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partage de midi

  • Partage de midi, de Paul Claudel

     

     

    (Article initalement publié sur Ring.).

     

     

    Et maintenant, j’ai vu à sa première représentation, le 4 juillet au soir, le spectacle Partage de midi dans la carrière de Boulbon.

    Cela m’a certes demandé de passer outre la vague dégoutation coutumière qu’inspire l’idéologie officielle du programme (idéologie certifiée NF, norme française, en quelque sorte), et je suis venu là content, pour entendre Claudel, pensant et rêvant à cette grande pièce qu’est Partage de midi, confiant j’oserais dire par principe dans le talent des acteurs.

    Et il y a tout de suite quelque chose, partant pour trois heures de spectacle, d’assez effrayant dans le fait brut de comprendre, avant même qu’un seul mot ait été prononcé, et à simplement regarder le numéro de clowns, au sens propre, donc burlesque, auxquels se livrent Mesa et Amalric, que ce que l’on verra, quoi que ce soit, ne sera pas Partage de midi.

    Les trois heures qui viennent seront donc livrées presque entières à l’imbécillité, à une imbécillité des plus intensives, on pourrait presque dire : quintessenciée ; à l’épuisement de toutes les façons de raconter autre chose que ce qui se dit, que ce qui est dit, à jouer partout autour des claires situations dramatiques, incontournables, fondant la pièce et permettant le déploiement de la parole claudélienne ; ces trois heures, dis-je, pour l’essentiel seront livrées à l’exhibition de la virtuosité technique des comédiens, virtuosité réelle si l’on y tient, mais que l’exhibition retourne à tout moment contre elle-même, barrant l’accès à la parole, laquelle n’est in fine engagée à rien d’autre que servir l’exhibition virtuose.

    Et il s’agit au fond de défaire la parole.

    De se saisir, même par amour, même avec amour, d’une haute parole poétique, difficile, mais moins difficile que profonde, et d’aller lui chercher son évidence pour ensuite la nier, la tordre, l’enjoliver de formes point nécessaires et la compliquer d’arabesques formelles exactement ineptes.

    Il s’agit en somme, là comme ailleurs, de défaire la parole au nom de la technique, et de faire entrer la première dans la seconde pour qu’elle lui soit une province.

    En ce sens, c’est toujours à l’œuvre ce même mal auto-immune et détruisant le monde au nom d’un Bien de pacotille, improvisant ses délires et autres « créations », dont ce spectacle est un symptome banal, comme en fleurissent partout de millions d’autres.

    Et c’est donc toujours la même façon moderne de mettre à terre et piétiner ce qui était en haut, insupportablement haut ; et de présenter, comme en offrande au public, sous le couvert d’une technicité bariolée, le résultat de sa déprédation terrifiante.

    MESA. – C’est tout

    En lui qui demande tout en une autre !

    Voilà ce que je voulais dire ; ce n’est pas la peine de rire bêtement.

    Il ne s’agit pas d’un enfant ! c’est lui pour naître, on ne sait comment,

    Qui profite de ce moment que nous nommons l’éternité.

    Mais tout amour n’est qu’une comédie

    Entre l’homme et la femme ; les questions ne sont pas posées.

    YSE. – La comédie est amusante quelquefois.

    MESA. – Je n’ai point d’esprit.

    Acte I

    Car il y a dans les trois actes qui font Partage de midi une clarté de situations, et une profondeur dans leur déploiement entre ces quatre personnages cardinaux, qui devraient interdire – mais ce mot-là est il encore audible ? – de s’en écarter une seconde.

    Se trouvent présents sur le bateau, retour d’Europe vers la Chine, Ysé, la femme, accompagnée de De Ciz, son mari plus faible qu’elle, ayant reconnu là Amalric, l’aventurier avec qui elle eut une liaison dix ans plutôt, avant donc le mariage et les enfants, et rencontrant ici Mesa, l’homme que Dieu lui-même a retoqué de la prêtrise. C’est l’acte I. Dans l’acte II, au cimetière de Hong Kong, Ysé quittera De Ciz pour Mesa, abandonnant pour lui ses enfants. Dans l’acte III, Ysé a quitté Mesa, emportant l’enfant reçu de lui, pour fuir avec Amalric dans le sud de la Chine en guerre, et avec la commune volonté d’y mourir. Mesa retouve Ysé, lui annonce la mort de De Ciz, encore officiellement son mari, lui propose le mariage. Amalric vainc physiquement Mesa, tandis qu’Ysé s’aperçoit qu’elle a laissé mourir son enfant, les amants s’enfuient, puis Mesa – est-il mort ? – s’adresse à son Créateur en commençant par l’engueuler jusqu’au moment qu’Ysé de nouveau lui apparaît…

