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Une belle histoire

Elle veut jouer. Non, elle veut qu’il joue. Elle a les yeux très bleus.

– Votre jeu érotique préféré, c’est quoi ?

– La roulette russe, connasse.

Réponse romantique. Toujours mentir. L’insulte est passée dans le sourire. Elle sourit en retour.

Mais il joue. Politique de la terre brûlée.

Il va falloir avoir plus à perdre que lui.

Il ne joue pas seulement pour perdre.

Il joue pour perdre le plus vite possible.

– Vous êtes suicidaire ?

– Moins que vous.

– Ah ?

– C’est vous qui voulez jouer, non ?

Il la trouve belle. Peut-il cracher sur sa beauté ?

Sans doute. Une fois, il a interrompu des préliminaires ; la fille était nue, attendait qu’il la prenne ; il a juste dit, en enfilant son pull : Mais qu’est-ce que je fais là ?

Il regarde autour de lui le monde naufrager.

– Vous vous considérez comme un lâche ?

– Tous les jours. Je peux vous poser une question ?

– Non.

– Vous savez ce que disent les flics dans les films ? Ils disent : C’est moi qui pose les questions.

– Vous voulez quoi ? Que je finisse par partir en pleurant, humiliée ?

– Rien à foutre. Vous partez, c’est bien, vous restez, c’est bien.

Elle a du mal avec son cognac ; il finit le sien d’un trait.

Il s’est demandé comment traduire en français le mot cool. Dans ses différentes occurrences. Il a opté pour lâche et ses dérivés, relâché, par exemple.

Nous sommes sommés d’être lâches. Elle a un très beau décolleté. Il allume une cigarette.

Un coucou de merde sonne les vingt-trois heures.

– Une telle violence, une telle détresse, j’ai rarement vu ça…

– Et ?

Silence.

Puis elle dit :

– Et quoi ?

– Et tu te mets en scène comment, dans ce scénario-là ?

Silence.

Elle fronce légèrement l’œil gauche. Le café va fermer.

D’un sens, il est lui aussi un homme cool, lâche. A cela près qu’il pousse cela volontairement à l’extrême, bien au-delà des sommations d’usage. – Tu ne te détends jamais vraiment, n’est-ce pas ? lui avait dit une fille, une fois. – La détente, c’est fait pour appuyer dessus. Bon. Sa lâcheté personnelle, c’est peut-être de s’en tirer toujours d’un bon mot, fût-il dur.

Nos paroles sont de la merde. Nous engloutissons le monde sous des tombereaux de merde. Il dit :

– Je t’invite.

– Tu te sens obligé ?

– Pas seulement. Je dédommage aussi.

– C’est humiliant.

Menteuse. Les humiliés se taisent. Silence, pourtant.

Mais elle se tait trop tard.

Ils marchent côte à côte, sous un ciel dégagé, constellé.

Il fait plus doux qu’il ne pensait. Elle prend son bras ; il l’abandonne.

– On va où, maintenant ?

– Moi chez moi.

– C’est une invitation ?

– Non.

Elle ne devrait plus tellement essayer. Les êtres humains baisent en chiens de faïence ; chérie, je te pousse le wagon au fond de la mine.

Manifestement, ils ne s’en aperçoivent pas ; ou bien sont résignés. Il fume encore. Dit :

– Je t’accompagne à la station de taxi.

Elle ne dit rien. Il ne la regarde pas. Cette fois, elle a sans doute un semblant discret de larme à exhiber. Il ne la regarde pas.

Dans un monde qui fait le malin, tu ne peux jouer qu’à être plus malin, et c’est sordide. C’est ce qu’il se dit, en tout cas.

Trois jeunes hommes défoncés à quarante mètres, droit devant. Il dit :

– On traverse.

– Pourquoi ?

– Comme ça.

Ils traversent. Les jeunes leur gueulent, de l’autre côté du trottoir :

– Hé ! les amoureux !

– T’inquiète pas, tu vas la niquer, c’te pute…

– Encule-la, mec, vas-y, encule-la !

Les jeunes rigolent, s’éloignent…

Ils marchent. Silence. Bande de connards. Exactement adaptés à ce monde. D’abord parce qu’ils lui sont exactement adaptés ; ensuite parce qu’ils pensent le contraire.

Il ne s’est jamais battu. Il les a toujours vus venir. Pour l’instant. Ça non plus ne durera pas.

Ce monde agonise, prie qu’on l’achève. C’est le seul genre de prière que ton frère l’homme sait exaucer, après tout.

Elle ne dit rien. Il sait que ces jeunes cons l’ont rapproché d’elle. Il les maudit en silence, voudrait les pendre l’un après l’autre. Elle ne dit rien. Lui non plus.

Il est calme, il est en colère. Elle n’a pas lâché son bras.

Ils ne disent rien. Marchent. Silence.

La station de taxi est derrière eux. Et merde, pense-t-il.

Il allume une cigarette.

– Tu fumes beaucoup, non ?

Ta gueule. Mais il ne le dit pas, cette fois.

Il se dit que là, il est foutu ; de guerre lasse. Il n’habite plus très loin. Et il sourit comme un imbécile.

– Du coup, les connards avaient raison…

Elle se serre un peu plus.

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Un poil tragique.

  • C'est une belle histoire pour endormir les princesses le soir au fond des bois?

  • Un fil tendu entre comique et tragique.
    L'air de rien, ça sonne juste...

  • @ Sophie : Ne coupez pas ce poil en quatre, je vous prie.

    @ Emilie : Peut-être pas. Je me demande, quant aux princesses et pour autant qu'elles en sont, s'il faut les endormir ou bien les réveiller, ce qui, somme toute, dépend de leur état, lequel, bizarrement, semble indécidable...

    @ Elisabeth : Merci.

  • Ah oui... Et bon quelque chose aussi que j'avais cru remarquer, mais c'est parce que vous savez je me flatte facilement d'avoir du pif...
    Bon je le dis: ce que j'admire dans votre prose c'est que je n'y trouve aucun déchet, pas de facilités. C'est si rare, et je me demande, combien de temps passez-vous sur vos billets? Mais ce n'est pas une question qui appelle une réponse... Juste un peu de merde, vous savez.

  • (zut: quand j'écris "juste un )eu de merde" je parle de mon bavardage, pas de la réponse qu'il appellerait le cas échéant...)

  • Ce n'est pas mon genre!

  • Je veux dire: de couper les poils en quatre

  • T'es pas encore assez vieux pour raconter des histoires aux belles endormies Pacalou, don't quiet ; ce récit appelle une suite? (je n'ose plus voir de conclusion à tes fins de billets)

  • @ Emilie : Non, non, tout est bien qui finit bien.

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