Europa Entropa

 

Article également publié sur RING.

D’un côté, indubitablement, l’œuvre intitulée Entropa, signée David Cerny, présentée à l’occasion de la présidence tchèque de l’Union Européenne dans l’atrium du Conseil des ministres de Bruxelles, est fort laide. D’un autre côté, il s’agissait de représenter l’Union Européenne. Œil pour œil. Et d’ailleurs, de bonne foi, avec un sujet pareil, on ne pouvait pas s’attendre au plafond de la Sixtine.

 

Pour tout vous dire, il ne m’importe pas du tout de savoir si David Cerny fait ou non de la provocation pour assurer sa renommée internationale ; s’il aurait dû respecter son cahier des charges imbécile l’enjoignant à s’associer 26 autres artistes, un par pays membre de l’UE, au lieu de tout faire lui-même, assisté de son collectif ; s’il voulait seulement provoquer Vaclav Klaus, président tchèque très eurosceptique ; ou si certains pays trouvent à se plaindre de la façon ridicule dont ils sont représentés, etc. Ces questions-là étant tout uniment aberrantes, il faut les abandonner sans regret aux politiciens et autres journalistes.

 

L’œuvre, puisqu’on appelle ça comme ça, est une grande structure verticale présentant les pays séparés les uns des autres, dans un désordre conséquent. L’ensemble ne ressemble pas du tout à une carte d’Europe, mais, plus encore qu’à un puzzle, à un kit géant de gadget à monter soi-même. Ça a un côté accessoires de modélisme à détacher, ou de saloperies de jeux Kinder.

 

 

D’un côté, disais-je donc, Entropa est fort laide. Mais de l’autre, pour changer de point de vue, elle est fort drôle (en tout cas beaucoup plus que la pauvre pièce de deux euros signée Starck de la présidence française).

D’abord parce qu’elle donne à voir une Europe qui n’existe pas, étant à monter soi-même ; ensuite parce qu’elle ramène chaque pays à un cliché. Et à un cliché déplaisant, pas à un cliché folklorique.

 

Le pays le plus réussi dans cet ordre est assurément l’Angleterre, qui étant absente, s’en tire à la fois le mieux et le plus mal.

L’Espagne est en béton armé, le Portugal en table de cuisine sur laquelle traînent trois pièces de viande aux formes de ses anciennes colonies.

La Roumanie est un château de Dracula façon jouet, la République tchèque un miroir où le rien peut à loisir se mirer, la Bulgarie est peuplée de chiottes à la turque aux canalisations apparentes, montées à l’envers (à la demande du gouvernement bulgare, qui n’a manifestement pas compris qu’en entrant dans l’UE son pays signait pour un foutage de gueule jamais vu auparavant, la représentation de leur pays est à présent cachée).

Plus inquiétante, sûrement parce que plus puissante, l’Allemagne présente plusieurs tronçons d’autoroute dont l’agencement évoque plus ou moins une croix gammée dont on ne peut dire si elle se défait ou se recompose. La Pologne est un tas de cailloux sur lequel des prêtres catholiques plantent le drapeau homosexuel dans une pose qui rappelle le monument des Marines américains célébrant la bataille d’Iwo Jima.

L’Autriche est une verte prairie semée de centrales nucléaires, la Belgique une boîte de chocolats peu présentable, déjà bien entamée. Le Luxembourg plaqué or est en vente.

J’en passe.

Mais mon préféré, ce sont les Pays-Bas déjà recouverts par les eaux desquelles n’émergent plus que de très jolis minarets.

Et mon regret, c’est que la France est ratée. Elle est représentée barrée d’un banderole portant le mot Grève. C’est évidemment très juste. Mais cela ne risquait pas de faire râler les Français. Ils ont l’air plutôt fiers de cela. Il ne nous manque même à nous aussi qu’un ou douze minarets perçant la banderole pour être, diversité oblige, immensément satisfaits de l’œuvre de Cerny.

Entropa, de toute façon, porte très bien son nom. Il n’y aura pas d’Europe autre qu’administrative. Elle était militairement nulle et culturellement occupée à se chier sur la gueule en reniant seize ou vingt-cinq siècles d’histoire, voilà que l’économie vient de partir en couille. Reste seulement à laisser proliférer le carcinome bureaucratique…

 

Pour résumer, je dirais que l’ensemble a une pauvre tronche à avoir été fabriqué en Chine.

D’ailleurs, je me demande bien pourquoi Cerny n’a pas fait réaliser sa sculpture en Chine.

L’Union Européenne en kit Made in China, ça aurait eu de la gueule.

Et c’eût été plus vrai encore.