    Et sur le pont de bateau de ce premier acte, où, à midi dans la lumière aveuglante et sur la mer qui est « comme une vache terrassée que l’on marque au fer rouge», se partage en effet cette femme, Ysé, pour les trois hommes qui sont là, on se demande bien pourquoi les comédiens enchaînent des saloperies d’effets purement formels, tant physiques (avec des prétentions chorégraphiques indues) que vocaux (le souffle semble avoir été ôté à la parole poétique, pour être en quelque sorte, par des ruptures bien souvent inutiles, vocalisé), dans le genre de ces petits exercices techniques qu’on fait parfois effectuer aux débutants afin de les initer à ce qu’est cette chose étrange : une scène. On les verra ainsi tous quatre interrompre une scène d’un geste formel d’un ou deux bras, courir pour traverser le plateau, prendre une nouvelle pause des bras, et enchaîner comme si rien de cela n’avait eu lieu (et il eût mieux valu).

    A ce moment de l’acte II où, dans le cimetière de Hong Kong, les corps d’Ysé et de Mesa commencent de s’enlacer – et l’on sait l’amour qu’avait Claudel pour la figure mallarméenne de l’Ombre double –, nos gentils comédiens, de peur sans doute de ce qu’ils nomment abusivement et à tour de bras « redondance » quand ce ne serait, ici, qu’adéquation à l’adultère en cours, se trouvent chacun d’un côté du plateau, tendant chacun dans le vide leurs bras en direction de l’autre :

    « Ils s’étreignent. Ysé demeure immobile et passive. Arrêt.

    MESA. – O Ysé !

    YSE. – C’est moi, Mesa, me voici.

    MESA. – O femme entre mes bras !

    YSE. – Tu sais ce que c’est qu’une femme à présent ?

    MESA. – Je te tiens, je t’ai trouvée.

    YSE. – Je suis à toi,

    Je ne recule pas, je te laisse faire ce que tu veux.

    MESA. – O Ysé, c’est une chose défendue. »

    Puis enfin, un peu plus tard, les comédiens s’approcheront l’un de l’autre, avec ces pauvres gestes stylisés, à peu près vides de signification et qui servent à notre misérable époque de danse, et que l’on dit chorégraphiques…

    Et je vous passe cette autre piécette chorégraphique absurde sinon ridicule, désarrimée de tout et servant de transition entre l’acte II et le troisième, sur le très rabâché The end des Doors (Mother ?... Yes, son…). Oui, oui, apocalypse now, on a compris, merci, on a compris, mais vous feriez mieux de jouer la pièce qu’on est venu voir. 

     

    « Il est vrai que vous n’êtes qu’une femme, mais moi je ne suis qu’un homme,

    Et voici que je n’en puis plus et que je suis comme un affamé qui ne peut retenir ses larmes à la vue de la nourriture. »

    Mesa, à l’acte II.

    Tout cela nuit à la claire compréhension des situations, des enjeux et des personnages, à l’exception toutefois de quelques moments où, tout à coup, on se demande finalement pourquoi, les comédiens ont pris parti de donner à entendre et voir et comprendre tel morceau de la pièce au plus près de son évidence nécessaire.

    Mais il faut ajouter, que, quand bien même on ferait disparaître ces scories technicistes et esthétisantes qui polluent tout son long le spectacle, les personnages et la pièce ne seraient point sauvés.

    Car un problème, et de taille, demeure, entravant jusqu’à la possibilité de représenter pour nous Partage de midi.

    Et il est qu’il n’y a pas d’Ysé.

    Et il n’y a pas d’Ysé, cette femme, parce que, face à elle, bien souvent, il n’y a pas d’hommes. Parce que les comédiens ne parviennent pas réellement, ou pas continument, à composer un homme (et je vous prie de croire que j’emploie à dessein le terme composer).

