Je n’aime pas ce pays, je fais comme mes amis, je n’aime plus ce pays, je suis comme mes ennemis, ou bien selon les heures l’inverse. Le lent effondrement se dit une fois de plus dans l’insouciance feinte, en commandant au restaurant une troisième bouteille de vin. Il y a de beaux moments encore dans ce monde presque mort. J’ai quand même des soucis, j’aurais mieux fait d’opter pour les sushis, l’agneau est un peu cuit. Seigneur Jésus, c’est la faute à pas de chance, tu n’existes presque plus mais on s’en branle à fond, on a les films de cul et puis toute une clique qui ne cause que de fric. A vingt mètres d’ici, ces grands enfants sans freins qui vous insultaient pour un clope refusé – et t’envoyaient avec raison fissa niquer ta race, avec raison puisque déjà tu préférais filer que faire face –, ils vous tueront bientôt et pour moins que cela ; et ce sera bien fait, parce que nul n’est parfait, qu’on ne leur a rien donné mais que tout est pardonné. Les dîneurs tristes de la table à côté leur vendent par avance des excuses, en dressent des listes entières, ils causent fric et droit et procès en buvant de l’eau minérale à la con, quelle bande de pauvres cons, mes semblables, mes frères. A l’heure du pousse-café, je tringlerais bien une bonne connasse mais ne fais que plonger mon grand nez dans ma tasse. Même mes velléités lubriques, elles ne cassent pas des briques – baisée le premier soir, enculée le deuxième et larguée le troisième, et que ça saute camarade, on enchaîne. Et puis paisiblement dedans ce restaurant, nous poursuivons nos libations en lisant à voix haute un déjà vieux Libération. J’aime vraiment bien cette journée, je lui trouve un air foutrement apaisé, je m’y sens comme chez moi sauf que je n’y suis pas. Dans la télévision, une journaliste auburn susurre que c’est à cause de gens comme toi qu’il y a des gens comme toi qui sont victimes de crimes, juste retour des choses, mais un politicien assure qu’en gros tout ira très très bien et peut-être même mieux si tous en chœur on fait un gros effort, si tous en chœur on excuse et s’accuse. Il y a décidément des pendaisons qui se perdent, j’ai les couilles pleines de sperme, je cherche une femme et c’est un petit drame, mais je suis raisonnable et recommande vite fait un dernier café crème. Il y a de beaux moments encore dans ce monde presque mort. Je cherche une chanson, je suis un pauvre con.