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Fable, par La Porte et Chamfort

Je donne ici l’article Fable du Dictionnaire dramatique de La Porte et Chamfort, datant de 1776, sans toucher bien sûr à la graphie ou à la ponctuation originales ; et précise qu’on peut accéder en ligne à l’intégralité de ce dictionnaire. Le portrait ci-dessous est celui de Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort.

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C'est, dans la Poëtique d'Aristote, une des six parties de la Tragédie. Il la définit, la composition des choses. Il divise les Fables, en Fables simples & en Fables implexes. Il appelle simples les actions qui étant continues & unies, finissent sans reconnoissance & sans révolution. Il appelle implexes, celles qui ont la révolution ou la reconnoissance, ou mieux encore toutes les deux.

Dans la Fable simple, il n'y a point de révolution décisive. Les choses y suivent un même cours, comme dans Atrée. Celui qui méditoit de se venger, se venge. Celui qui dès le commencement étoit dans le malheur, y succombe, & tout est fini. L'inconvénient de ces sortes de Fables, c'est qu'elles ne portent pas assez loin la terreur & la pitié.

La Fable implexe, dit M. Marmontel, est à révolution simple, ou à révolution composée. Dans le premier cas, s'il n'y a qu'un Personnage principal, il est vertueux, ou méchant, ou mixte ; & il passe d'un état heureux à un état malheureux ou au contraire. S'il y a deux Personnages principaux, l'un & l'autre passent de la bonne à la mauvaise fortune, ou de la mauvaise à la bonne ; ou la fortune de l'un persiste, tandis que celle de l'autre change ; & ces combinaisons se multiplient par la qualité des Personnages, dont chacun peut être méchant ou bon, ou mêlé de vices & de vertus.

La Fable à révolution composée, ou double, doit avoir deux Personnages principaux, bons, ou mauvais, ou mixtes, & la même révolution doit les faire changer de fortune en sens contraire.

Dans la Fable unie & simple, si l'on représente le malheur du méchant, ce malheur n'inspire ni pitié ni terreur ; nous le regardons comme la juste punition de son crime. Si c'est l'homme de bien qu'on nous retrace dans le malheur & la disgrace, son malheur à la vérité nous afflige & nous épouvante ; mais comme ce malheur ne change par aucune révolution, il nous attriste, nous décourage, & finit par nous révolter. Il ne reste donc à la Fable simple, que le malheur d'un personnage mixte, c'est-à-dire qui ne soit ni tout-à-fait bon, ni tout-à-fait méchant.

Dans les Fables à double révolution, il faut éviter de faire entrer deux principaux Personnages de même qualité ; car si de ces deux hommes également bons ou mauvais, ou mêlés de vices et de vertus, l'un devient heureux & l'autre malheureux, l'impression de deux événemens opposés se contrarie & se détruit. On ne sait plus si l'on doit s'affliger ou se réjouir, ni ce qu'on doit craindre ou espérer. Il faut éviter aussi d'y faire périr l'homme de bien, & prospérer le méchant. Mais il faut observer la régle contraire, c'est-à-dire, que le méchant tombe dans l'infortune ; & que le Juste, le Vertueux, pour qui on s'intéresse, passe du malheur à la prospérité. C'est ainsi que la vertueuse Iphigénie, qu'on tremble de voir immolée selon l'Oracle de Calchas, se trouve sauvée ; & Eriphile sa Rivale, injuste & méchante, se trouve, par la même révolution, être la malheureuse victime désignée par l'Oracle ; & elle s'immole elle-même de rage & de dépit.

La Fable tragique, selon Aristote, peut se combiner de quatre manieres différentes : la premiere, lorsque le crime s'achéve ; la seconde, lorsqu'il ne s'achéve pas ; la troisieme, quand il est commis sans connoissance, & comme involontairement ; la quatrieme enfin, quand il est commis de propos délibéré. Dans toutes ces combinaisons, le Poëte habile peut trouver de l'intéressant & du pathétique. Dans OEdipe, le crime est commis avant d'être connu, & la connoissance qu'en ont ensuite ceux qui l'ont commis, cause la plus grande terreur dans le Dénouement. Dans Mérope, & dans Iphigénie en Tauride, le crime est reconnu avant d'être commis, Mérope reconnoît son fils Egiste sur le point de l'immoler : Iphigénie reconnoît de même Oreste, son frère, au moment où elle va le sacrifier. Cette reconnoissance empêche le crime de se consommer. Mais le Spectateur n'en a pas moins frémi sur le sort d'Egiste & d'Oreste ; & le but de la Tragédie est également rempli dans ces Fables.

Le grand Corneille a inventé une autre combinaison pour la Fable tragique, ou, si l'on veut, un autre genre de Fable ; c'est celle où le crime, entrepris avec connoissance de cause, ne s'achève pas. La fin de ces sortes de Fables n'a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du Spectacle, au plus grand pathétique & aux plus fortes émotions de l'ame, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime. Il faut observer dans cette sorte de Fable, que celui qui a entrepris la [sic] crime, ne l'abandonne pas par un simple changement de volonté, mais qu'il en soit empêché par une cause étrangère.

La Fable de la Comédie consiste dans l'Exposition d'une action prise de la vie ordinaire, dans le choix des caractères, dans l'intrigue, les incidens, &c; au moyen desquels on parvient à faire sortir le ridicule d'un vice quelconque, si le sujet est vraiment Comique ; ou à développer divers sentimens du coeur, si le sujet n'est pas véritablement comique.

La Fable, soit Tragique, soit Comique, est ce qu'on appelle ordinairement le Roman de la Piéce.

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