    Et comme cette pièce ne traite de rien d’autre au fond que de cette altérité radicale et définitive, fondant toutes les autres, naturellement violente, en quoi consiste d’être un homme ou une femme, il est très rapidement clair qu’aucune issue ne s’offre à représenter la pièce de Claudel.

    Certes les « garçons » ne sont pas aidés par leurs costumes designés à la coule et bariolés d’inutile, lesquels participent de cette impression surnavrante que les personnages ont été sommairement jugés et comme a priori, puis condamnés sans recours à figurer l’antithèse de ce qu’ils eussent dû être, et que leur exécution » » au plateau dure les trois heures immensément longues de la représentation.

    De Ciz, l’homme plus faible que sa femme, et qui joue dans le spectacle l’acte II en « culottes courtes » est de bout en bout presque toujours rendu ridicule par son interprète, alors que son drame n’est pas de n’être pas viril, mais que sa virilité ne suffise point à dominer sa femme, à tel point que la mort aux avant-postes de la Chine colonisée lui doive finalement sembler préférable. Amalric, l’aventurier sûr de lui, nous est présenté comme un excentrique maniéré à la limite de l’hystérie, ce qui ne tient pas une seconde et vient incessamment contredire le texte. Quant à Mesa, le paysan retoqué par un Dieu auquel il est ici le seul à croire, il passe au plateau par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, épuisant toute possibilité d’unité dans la virtuosité technique que demande formellement de jouer toute la palette chromatique ; avec quelques bonheurs de temps en temps, ne médisons pas.

    Il y a, me semble-t-il, dans cette volonté affichée de « décaler » les choses et les personnages un involontaire aveu d’impuissance ; à tel point que ce « décalage » est désormais la norme, à laquelle aucun « calage », aucune adéquation, ne vient plus jamais s’opposer.

    Or, dis-je, de ce qu’aucun homme crédible ne se tienne face à elle, c’est Ysé simplement qui disparaît, devenant, pour céder aux comparaisons approximatives, ce qu’est la radiographie d’un squelette humain à une femme dont la première qualité est d’être désirable et désirée, le squelette radiographié serait-il bien celui de cette femme-là ; mais dès lors, quelle importance ?

    Il y a, là aussi, je crois, dans la façon dont la représentation ne peut atteindre cette altérité radicale qu’exige la pièce de Claudel, quelque banal symptôme du mal qui ronge le monde présent.

    De sorte que la question se pose : par-dessus quel abîme, quel néant faut-il passer désormais pour accéder à se représenter, et ensuite représenter, ce qui était encore, il y a une petite centaine d’années et sans doute moins, le mode de séparation qui partageait depuis toujours la condition humaine. Et, sans même envisager ici la question de l’analphabétisme galopant usiné par nos entrepreneurs en démolitions, on peut légitimement se demander quel avenir sera celui de nos chefs d’œuvre littéraires ?

    Hors frais annexes, assister à une représentation de ce spectacle coûte 25 ou 20 euros, selon que l’on accède ou non au tarif réduit ; lire Partage de midi, dans un folio neuf, coûte 6,80 euros. Restez chez vous.

    Mise en scène : Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier. Avec Gaël Baron (De Ciz), Nicolas Bouchaud (Amalric), Valérie Dréville (Ysé), Jean-François Sivadier (Mesa). Collaboration à la scénographie : Christian Tirole. Travail sur le mouvement : Philippe Ducou. Costumes : Virginie Gervaise. Lumières : Jean-Jacques Beaudouin en collaboration avec Philippe Berthomé. Son : Jean-Louis Imbert. Production déléguée : Festival d’Avignon. Texte publié aux éditions Gallimard. Coproduction : Festival d’Avignon, Les Gémeaux-Sceaux Scène nationale, Italienne avec orchestre, Centre dramatique national Orléans-Loiret-Centre, La rose des vents -Scène nationale de Lille Métropole à Villeneuve d’Ascq, L’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry et de la Savoie. Avec le soutien de la Région Île-de-France. Le Festival d’Avignon reçoit le soutien de l’Adami pour la production.

