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Roman par défaut

Le texte qui suit est une ébauche, abandonnée, de préface ou d’introduction, abandonnée elle aussi, au roman bien particulier, puisque roman par défaut, exclusivement composé de pièces de théâtre intitulé Tout faut – dont le nouveau sommaire est (sommairement, donc) présenté ici.

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Les raisons de la disparition du théâtre, une des plus hautes formes de la littérature, sont nombreuses.

La volonté contemporaine, très générale, d’en finir avec les règles, si elle a produit et produit encore nombre d’ « artistes », a tué l’art. (Quand tout est possible, il est presque impossible de ne pas faire n’importe quoi ; et cela, n’importe qui peut le faire.)

La tragédie, qui mettait en scène la Référence, justifiant ainsi de l’origine du Pouvoir, fut dans son esprit même jugée « protofasciste », et condamnée aussitôt ; quant à la comédie, qui moquait ce même Pouvoir en son action temporelle, ayant elle aussi besoin des subsides des puissants, elle fut jugée trop réellement dangereuse. (La lâcheté est une des conditions du suicide.)

La manie spectaculaire de l’époque, ensuite, commanda que le texte soit informe, ni ceci, ni cela ; qu’il devienne en quelque sorte « scénario » disparaissant dans sa « réalisation » éphémère : lors la complaisance et le non-sens s’arrachèrent gémellairement le marché. Et il fallut alors que des auteurs satisfaits de leur néant se détrempassent au marécage pour y misérablement grenouiller. (Théâtre, littérature, et même roman, sont des mots que leur surexploitation a vidé de leur contenu.)

Enfin, la démocratisation massive d’absolument tout, à la recherche d’un consensus totalitaire, hypostasia grossièrement le Dialogue ; et les dialogues à leur tour furent dépossédés de leur originelle puissance conflictuelle. (Il faut désormais que tout conflit réel paraisse absolument barbare.)

Il se peut toutefois qu’on vous dise qu’il n’y a jamais eu, en France au moins, autant de théâtre, mais c’est sans importance : parce qu’il est ordinairement illisible ; parce que, quand par extraordinaire il est lisible, il ne dit rien, ou vraiment pas grand-chose.

 

Ce n’est pas seulement un art, une technique particulière, qui meurt, mais la civilisation qui l’a permis. L’Occident fut une manière d’institution du Père, et voici sous nos yeux sa faillite

Je faux, tu faux, il faut… Ainsi se conjugue le désuet indicatif présent du verbe faillir, dont la troisième personne du singulier recoupe exactement celle du verbe falloir.

Notre époque ne se compare à aucune autre. Les métaphores historiques sont inopérantes, au sens juridique incompétentes – ou plutôt : ne sont opérantes chaque fois que pour des morceaux prédécoupés du monde, et jamais pour l’ensemble. Je parle ici de mutation anthropologique. Peut-être sous couvert de progrès remontons-nous le temps à grande vitesse, filant vers les grandes matriarchies légendaires, inconnues, effrayantes, franchissant même au passage le mur de l’écriture…

Or, dans cette affaire d’écriture, justement, qu’est Tout faut, j’ai dû abandonner successivement toutes mes positions, et jusqu’à l’idée d’un repli qui ne soit pas hypocrite. Mais quoi penser d’une critique qui ne commencerait pas par retoquer les positions mêmes de celui qui l’écrit  – et au contraire les conforterait ?

 

L’absence de règles ne mène à rien, sauf au chaos – et il est vain d’imaginer qu’un chaos d’écriture représente jamais un chaos politique : il s’y fond et c’est tout. Quant aux règles anciennes de la composition dramatique, elles sont mortes avec le monde ancien qu’elles permettaient de représenter ; y recourir par défaut eût été se priver de dire la spécifique ordure de notre époque.

Les règles simples que j’ai suivies se feront bien assez connaître à la lecture, non moins, j’espère, qu’elles se feront oublier.

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