ?

  • Accélérer la catastrophe (2)

     

     

     

    – C’est quoi, Papa, un progressiste ?

    – C’est un type comme tout le monde, et qui donc chute, mais qui, enivré sans doute par sa propre chute, trouve justement qu’il chute vers le haut

    – Tu ne crois pas au Progrès, toi ?

    – Mais si. Je veux bien croire qu’en travaillant, on peut faire des progrès.

    – Pourquoi tu n’es pas progressiste, alors ?

    – Parce que je ne crois pas à la magie.

    – Et la magie, c’est quoi, alors ?

    – Justement, c’est croire qu’on s’élève lorsque l’on suit sa pente.

    – C’est comme le progressisme, alors ?

    – Oui, c’est de la folie furieuse. Allez, file te coucher, il est tard.

     

    Je regarde les livres sur la table.

    L’Empire du moindre mal, magnifique essai de Jean-Claude Michéa.

    Le Soulèvement contre le monde secondaire, de Botho Strauss.

    Dominium mundi, de Pierre Legendre.

    Entre autres…

    J’allume une cigarette, je me sers un whisky.

    J’ai sous le nez, sur Causeur.fr, un texte d’Elie Barnavi sur la laïcité...

    Je précise à d’éventuels nouveaux lecteurs, que j’ai pris récemment la déplorable habitude d’appeler Sarkozy le Président Grenelle (dans ce texte, pour une fois, la citation de Grenelle est exactement empruntée à son modèle dans la réalité). C’est un personnage que j’invente. Un personnage comique, je le précise. J’ai la joie de vous annoncer (c’est une exclusivité) que le prénom de ce personnage est Michel, ce qui permet à ses amis de l’affubler du gentil sobriquet de Mickey. Welcome to Wonderland…

    Bref, on nage en plein suicide. Il est onze heures du soir…

     

    – Et la laïcité, Papa, c’est quoi ?

    – Mais bordel de merde, je n’en sais rien, moi. Pardon. Ça veut dire que tout ce qui s’est passé avant 1789 est un immense paquet de sanguinaires saloperies, et ce qui s’est passé depuis aussi, à deux ou trois exceptions près. Et ça veut dire que nous, nous qui avons bien sûr tout pigé, nous sommes sinon vachement bons du moins sur le point de le devenir en sortant tout à fait de l’humanité.

    – Mais comment on le sait, qu’on est bon ?

    – Mais on l’a décidé, mon petit gars. Après Auschwitz, on s’est dit que ce serait vachement bien de devenir bons ; et on a décrété qu’on l’était, toujours cette putain de baguette magique. Puisqu’avant, c’était mal.

    – Ah ? Mais bon, la laïcité, c’est quoi ?

    – Il y a des curés dans ton école ?

    – Non.

    – Eh bien, tu vois, c’est ça, la laïcité.

    – Oui… Mais des curés, c’est quoi ?

    – Des gens d’avant. Qui croient en Dieu.

    – Quand c’était mal, alors ? Mais Dieu, alors…

    – Tu ne veux pas me foutre la paix, dis ? Pardon. Laisse-moi fumer peinard devant mon écran d’ordinateur et va te coucher, mon grand.

     

    Je ne sais d’ailleurs pas moi-même clairement distinguer ce qui, dans la suite de ce texte, relève de la farce et ce qui relève du tragique.

    (La même chose à la fois m’atterre et me fait rire.

    J’aime penser que c’est un don ; mais c’est un don pénible.)

    Je vais donc vous coller là tout un tir de barrage de citations diverses, qui vont faire vachement bien, avant mes conneries de dialogues de piliers de bars (non-fumeurs).

     

     

    « Le réactionnaire n’est précisément pas cet empêcheur ou cet incorrigible rétrograde que fait de lui la dénonciation politique – il marche au contraire en tête quand il s’agit de rappeler le souvenir de quelque chose d’oublié. Il a ici et maintenant devant lui les voiles épais de l’illusion technique et du vide de sens, et il veut les fendre, au moins pour des moments lucides, dans lesquels se révèlent Présence, Sens et Logos. »

    Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.

     

     