     

  • Claudel dans le programme (2)

    festival-avignon-affiche.jpgPaul_Claudel_01.jpg

    Hier après-midi, j’ai relu la présentation faite par JFP (alias Jean-François Perrier) de Partage de midi, de Paul Claudel, dans le programme du Festival d’Avignon ; et je peux déjà vous dire de quoi il n’est pas question dans cette charmante présentation. Il n’est pas question de mari, de femme, d’amant, il n’est pas question d’adultère, de vocation religieuse, d’appel de la chair, il n’est pas question de banal et d’antique, ni bien sûr de sacré, il n’est pas question de la Loi et de la Grâce, il n’est pas question de Dieu et de l’homme, ni de l’homme et de la femme, et surtout pas d’Ancien Testament. Et il n’est pas question de la Chair ou de l’esprit, ni de plaider la cause de l’esprit (bien au contraire), et, enfin, il n’est pas question d’épuiser un dossier.

     

    La présentation officielle suit, in extenso, chargée de mes pauvres commentaires :

     

    « Projet rare dans le paysage théâtral français que ce Partage de midi joué et mis en scène par quatre acteurs : Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud, Gaël Baron, sous le regard d’une cinquième : Charlotte Clamens. »

    Projet rare : si vous le dites : on en dissuaderait les amateurs. Faute de français ou « modernitude » ? On devrait dire, étant préalablement question d’ « acteurs » : « sous le regard d’un cinquième : Charlotte Clamens ». Je penche, au vu de la suite, pour ladite modernitude.

     

    « Acteurs aux parcours divers dont la situation ressemble à s’y méprendre à celle des personnages de Partage de midi : « Examinons nos figures comme quand on joue au poker, les cartes données / Nous voilà engagés ensemble dans la partie comme quatre aiguilles, et qui sait la laine / Que le destin nous réserve à tricoter tous les quatre ? »

    Comparaison aberrante. Si ces quatre acteurs jouent au poker ces représentations, alors ils jouent « chacun pour sa gueule », pour parler grossièrement. Quant à la citation de Claudel, elle est en elle-même magnifique. Ah, les Parques…  

     

    « Dans le jeu de l’écriture claudélienne, acteurs et personnages se confondent, et l’espace est d’abord montré comme théâtre, comme le lieu d’une expérience qui s’engage entre acteurs et spectateurs, comme une invitation à partager le même trésor. »

    C’est une présentation des partis-pris (légitimes ?) du spectacle ; mais pourquoi les prêter à l’ « écriture claudélienne » ? Pour les « légitimer », justement ?

     

    « Partage de midi, présenté ici dans sa première version, se déploie autour du mystère de la passion. »

    Rien à dire.

     

    « Claudel écrit cette version « à chaud », sans distance, à un moment où il se trouve dans la perte et la douleur d’un grand amour, fou, charnel, érotique. »

    Je veux bien, moi, qu’il y ait perte, douleur et grand amour, les biographes l’ont attesté ; mais qu’il ait écrit cette première version « « à chaud », sans distance », franchement, qu’en sait-on ?

     

    « Le mot partage renvoie aussi au partage amoureux, l’objet du partage, c’est cette Ysé qui appartient successivement aux trois hommes de la pièce, partagée entre des désirs contradictoires. »

    Outre la syntaxe, qui est très approximative, notons que le mot partage ici ne renvoie plus au mystère de la passion, à moins que ce soit cela que signifie cet « aussi », mais semble être au contraire devenu synonyme de déchirement. Cette pauvre Ysé file droit vers la folie, et la folie n’a que peu à voir au partage.

     

    « Pièce singulière parce qu’autobiographique, « Claudel écrit et réécrit Partage de midi avec le sentiment d’écrire et réécrire sa propre vie comme si le texte biographique et le texte dramatique étaient l’envers et l’endroit d’un même texte », dit Anne Ubersfeld. »

    Pièce singulière parce qu’autobiographique. C’est une façon, sans doute, de justifier la niaiserie nombriliste à la mode. Même Claudel, voyez-vous. C’est un moderne, au fond. Quant à Anne Ubersfeld, la technicité intellectuelle de sa phrase masque simplement une grosse tautologie, quoique l’idée de « texte biographique » soit au fond hilarante.

