Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Du degré de la maturité

masque_no_époque d'edo-1603-1867.jpg

Masque nô, époque d'Edo (1603-1867), vieillard dansant (dieu ou âme tourmentée)

 

 

 

A propos de style dans notre art : il arrive qu’un habile, parvenu au sommet du talent, à un degré mental qui est celui de la maturité, présente de temps à autre un style aberrant, et il arrive aussi que les débutants l’imitent sur ce point. Ce style accompli, propre à la maturité, ne doit pas être imité à la légère. A quoi pensent-ils donc quand ils cherchent à le reproduire ? Or donc, voici comment je définis le métier [qui correspond] au degré de la maturité : ce sont des moyens reposant sur une force intérieure que l’habile déploie de temps à autre, une fois qu’il a épuisé en totalité la voie des styles, à savoir les exercices âge par âge, de la jeunesse à la vieillesse, et qu’il a accumulé les qualités et éliminé les défauts. Cela consiste à mêler au style correct, en touches légères, des éléments de style incorrect, réprouvés et rejetés au niveau des exercices âge par âge. Puisqu’il est habile, dira-t-on, à quoi lui servirait donc d’adopter un style incorrect ? Cela, c’est un procédé éprouvé propre à l’habile. Un habile ne peut avoir qu’un bon style. Dans ces conditions, qu’il soit bon n’a rien d’insolite et son effet visuel tend à devenir un peu monotone ; si, à ce point-là, de rares fois, il mêle [à son jeu des éléments de] style incorrect, cela même constituera, au profit de l’habile, un élément d’insolite. Dans ces conditions, vu à distance, ce style incorrect se transforme en style correct. C’est là une manière de présenter les choses par laquelle l’habile, parce qu’il domine les styles travestit un défaut en qualité. Ce faisant, il a créé une manière qui éveille l’intérêt. Qu’un débutant, ne voyant en cela qu’un moyen d’éveiller l’intérêt, et le tenant pour imitable, cherche à le reproduire, il mêlera des moyens, inadéquats par définition, à son propre fonds mal dégrossi, ce qui revient à jeter du bois à brûler sur le feu. Peut-être prend-il ce que l’on appelle maturité pour un truc de métier, ignorant qu’il s’agit d’un degré mental propre à l’habile. Méditez bien tout cela.

 

Zeami (1363-1443), La tradition secrète du nô, extrait du « Livre de la voie qui mène à la fleur », traduit par René Sieffert, Gallimard/Unesco, coll. Connaissance de l’Orient

 

 

 

Les commentaires sont fermés.