J’écris cette histoire parce que j’ai besoin d’argent et ce qui est vachement bien, c’est qu’il n’y a aucune chance que ça marche jamais
Demain je ferai des affaires oui demain demain et encore demain et toujours demain
Et aussi bien je peux écrire n’importe quoi ou ce que je veux, que j’ignore, et qui sans doute aussi est n’importe quoi il n’y a pas de raison ma raison le sait bien
Je suis seul devant la machine dans le salon où je campe
Les enfants sont partis au soleil
J’ai deux jours devant moi et devant moi
Il y a des lys qui fanent dans un vase une cafetière une page électronique où écrire l’avenir que personne ne lira
Une coupe de fruits avec des oranges un oignon du gingembre des citrons
Et une balle dans le citron
Et la joie
L’immarcescible joie d’être là
Et d’écrire pour gagner enfin du pognon
Même si je sais bien que non
Et franchement mais qu’est-ce que ça peut foutre
Je ferais mieux d’écrire ça en anglais mais mon anglais n’est pas si bon que mon français
Et le français est plus précis ma langue est un scalpel
Qui découpe jusqu’à Dieu
(bof bof bof)
Et demain je ferai des affaires je gagnerai de l’argent je ferai coter mes bourses je serai tout à vendre et complètement ouvert, éventré par l’amour
Ou par n’importe quoi j’écrirai des chansons que les gens ne chanteront pas parce que mes pauvres paroles de poète à deux sous seront noyées heureuses dans le déluge de merde ô marchandises bienheureuses, étendards universels de l’universaleté confortable
J’irai vivre à Paris qui est une ville fantôme et peuplée de fantômes et ces fantômes sont les plus intéressantes gens qu’il se puisse trouver
Et parler avec eux est un repos de l’âme une extension d’intelligence le sommet véritable de la civilisation française
Qui est morte qui est derrière nous peut-être derrière nous dans le temps mais qui
Comme certaines étoiles
Luit encore dans le ciel bien qu’éteinte
Parce que la vitesse de la lumière mes amis elle n’est pas si rapide qu’elle en a l’air because que l’univers est infini même si ce matin il tient tout entier dans ma cafetière, c’est une petite cafetière italienne en métal
Dont je ne sais plus si elle a été fabriquée en Chine ou en Allemagne et qu’on fout sur le gaz qui lui vient de Russie avec dedans du café qui arrive en courant du Brésil
Et de la flotte calcaire du robinet qui vient m’apporter le saturnisme par des tuyaux en plomb de la bonne Ville de Rheims qui a sacré tant de rois, a été détruite par les Boches, sa cathédrale incendiée
(et je me demande quand même toujours quel fonctionnaire ou je ne sais quoi a eu l’idée je ne sais quand au juste d’ôter son « h » à Rheims, est-ce que je vais à Pari, moi, ou à Londr, ou à Can, ou à Sintropé ? et pourquoi pas Rinss, allez !)
Et puis j’irai pisser tout ce café dans des ramifications souterraines qui aboutiront à la Seine, et mon café jaune pisse coulera sous le pont Mirabeau et finira parfaitement insignifiant dans la mer qu’on a appelé la Manche pour te rappeler pauvre Quichotte numérisé que tu as besoin de pognon et que c’est pour ça même que tu écris ce poème formidable imprévu soudain comme l’éclair
Ah mais c’est au fond que ce monde est merveilleux vraiment je ne sais pas pourquoi après tout il faut en dire tant de mal puisque ce matin
Tout va bien
1er mars 2012