    « Si le Droit constitue, pour le libéralisme politique, l’instance de régulation suprême qui doit se substituer à toutes les autres, ce n’est naturellement pas à la manière, jugée arbitraire et étouffante, des anciens montages normatifs – que ce soient, là encore, ceux de la coutume, de la religion ou de la vertu républicaine. La « théorie de la justice » sur laquelle se fonde la nouvelle autorité du Droit a, en réalité, peu de chose à voir avec ce que la philosophie traditionnelle avait jusqu’alors pensé sous ce nom. Elle ne se soucie plus, en effet, de définir des Idées ou de saisir des Essences, c’est-à-dire de s’exprimer au nom d’une quelconque « Vérité », quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. Bien plus que d’une « théorie de la justice », il conviendrait plutôt de parler à son sujet d’une théorie de l’ajustage ou de l’ajustement. Pour l’essentiel, en effet, il s’agit seulement de mettre au point les combinaisons institutionnelles les plus efficaces, donc de calculer au plus juste le système de poids et contrepoids (checks and balances, disent les philosophes anglo-saxons) qui permettra de maintenir l’équilibre des libertés rivales en leur imposant un minimum d’exigences – en leur garantissant, si l’on préfère, le taux d’imposition existentielle le plus bas possible. Une théorie libérale de la justice ne doit donc engager, par principe, aucune réflexion philosophique particulière sur ce que pourrait être la meilleure manière de vivre. Elle se limite, au contraire, à définir les conditions techniques d’un simple modus vivendi. »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout.

    » […] La France a beaucoup changé. Les citoyens français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et oserais-je le dire, une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. »

    Mickey Grenelle, discours au Palais du Latran

     

     

    « La « neutralité axiologique » revendiquée par le libéralisme a parfois de curieuses conséquences. Rien ne peut logiquement interdire, en effet, que l’on utilise le racisme lui-même, à titre pédagogique, si l’on a de bonnes raisons de penser que c’est un moyen politique efficace pour parvenir à l’égalité des droits (c’est le principe de toute affirmative action). C’est ainsi que Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, a pu tranquillement déclarer (lors d’une émission de Frédéric Taddéi, diffusée sur France 3), et sans susciter, cela va de soi, la moindre réaction politique ou médiatique, que la première condition pour « rééduquer le reste de la société occidentale », était de considérer tous « les Blancs » comme des « sous-chiens » (Cf. Marianne, 30 juin 2007). »

    Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal (Essai sur la civilisation libérale)

     

     

    « Question « bonheur », les experts savent. Qu’y a-t-il de plus enviable que la non-mort assurée, la « Fontaine de Jeunesse », les muscles et la peau en bon état, l’esprit léger, un sexe performant, l’idéal de consommer sans trêve ? »

    Pierre Legendre, Dominium mundi  (L’Empire du management)

     

     

    « Mais ce n’est quand même pas une raison pour aller tomber dans l’excès. Les chrétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou des Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre « spectaculaire intégré ». Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles. »

    Guy Debord, « Cette mauvaise réputation… »

     

     

     

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    I

    – Tu crois à la laïcité, toi ? – Pardon ? – Peut-être que ça existe la laïcité, mais je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait y croire. – Peut-être que c’est une religion, après tout. – Une religion de substitution ? – Ouais, une religion du vide, une manifestation enfin du nihilisme… – La laïcité, c’est un machin inventé pour en finir, ou au moins réduire, amoindrir la présence et l’influence de l’Eglise catholique en France. – En même temps, les laïcs ont toujours existé : un laïc, c’était juste quelqu’un qui n’était pas entré dans les ordres, non ? – Les choses alors se jouaient en France entre ceux qui étaient chrétiens et ceux qui ne l’étaient plus, ou ne voulaient plus l’être. – Entre les fils qui suivaient, tant bien que mal, leurs pères, et ceux qui, métaphoriquement ou pas, leur tranchaient la tête.

     

    II

    – L’autre question, c’est celle de la Référence, je crois. La société libérale (et j’entends par là aussi bien la gauche que la droite, aussi bien la droite que la gauche) tend à évacuer l’idée même de Référence : elle ajuste simplement son droit en fonction des groupes de pression. Qu’ils soient avoués ou non, visibles ou pas. – C’est bien ce que je dis : la laïcité est une religion de transition, une coque vide. Elle ne garantit rien. – Ce que met en place la société libérale, c’est en somme ce que Michéa appelle « neutralité axiologique ». – Ceux qui sont là, en somme, ont toute latitude à revendiquer tout ce qu’ils veulent, et quoi que ce soit. – Oui. La justice tranchera. – Et elle tranchera de plus en plus n’importe comment, puisqu’elle-même sera privée de toute Référence… elle aura à faire avec des concepts bidons, comme celui de « laïcité positive ». Ce que ça vend, ce concept, c’est que le Principe majeur de la République, c’est de s’adapter à ce qui vient, quoi que ce soit. Et croyez-moi, ça va se vendre.  – Pour parodier le bon Houellebecq, je dirais que la « laïcité positive » du Président Grenelle est une dhimminution du domaine de la République.

