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Voltaire oublié

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Tout semble ramener les Français à la barbarie dont Louis XIV et le cardinal de Richelieu les ont tirés. Malheur aux politiques qui ne connaissent pas le prix des beaux-arts ! La terre est couverte de nations aussi puissantes que nous. D’où vient cependant que nous les regardons presque toutes avec peu d’estime ? C’est par la raison qu’on méprise dans la société un homme riche, dont l’esprit est sans goût et sans culture. Surtout ne croyez pas, que cet empire de l’esprit, et cet honneur d’être le modèle des autres peuples, soit une gloire frivole. Elle est la marque infaillible de la grandeur d’un empire : c’est toujours sous les plus grands princes que les arts ont fleuri, et leur décadence est quelquefois l’époque de celle d’un Etat.

Voltaire,

Epître dédicatoire [de sa Tragédie Zaïre] à Mr Falkener, marchand anglais, depuis ambassadeur à Constantinople.

 

Il faut bien dire que Voltaire s’était d’abord fait connaître pour son théâtre, et qu’il a été très longtemps considéré – jusqu’à la seconde guerre mondiale, en gros – comme le grand dramaturge du XVIIIème siècle, bien loin devant Marivaux et Beaumarchais. Lui-même situait sans ambages son théâtre dans la lignée classique de Corneille, Racine et Molière ; il critiquait même assez durement Corneille, son véritable maître, dont il convoitait secrètement la place au panthéon des Classiques français. Il sait très bien, comme le rappelle Jean Goldzink en son introduction au volume de quatre pièces paru en GF, que « l’art tragique est la forme d’art suprême, la plus difficile et la plus exaltante. »

Sa pièce la plus jouée à la Comédie-Française, Zaïre, connut en 1936 sa 480ème et dernière représentation. Cette « tragédie chrétienne » se passe au temps des Croisades – Guy de Lusignan, ex-roi de Jérusalem en est l’un des protagonistes –, et l’auteur se flattait qu’elle ait été jouée quelquefois en place de Polyeucte. Son Fanatisme (ou Mahomet) est aussi, sans aucun égard ni pour l’anticléricalisme réel dont elle était au temps de l’auteur la frange la plus avancée, ni pour ce qui peut rendre plus que difficile la représentation d’une telle pièce dans la France veule des années 2010, un modèle abouti de dramaturgie classique, Voltaire y poussant même – et c’est sans doute ce qu’il cherchait depuis l’Œdipe de son premier succès – son étude politique au-delà du point qu’avait rêvé Corneille.

Même le grand Vilar ne trouvera guère, pour emboîter le pas à son époque et bannir Voltaire des théâtres, à lui reprocher que la perfection de ses pièces. On croit rêver. A croire que les Français ne souhaitent rien d’autre que ce retour à la barbarie dont parle ici Voltaire… On préférera donc se jeter sur ses Candide, Micromégas ou Zadig, œuvrettes assez faciles à donner à lire aux lycéens d’aujourd’hui. (Voltaire avait d’abord refusé de signer son Zadig, qu’il qualifiait aimablement de petite couillonnerie.) Il se peut bien que la détestation de la grandeur classique française ait vaincu tout à fait, et qu’il ait fallu faire du grand Voltaire seulement un intellectuel, dût-il passer pour le premier d’entre eux. Peut-être est-ce aussi, moins en termes de littérature que finalement (et pour parler la langue de ce siècle :) de soft power, l’aboutissement de la grande vague romantique qui vit s’imposer en Europe Shakespeare au détriment des classiques français, et la victoire paradoxale, un peu âcre, du père Hugo…

Les voltairiens s’en sont donné à cœur joie, dans cette affaire… Et si Voltaire avait été davantage romancier, il eût bien mérité une place de choix aux côtés de Franz Kafka et de Max Brod dans les Testaments trahis de Milan Kundera : sans penser que la cinquantaine d’œuvres dramatiques de Voltaire devrait y figurer intégralement, il est étonnant de ne pas en trouver une seule dans les quelques seize tomes que La Pléiade a dédiés à Voltaire ; et il est non moins significatif que sur ses seize tomes, treize soient de correspondance.

En réalité, il est tout de même possible de trouver six pièces de Voltaire en Pléiade, mais dans le premier des deux volumes collectifs du Théâtre du XVIIIème siècle – lequel est d’ailleurs « provisoirement indisponible » au catalogue. Reste donc ce livre de poche contenant Zaïre, Le Fanatisme (ou Mahomet le prophète) pour les tragédies en vers, Nanine (ou L’Homme sans préjugé) qui est une comédie en vers et Le Café (ou L’Ecossaise) qui est une comédie en prose. La présentation et les notes de Jean Goldzink sont utiles, claires et précises.

 

 

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