     

    « Partage de midi, c’est d’abord l’expérience de l’exil, de la Chine qui peu à peu enserre les personnages de toutes ses ténèbres, et c’est aussi celle de la guerre, au moment de la révolte chinoise des Boxers face à l’occupation du pays par les Européens. »

    Un modèle de racolage (modernisons Claudel). Claudel est en exil (c’est romantique, ça, c’est positif) et non pas en mission diplomatique, la Chine de 1905 évoque déjà celle de Mao, Claudel aimerait le Tibet, voterait Dalaï-Lama, mais soutiendrait les Boxers contre les Européens, qui, à l’époque, n’existent pas comme tels, quoique je ne sois guère assuré qu’ils existent aujourd’hui davantage.

     

    « De tous côtés se pose à Claudel le problème colonial dans sa brutalité et sa conquête rapace. »

    Racolage dur. Notons au passage que le problème posé à Claudel était facile à résoudre : « brutalité », « conquête rapace ». C’est un peu court, non ?

     

    « C’est dans cette situation de guerre que l’exaltation du désir charnel et spirituel entre Ysé et Mesa, figures emblématiques de l’amour impossible, se consume… »

    Tiens, on nous parle de la pièce.

     

    « Pour dire la vérité de ces conflits, l’auteur invente une langue unique, loin de l’académisme, langue du souffle qui interroge la pratique même de l’acteur et qui engage une véritable théâtralité des corps. »

    Jargon. Qu’est-ce donc, une « langue du souffle » ? Et comment « interroge »-t-elle une pratique ? Théâtralité des corps : tiens, on nous parle du spectacle, mais on le fait découler logiquement du texte de l’auteur : l’auteur invente une langue qui engage une théâtralité des corps. Moi qui croyais, naïf, que Claudel écrivait… 

     

    « On peut rêver cet ensemble théâtral comme une puissance collective, une association poétique, avec l’art comme véritable horizon utopique. »

    Final grandiose. « Puissance » de quoi ?  « Association » de quoi ? Et « l’art comme véritable horizon utopique » revient tout bonnement à évacuer l’art. N’importe quoi.

     

    La présentation est finie.

    Conclusion : Peut-être pour être moderne, ou, ce qui n’est qu’une nuance, par crainte de discriminer, notre cher JFP refuse d’envisager que la passion claudélienne en question dans Partage de midi est celle qui oppose (plus qu’elle n’unit) l’homme à la femme ; et même, s’il faut, pour être clair, d’imbéciles majuscules, l’Homme à la Femme. Il lui faut donc réduire, ramener, « anecdotiser », et finalement étriquer le propos à la seule part autobiographique, laquelle, selon JFP, donne à la pièce sa singularité. Et racoler bas pour convaincre le public que, oui, Claudel est un moderne ; et jargonner haut avec Anne Ubersfeld pour que les intellos français soient servis.

    Et en effet, pourquoi citer Claudel quand on a sous la main Ubersfeld ?

    Car Claudel est l’auteur, en 1948, au moment de la seconde version de la pièce, d’une belle et forte préface, laquelle commence ainsi :

     

    « Si ignoras te, o pulcherrima mulierum.

    Cant., I, 7.

    Rien de plus banal en apparence que le double thème sur lequel est édifié ce drame, aujourd’hui après tant de saisons livré à la publicité. Le premier, celui de l’adultère : le mari, la femme, l’amant. Le second, celui de la lutte entre la vocation religieuse et l’appel de la chair. Rien de plus banal, mais aussi rien de plus antique, et j’oserai presque dire, dans un certain sens rien de plus sacré, puisque l’idée de cette bataille entre la Loi et, sous les formes les plus diverses et les plus inattendues, la Grâce, entre Dieu et l’homme, entre l’homme et la femme, court sous les récits de l’Ancien Testament les plus riches de signification.

    La Chair, selon que nous en avons reçu avertissement, désire contre l’esprit, et l’esprit désire contre la chair. Le premier aspect de ce conflit a fait l’objet de toutes sortes de poëmes,  romans et drames. Mais d’autre part, est-il si sûr que la cause de l’esprit qui désire contre la chair ait jamais été plaidée dans toute son atroce intensité, et, si je puis dire, jusqu’à épuisement du dossier ? »