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Livres - Page 30

  • En attendant Darcos...

    Le texte qui suit a maintenant dix ans, voyez comme il se conclut :

     

    Quant à l’élimination de toute common decency, c’est-à-dire la nécessité de transformer l’élève en consommateur incivil et, au besoin, violent, c’est une tâche qui pose infiniment moins de problèmes [que d’imposer volontairement la « dissolution de la logique », note du copieur]. Il suffit ici d’interdire toute instruction civique effective et de la remplacer par une forme quelconque d’éducation citoyenne, bouillie conceptuelle d’autant plus facile à répandre qu’elle ne fera en somme que redoubler le discours dominant des médias et du show-biz ; on pourra de la sorte fabriquer en série des consommateurs de droit, intolérants, procéduriers et politiquement corrects, qui seront, par là même, aisément manipulables tout en présentant l’avantage non négligeable de pouvoir enrichir à l’occasion, selon l’exemple américain, les grands cabinets d’avocats.

    Naturellement, les objectifs ainsi assignés à ce qui restera de l’Ecole publique supposent, à plus ou moins long terme, une double transformation décisive. D’une part celle des enseignants, qui devront abandonner leur statut actuel de sujets supposés savoir afin d’endosser celui d’animateurs de différentes activité d’éveil ou transversales, de sorties pédagogiques ou de forums de discussion (conçus, cela va de soi, sur le modèles des talk-shows télévisés) ; animateurs qui seront préposés, par ailleurs, afin d’en rentabiliser l’usage, à diverses tâches matérielles ou d’accompagnement psychologique. D’autre part, celle de l’Ecole en lieu de vie, démocratique et joyeux, à la fois garderie citoyenne – dont l’animation des fêtes (anniversaire de l’abolition de l’esclavage, naissance de Victor Hugo, Halloween…) pourra avec profit être confiée aux associations les plus désireuses de s’impliquer – et espace libéralement ouvert à tous les représentants de la cité (militants associatifs, militaires en retraite, chefs d’entreprise, jongleurs ou cracheurs de feu, etc.) comme à toutes les marchandises technologiques ou culturelles que les grandes firmes, devenues désormais partenaires explicités de « l’acte éducatif », jugeront excellents de vendre aux différents participants. Je pense qu’on aura également l’idée de placer, à l’entrée de ce grand parc d’attractions scolaires, quelques dispositifs électroniques très simples, chargés de détecter l’éventuelle présence d’objets métalliques.

     

    Jean-Claude Michéa, L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes.

  • Croupir

    On ne peut pas dire que je surestime le théâtre de mon époque ; il arrive donc qu’on me demande pourquoi je n’écris pas des romans…

     

    Je ne m’intéresse presque plus aux actualités, aux nouvelles, aux informations, aux médias ; ils passent quand même. Le monde ne bruit pas d’autre chose.

    Au vu du français qu’on enseigne à l’école, et des livres que publient de sinistres coteries parisiennes, il faut admettre que lire ce qui paraît ne doit plus avoir pour quiconque d’un peu intelligent la moindre espèce d’intérêt.

    Ne pas lire peut aussi être un acte critique. 

     

    (La seule chose, généralement ignorée dans les campagnes, qu’on peut finalement apprendre de Saint-Germain-des-Prés, et qui a également l’immense avantage de dispenser de s’y rendre, c’est que le mot pré peut avoir pour adjectif pratin.)

     

    Lire un roman, désormais, c’est tolérer une manière de journalisme amateur qui ne prétendrait même pas, alors que cela seulement pourrait être un peu drôle, dire quelque chose d’important (– Alors, tu la craches, ta gavalda ?) ; ou inversement, qui prétendrait tellement à la révélation, au sens journalistique, d’importance, qu’il en deviendrait aussitôt stupide de boursouflures (Dan Brown, par exemple).

    J’attends donc la sortie, je ne sais quand, du prochain roman de Houellebecq.

     

    De toute façon, on est bons pour le cinéma et, bêtise pour bêtise, personne d’un peu sensé ne fait même plus mine d’en attendre quoi que ce soit d’un peu intelligent.

     

    Adios.

     

     

     

     

     

     

     

  • La création veut des pièces nulles !

    Invité en guise de changement de décor, à lire trois minutes de texte sur l’art du théâtre à la suite du directeur du théâtre et d’un comédien, j’ai donné ce petit montage :

     

     

     

     

     

    L’intellectuel irrite l’homme cultivé comme l’adolescent irrite l’adulte, non par l’audace de ses idées mais par la banalité de ses présomptions.

     

    Nicolas Gomez Davila

     

    [Je précisai ensuite, pour la compréhension de l’auditoire, que ce qui est nommé régie dans le texte qui suit est ordinairement nommé mise en scène, et régisseur metteur en scène.]

     

    La mise en scène est-elle une création ou une interprétation ?

