Fusées - Page 2
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Jusqu'à la catastrophe, il ne se passe rien
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Spleen de la France...
C’est au hasard d’un vieux volume abîmé, en cherchant tel célèbre poème de Baudelaire, que je suis tombé sur cette merveille… récapitulant en dix-huit vers, pour dire le spleen d’un seul, la situation politique de notre vieux pays, aujourd’hui.
SPLEEN
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé. -
Sport
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Le roi
Le roi a seize ans.
Seize ans et déjà l’État.
Comme d’une embuscade il porte son regard,
par-delà les vieillards qui l’entourent au conseil,
quelque part plus loin dans la salle
et peut-être ne sent-il rien d’autre
que le froid du collier de la Toison d’or
contre le menton long, étroit et dur.
L’arrêt de mort qu’il a devant lui
reste longtemps sans parafe.
Et eux imaginent ses tortures de conscience.
Le connaîtraient-il mieux, ils sauraient
qu’il ne fait que lentement compter jusqu’à soixante-dix
avant de signer.
Rainer Maria Rilke
Nouveaux poèmes, 1ère partie
traduction de Lorand Gaspar
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Le poète, son cendar et ta gueule
… allez, à V. B.
La poésie politique, voilà notre mystique, ou ce qui nous en tient lieu, mon cher vieux maître !
Et le restant... ces miettes de moi merdique éparpillées sur la page...
Ah oui, dirait-on pas plutôt qu'on nous a soufflé un cendrier au travers de la gueule !
Alors, pardon, pardon, sans condamner personne, bien sûr... Oulala, jamais condamner personne, ça ne se fait plus !... mais putain de bordel, c'est une perversion bizarre, quand même, d'aimer se faire souffler des cendriers dans la gueule !
Et du coup, c'est presque rassurant que la poésie du moi-moi façon bruine-de-merde-dans-ta-face ait si peu de lecteurs !
Elle en a même bien trop, du coup...
Par poète, ne soyons pas bégueule, j’entends tout ce qui prétend faire littérature ou, en tout cas, bouquin édité chez un éditeur un peu connu sur la place de Paris, ce mouroir, pas seulement les auto-relégués de la miniature préciosicule ! Le romanceur à la chaîne en première ligne !
Mais enfin, ce gang de moucheteurs de bran se fait surtout public à lui-même, chaque membre actif devenant passif, grimaçant, inspiré, lorsqu’il s’enquille la déjection du voisin... Or, en réalité je vous le dis, foi de fumeur invétéré, remplir un cendrier est à la portée du premier cloporte venu et seul le fait d'en souffler le contenu à la face d'un voisin, même consentant, est un franchissement audacieux de la décence la plus élémentaire... Tout le monde chie, bordel, mais qui bazarde ses excréments à la face de son prochain ? On me dira que ce voisin est d'accord... Il est d'accord, il est d'accord, je veux bien, mais qu'est-ce que ça peut foutre ?... Homère se grattait-il les couilles ? Peut-être oui, peut-être non, mais de toute façon on s'en fout, voilà, et lui-même n’a pas jugé nécessaire de nous le faire savoir (mais les groupies, bordel, les groupies ?).
Il y a quand même des choses autrement plus graves et inspirantes, non ? Ces gens dont je vous cause, pourraient être, et ils le sont peut-être, les contemporains des événements les plus formidables, les plus calamiteux et apocalyptiques de toute l'histoire humaine qu'ils continueraient de se badigeonner de leur propre merde, avec force tripes contemplatives et autres chagrins d'amour mal formulés, et le tout en prenant des pauses devant un guignol aussi peinturluré qu'eux qui leur servirait de miroir...
Mais je vais vous dire, à la fin : Ces discutailleurs de sexe des anges avec vie-intérieure-intense de série et rébellion-conformiste en option, ou l'inverse c'est pareil, on égorgerait des gosses au coin de leur rue qu'ils se demanderaient encore s'il faut revenir à la ligne entre brise et marine ou tout laisser dans le même pseudo-vers à la con... branlotins d’Île de Ré ! socialistes ! cocus !
Et nous voilà revenu à ce que je disais au début. L’air de rien. En creux.
Et en même temps, en même temps, Seigneur que n'est-on pas tout un ! l'on s'en viendrait me dire qu'il y a, dans cette attention à soi-même et à ce qui nous environne, selon le mot hideux en vogue, un certain carat de délicatesse et même, allez ! de civilisation, que je serais bien forcé, malgré la meilleure mauvaise foi du monde, de ne pas en disconvenir tout à fait !
Mais quand même, merde, quand ce n'est pas le moment, eh bien, ce n'est pas le moment ! Et ce n'est pas au moment qu'on vous attaque à la machette qu'il faut vernir sa moustache ou se remaquiller dans son miroir de poche !
Et voilà mon cendar bien rempli : Amenez vos faces !
15 mars 2016