Je suis dans la salle d’attente. J’ai mal aux dents. Je feuillette un magazine pipolitique, le repose, m’apprête à en prendre un autre rigoureusement identique, lorsque j’aperçois, quelque part dans le désordre des canards, ces mots : Les dix command… Je songe aussitôt au Décalogue, puis, me souvenant de la mort récente de Charlton Heston, au film de Cecil B. DeMille. Je dégage les monceaux de torchons en vrac pour accéder à celui portant ce titre, et là, que lis-je enfin ? « Les dix commandements de la laïcité, par Bernard-Henri Lévy. » Et donc, je rigole.
Dans l’hebdomadaire Marianne. Ce monde, décidément, est une merveille.
Je feuillette – un magazine ne se lit pas – l’atroce article en question, qui commence par dire que la laïcité, of course, n’est pas une religion, poursuit sa chute en vantant à mots couverts l’idée « républicaine » d’un marché à l’américaine des religions qui se valent toutes de ne se devoir présenter là que castrées et démilitarisées, pour s’écraser je ne sais comment puisque j’ai déjà retoqué l’article, l’auteur et le canard, lesquels après un vol plané quelconque finissent échoués sur le dessus de la pile d’illustrés pipolitico-publicitaires.
« Sacré » BHL. Encore un des ces humoristes contemporains pour attardés mentaux, fourguant d’autor sa bouillie humanitaire avariée, éclaboussant partout dans des jouissances de détraqué tout-puissant, n’ayant d’autre compétence que sa médiocrité médiacratique, d’autre légitimité intellectuelle que celle des réseaux d’affaire, puisque tout finit dans cet égout-là.
Le bonhomme est tout à fait réputé pour s’être fait des couilles en or (1) sur la misère du monde. Il est même tout à fait capable, ce philosophe de plateau télé (avec d’autres Glucksman – père & fils – de carnaval), de vous rendre bankable n’importe quel lointain génocide.
Mais ce n’est pas ça qui m’ « éclate » le plus, non.
Ce qui me fait rire tout seul comme un crétin dans cette salle d’attente, sous le regard inquiet d’une dame âgée, c’est l’idée que ce brave couillon aurifère de BHL (2) se prend pour Dieu. Pour le doigt de Dieu, même. Puisque l’Exode dit que le doigt de Dieu écrivit les Dix Paroles… Il y a bien trop longtemps déjà qu’il ne se prend pas pour rien, notre BHL des Droits de l’Homme.
Ça y est, c’est fait, il est Dieu. Enfin !
Même qu’il écrit les Dix Commandements sur ce Sinaï bouseux que lui devient l’hebdomadaire Marianne. Il se prend sans doute aussi pour Moïse, dans la foulée. Parce que tout de même, cette histoire de doigt de Dieu à l’époque des Droits de l’Homme, on ne peut plus tellement y croire. En bonne logique athée – et BHL, qui vit dangereusement, est addict à l’athéeine – on devrait supposer que les Commandements, puisqu’ils furent écrits, le furent en réalité par le rusé Moïse… Pas de problème : il peut bien être à la fois Dieu et Moïse, notre BHL international. Ça ne risque pas de le gêner. A moins bien sûr que BHL ne soit Dieu, Marianne Les Tables de la Loi de la semaine qui finiront à la poubelle et le Lecteur-Républicain-Citoyen lui-même Moïse (merde, il faut bien flatter un peu son lecteur, pour autant qu’une telle comparaison puisse encore le flatter). C’est comme vous voulez, puisqu’on est en démocrassie.
Je suis le Seigneur ton Dieu (Qui t’a fait sortir du pays d’Egypte). Tel est le premier des Commandements – de la Bible, hein, pas de BHL (mais il pense sans doute à l’adapter à sa sauce, pour un prochain succès de supermarché). Les catholiques s’arrêtent où commence la parenthèse, les juifs retiennent la phrase entière. Et alors ?
Alors la dame âgée me prend à présent pour un cinglé complet. Un psychopathe (il faut avouer que je viens tout de même bien de lire une bonne demie page de BHL, ce qui ne plaide guère en ma faveur). Elle a peur, je le vois. On est chez le dentiste, tout de même. J’ai une chique à la joue droite et je rigole. Bon. Je prends sur moi. Je cesse de rire.
Mais quand même murmuré-je :
– Apprends donc à compter jusqu’à quatre, BHL, sinistre couillon aurifère, ton imbécile Tétragramme n’a que trois lettres ! Et puisque YHWH (Yahvé) se doit prononcer Adonaï (id est Seigneur, en gros), comment devrait-on prononcer BHL ? Mammon ? Le Ploutocrate ? (3)
(1) Peut-être était-il né avec. Mais il s’en fait souvent faire idolâtrement de nouvelles, tout à fait artificielles, et qu’il porte ostensiblement en écharpe par-dessus son décolleté, afin qu’on les lui lèche – ce qui, immanquablement, advient.
(2) Voir (1).
(3) Question subsidiaire : Où est passé Aristophane – dont l’ultime pièce fut Ploutos –, « notre Sauveur suprême Aristophane », comme l’écrit dans Opération Shylock Philip Roth ?