    Le créateur, au théâtre, c’est l’auteur. Dans la mesure où il nous apporte l’essentiel. Quand les vertus dramatiques et philosophiques de son œuvre sont telles qu’elles ne nous permettent aucune possibilité de création personnelle, lorsque nous nous sentons encore, après chaque représentation, son débiteur. Ce qui ne signifie pas que l’œuvre soit parfaite. La perfection d’ailleurs, c’est Voltaire dramaturge.

    Donner son sens, par le jeu des corps et de l’âme des interprètes, à une scène de Shakespeare par exemple, est une tâche qui exige du régisseur l’emploi de toutes ses facultés d’artiste, mais ça n’est jamais qu’une œuvre d’interprétation. Le texte est là, riche au moins d’indications scéniques incluses dans les répliques mêmes des personnages (mise en place, réflexes, attitudes, décors, costumes, etc…). Il faut avoir la sagesse de s’y conformer. Tout ce qui est créé hors de ses indications est « mise en scène » et doit être de ce fait méprisé. Et rejeté. J’ai pris l’exemple de Shakespeare parce que chacune de ses œuvres offre au régisseur trop imaginatif l’illusion et les tentations de la création. Ce n’est pas l’imagination du régisseur qui doit ici imposer la vue d’un personnage, cela est insupportable ; c’est le personnage qui, suffisamment dépouillé, doit rester « ouvert » à l’imagination du public. Ce dépouillement, facilité déjà par les rares indications scéniques de Shakespeare, implique bien entendu un jeu plastique ordonné, sans bavure, mais exige par contre du comédien une sensibilité toujours frémissante, toujours en contact avec le public.

    Je me permets d’ajouter que si le régisseur faisant « répéter » un chef d’œuvre se considère comme un créateur, j’en dirais autant des comédiens. Et du public aussi, pourquoi non ? Rappelez-vous cette boutade des vieux comédiens : « l’auteur écrit une pièce, le comédien en joue une autre, le public en comprend une troisième ». Mais alors, je vous le demande, qui sera un interprète ? Quand ça ne serait que pour donner un sens précis à chaque mot de notre profession, il serait indispensable de s’en tenir à une distinction raisonnable en ce qui concerne les notions de créateur et d’interprètes.

    Il reste cependant un champ clos où le metteur en scène affamé de création peut trouver pâture à son génie dévorant : lorsque la pièce est nulle ; lorsqu’elle n’est plus, à l’implacable usure des répétitions, qu’un prétexte, un inévitable aide-mémoire. Parmi les pratiques du comédien, il existe cependant un art authentique de création. Celui du Mime. « Un canevas, et mon corps parle. »

     

    Jean Vilar  

     

    [J’ajoute que l’art du mime a certainement disparu avec le respect, et donc la possibilité, du silence.]

     

    Lorsque la rouerie commerciale des uns exploite la crédulité culturelle des autres, on parle de diffusion de la culture.

     

    Nicolas Gomez Davila

     

     

     Je conclus donc par ce titre : La création veut des pièces nulles !

  • Théâtre des idées

    Pour commencer :

    Je ne suis évidemment pas compétent pour parler de ce dont je parle. J’en ai donc profité pour aller vite, et ne citer précisément personne dans le texte qui suit. Je ne suis pas intellectuellement formé – et aussi, j’ai ce goût stupide pour l’exagération et la caricature –  pour dire mon désaccord avec des esprits incomparablement plus brillants que le mien (ne point lire ici d’ironie), qu’il s’agisse de ce géant de Platon, ou, plus proches de nous dans le temps, de Brecht, Vitez, Bond (Edward, hein, pas James) ou Badiou…et même, quoique nettement moins concerné ici, Ionesco…Puisque j’en suis à nommer de façon pas du tout exhaustive les gens que je ne cite pas, je vais – pour compenser ! – citer deux phrases d’autres excellents auteurs – lesquelles phrases, je l’espère, sembleront à certains d’emblée éliminatoires –, que l’écriture hâtive de mon texte m’a ramenées en mémoire. La première ne se laisse pas épuiser par sa simplicité :

     

    Personne, mieux que Shakespeare, n’a su comment se passe la vie.

    Guy Debord, Panégyrique

     

    …quant à la seconde, plus complexe pour qui n’a pas à l’esprit que pour un chrétien le Christ en sa double nature, homme et Dieu, est la Vérité, et conséquemment que toute autre prétendue vérité…

     

    Si l’on me prouvait que le Christ est hors de la vérité et qu’il fût réel que la vérité soit hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu’avec la vérité.

    Fédor Dostoïevski, Lettre à Nathalie Fonvisine, 1854

     

    J’ajoute finalement une troisième citation, de formulation magnifique en sa fin, pour enchaîner sur la précédente et ouvrir enfin sur mon petit texte :

     

    C’est cet imprévisible, cet inconnu de la nature humaine qui est le grand intérêt de Dostoïevski. L’homme est un inconnu pour lui-même et il ne sait jamais ce qu’il est capable de produire sous une provocation neuve.

    Paul Claudel, Mémoires improvisés

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