     

    III

    – La laïcité d’aujourd’hui est donc bien obligée de considérer de la même façon, indépendamment de tout critère simplement historique, et avec le même respect imbécile, toutes les religions, prôneraient-elles ouvertement l’assassinat ou la soumission des infidèles et la lapidation des femmes adultères – entre autres joyeusetés ; ce qui est aussi idiot que le serait de manifester le même respect à toutes les politiques. Hitler ne faisait-il pas de la politique ? Et Staline ? Et Mao ? Etc… – Merde. Et les valeurs républicaines ? – Ne faites pas rire. Elles n’ont plus aucune légitimité. La démocratie les engloutit. La démocratie d’opinion, et la possibilité de luttes d’influences juridiques, à grands coups de procès médiatiques. La République institue la démocratie, et la démocratie spectaculaire d’opinion fomente les communautarismes les plus inouïs, des plus débiles aux plus meurtriers en passant par toute une gamme de produits pornographiques (lesquels sont peut-être, hélas, nos derniers vecteurs d’ « intégration »), qui prolifèrent à une vitesse carcinomique, ravagent tout, implantent leurs métastases… – Jouer la République contre la démocratie, aujourd’hui, pourrait même être considéré comme une atteinte aux valeurs républicaines. On ne joue plus la carte de la République que pour l’évider tout à fait. – C’est que la République est une idée très ancienne, bien plus vieille que la Révolution française. La République n’est pas du tout une idée moderne, et c’est bien pour cela qu’elle s’effrite et s’effondre sous les coups du modernisme libéral déchaîné. – C’est une idée grecque de réalisation essentiellement romaine, d’ailleurs. Dans la façon du moins dont elle nous est parvenue. – « Rome, l’unique objet de mon ressentiment »… – C’est quoi, ça, c’est Nietzsche ? – Mais non, patate, c’est Corneille : la dernière fois qu’a brillé sur la France l’exaltation du courage antique devenu catholique, mettons… – Et Péguy ? – Mais Corneille et Péguy, c’est une ligne droite…

     

    IV 

    – Mon Dieu, mais ici, nous ne sommes même plus vraiment catholiques, ni chrétiens… – Voilà bien pourquoi il ne nous demeure plus qu’à défendre la République. – Mais c’est une impasse, vu ce qu’elle est, et à quel point déjà elle est tout effondrée. – La République et la laïcité, donc. –  La laïcité ne connaît que la religion chrétienne, et elle s’imagine, naïvement, mais la naïveté est un facteur de crime, que toutes les religions du monde sont bâties comme la religion chrétienne. Alors que pas du tout, en fait. – Je suis bien d’accord que c’est une impasse, désormais, la République. – Alors quoi ? – Alors rien. Il s’agit peut-être seulement de mourir, et de savoir le faire. – Nous avons des racines, qui, elles, sont chrétiennes. Indiscutablement. – Mais ces racines indiscutablement chrétiennes, de quoi exactement sont-elles les racines ? – La question n’est pas tant de savoir si nous pouvons éviter la guerre civile, que de savoir s’il faut l’éviter, non ? – D’ici là, en tout cas, l’Union européenne aura tout à fait fini d’adhérer à la Turquie (et pas l’inverse, merci bien). – Oui, oui, c’est toujours votre lumineuse idée barje d’accélérer la catastrophe, en somme…

     

    V

    – L’ancienne laïcité a permis de transformer l’Eglise catholique française en ce machin relativo-droitdelhommiste qui semble supplier ses derniers fidèles d’aller voir ailleurs que c’est pareil tout en admettant par avance qu’ils n’auront donc plus aucune raison de revenir. – Ouais, et la nouvelle laïcité positive du déplorable Grenelle ne fera jamais rien qu’adapter la France à l’islam, islam qui donc se radicalisera ouvertement de plus en plus. Que voulez-vous, c’est le Progrès. – Rien n’arrêtera ça. Parce qu’il faudrait restreindre drastiquement, c’est-à-dire de façon réellement républicaine, le concept de laïcité, et repréciser, comme le disait je ne sais plus où Alain Finkielkraut, quelles sont exactement les indispensables lois de l’hospitalité. Mais rien n’arrêtera ça. Sauf peut-être le fait que ça pète. Et le plus tôt sera le mieux. – Mais pourquoi ? – Parce que nous nous affaiblissons dramatiquement d’heure en heure, mon cher.

     

    Et vive quand même la République !

     

  • Fable, par La Porte et Chamfort

    Je donne ici l’article Fable du Dictionnaire dramatique de La Porte et Chamfort, datant de 1776, sans toucher bien sûr à la graphie ou à la ponctuation originales ; et précise qu’on peut accéder en ligne à l’intégralité de ce dictionnaire. Le portrait ci-dessous est celui de Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort.

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    C'est, dans la Poëtique d'Aristote, une des six parties de la Tragédie. Il la définit, la composition des choses. Il divise les Fables, en Fables simples & en Fables implexes. Il appelle simples les actions qui étant continues & unies, finissent sans reconnoissance & sans révolution. Il appelle implexes, celles qui ont la révolution ou la reconnoissance, ou mieux encore toutes les deux.

    Dans la Fable simple, il n'y a point de révolution décisive. Les choses y suivent un même cours, comme dans Atrée. Celui qui méditoit de se venger, se venge. Celui qui dès le commencement étoit dans le malheur, y succombe, & tout est fini. L'inconvénient de ces sortes de Fables, c'est qu'elles ne portent pas assez loin la terreur & la pitié.

    La Fable implexe, dit M. Marmontel, est à révolution simple, ou à révolution composée. Dans le premier cas, s'il n'y a qu'un Personnage principal, il est vertueux, ou méchant, ou mixte ; & il passe d'un état heureux à un état malheureux ou au contraire. S'il y a deux Personnages principaux, l'un & l'autre passent de la bonne à la mauvaise fortune, ou de la mauvaise à la bonne ; ou la fortune de l'un persiste, tandis que celle de l'autre change ; & ces combinaisons se multiplient par la qualité des Personnages, dont chacun peut être méchant ou bon, ou mêlé de vices & de vertus.

    La Fable à révolution composée, ou double, doit avoir deux Personnages principaux, bons, ou mauvais, ou mixtes, & la même révolution doit les faire changer de fortune en sens contraire.

    Dans la Fable unie & simple, si l'on représente le malheur du méchant, ce malheur n'inspire ni pitié ni terreur ; nous le regardons comme la juste punition de son crime. Si c'est l'homme de bien qu'on nous retrace dans le malheur & la disgrace, son malheur à la vérité nous afflige & nous épouvante ; mais comme ce malheur ne change par aucune révolution, il nous attriste, nous décourage, & finit par nous révolter. Il ne reste donc à la Fable simple, que le malheur d'un personnage mixte, c'est-à-dire qui ne soit ni tout-à-fait bon, ni tout-à-fait méchant.

    Dans les Fables à double révolution, il faut éviter de faire entrer deux principaux Personnages de même qualité ; car si de ces deux hommes également bons ou mauvais, ou mêlés de vices et de vertus, l'un devient heureux & l'autre malheureux, l'impression de deux événemens opposés se contrarie & se détruit. On ne sait plus si l'on doit s'affliger ou se réjouir, ni ce qu'on doit craindre ou espérer. Il faut éviter aussi d'y faire périr l'homme de bien, & prospérer le méchant. Mais il faut observer la régle contraire, c'est-à-dire, que le méchant tombe dans l'infortune ; & que le Juste, le Vertueux, pour qui on s'intéresse, passe du malheur à la prospérité. C'est ainsi que la vertueuse Iphigénie, qu'on tremble de voir immolée selon l'Oracle de Calchas, se trouve sauvée ; & Eriphile sa Rivale, injuste & méchante, se trouve, par la même révolution, être la malheureuse victime désignée par l'Oracle ; & elle s'immole elle-même de rage & de dépit.

    La Fable tragique, selon Aristote, peut se combiner de quatre manieres différentes : la premiere, lorsque le crime s'achéve ; la seconde, lorsqu'il ne s'achéve pas ; la troisieme, quand il est commis sans connoissance, & comme involontairement ; la quatrieme enfin, quand il est commis de propos délibéré. Dans toutes ces combinaisons, le Poëte habile peut trouver de l'intéressant & du pathétique. Dans OEdipe, le crime est commis avant d'être connu, & la connoissance qu'en ont ensuite ceux qui l'ont commis, cause la plus grande terreur dans le Dénouement. Dans Mérope, & dans Iphigénie en Tauride, le crime est reconnu avant d'être commis, Mérope reconnoît son fils Egiste sur le point de l'immoler : Iphigénie reconnoît de même Oreste, son frère, au moment où elle va le sacrifier. Cette reconnoissance empêche le crime de se consommer. Mais le Spectateur n'en a pas moins frémi sur le sort d'Egiste & d'Oreste ; & le but de la Tragédie est également rempli dans ces Fables.

    Le grand Corneille a inventé une autre combinaison pour la Fable tragique, ou, si l'on veut, un autre genre de Fable ; c'est celle où le crime, entrepris avec connoissance de cause, ne s'achève pas. La fin de ces sortes de Fables n'a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du Spectacle, au plus grand pathétique & aux plus fortes émotions de l'ame, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime. Il faut observer dans cette sorte de Fable, que celui qui a entrepris la [sic] crime, ne l'abandonne pas par un simple changement de volonté, mais qu'il en soit empêché par une cause étrangère.

    La Fable de la Comédie consiste dans l'Exposition d'une action prise de la vie ordinaire, dans le choix des caractères, dans l'intrigue, les incidens, &c; au moyen desquels on parvient à faire sortir le ridicule d'un vice quelconque, si le sujet est vraiment Comique ; ou à développer divers sentimens du coeur, si le sujet n'est pas véritablement comique.

    La Fable, soit Tragique, soit Comique, est ce qu'on appelle ordinairement le Roman de la Piéce.