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Pochade

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« Oublier les principes. Les assimiler au point de les oublier. »

Copeau

 

 

 

J’ai écrit la pièce assez lentement et sans effort, me distrayant une semaine à cette activité, quoique pas plus d’une heure ou deux par jour.

Je m’arrêtais chaque fois avant de buter, avant le point où bientôt je ne verrai plus où emmener l’improvisade. Légère avance sur moi des choses à écrire demain, et que j’abandonnais au sommeil, aux aléas de la vie, espérant les retrouver transformées, joyeux déjà de les déformer encore, de simplement les transcrire sans souci d’y coller trop.

 

Je cesse en général de lire quand je dois écrire dans de brefs délais, mais les lectures dans lesquelles j’étais plongé cette semaine-là m’ont grandement aidé et sans elles, sans leur recours quotidien, je ne me serais sans doute pas tenu à cette légèreté d’ensemble, à cette façon de traiter à la va-vite, presque par-dessus la jambe, certains sujets réputés lourds. Car ce par-dessus la jambe-là est une manière de sérieux, de ce sérieux précisément qui fait tourner bourrique le sérieux ordinaire et envoie dinguer les culs-de-plomb.

C’étaient d’abord Eugène Onéguine dans la traduction de Markowicz et La Tradition secrète du nô de Zéami par René Sieffert, auxquels s’est ajouté ensuite Les Femmes savantes. Je ne pense pas d’ailleurs qu’il faille chercher aucune influence directe des deux premiers, sinon peut-être vaguement chez le second, et sans sous-estimer la considérable étendue de mon ignorance, dans la réflexion autour de ce qu’est un fantôme – et dans la façon dont la fable avoue ses personnages tels.

Et après tout, peut-être la pièce traite-t-elle moins de ces sujets à peine politiques dont on nous poisse chaque jour et qu’elle s’ingénie à survoler, que du point de savoir ce que c’est qu’un fantôme, et si par hasard nous en sommes ; ou pas.

 

*

 

Les conditions faites au théâtre contemporain, presque réduit par l’étroitesse de ses moyens à la plate anecdote, empêchent ordinairement le poète dramatique – qui n’a d’ailleurs plus tellement le goût de penser qu’il aurait pu l’être – d’exercer sa fonction : dire le monde.

Dire le monde ne peut évidemment pas être confondu avec la manie ridicule de dénoncer ceci ou de dénoncer cela selon les urgences jetables de tel ou tel courant médiatique du que dalle.

On peut bien sûr se plaindre à l’infini, avec plus ou moins de raison, des conditions lamentables volontairement faites à ce qui reste de l’art dramatique, et au fond ne rien faire d’autre qu’imputer au pouvoir – en surplus de sa responsabilité dans l’imbécillité consentie de ses choix – la médiocrité intrinsèque de la plupart des productions dramatiques, textes et spectacles ici confondus.

A l’inverse, on peut relever la gageure et utiliser la réduction imposée des effectifs de personnages à conter un monde au pouvoir étriqué, faible, dépourvu de grandeur et de poésie, au fond désirant seulement ne plus être, en dépit qu’il l’ignore. Oui, tel pourrait bien être le travail paradoxal d’un poète dramatique.

Avec la légèreté pour élégance et le sourire au milieu des édifices en ruine.

 

Tout cela… sans doute n’est pas très important ni bien neuf, et le manichéisme prévaut encore : quoi qu’il soit couramment admis en privé qu’ « on a connu bien pire », le pouvoir est très vilain pas beau et les artistes si gentils subversifs. C’est une espèce de dogme, ou de naïve antienne moins établie sur sa raison que sur le nombre incalculable de fois qu’elle est psalmodiée ; c’est aussi une machine à organiser ces fameux concerts de rien où l’on trame des réputations de virtuose à des ahuris qui pissent dans des violons.

Cela revient aussi à dire, en inversant la perspective pour se placer du côté du pouvoir, qu’on a toujours besoin d’un plus idiot que soi. Revers parfois perçu, vaguement, par une mince frange d’artistes qui trouvent légitime, du coup, de se considérer comme avancés – quand, incapables d’en rien conclure vraiment, ils n’en sont que plus enfoncés.

Lesquels artistes enfoncés ont bien naturellement tendance à se venger par l’insulte spectaculaire la plus plate sur le peu de public qu’il leur reste, peu que le pouvoir quant à lui transforme immédiatement, pour citer ce bon Debord, en « chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles ». Puis, aux frais d’une Princesse en guenilles, on sable le champagne à la démocratisation culturelle.

Tout cela, donc, pourrait n’être pas réjouissant, et pourtant le devient sitôt qu’on considère que nul n’est jamais pris pour un con qui n’y trouve son intérêt ou son confort.

On dirait un sujet de comédie…

 

*

 

Faire allusion, petite touche à petite touche, à ces soi-disant lourds sujets qu’il faudrait être fou pour traiter sérieusement au théâtre (mais la folie a bonne presse), m’a paradoxalement rendu plus sensible la question du fantôme – cas extrême et révélateur du théâtre dans le théâtre…

Voilà le départ. Des personnes vivantes acceptent de regarder d’autres personnes vivantes faire, dans un espace circonscrit, comme si elles étaient d’autres personnes qui n’existent pas ; des vivants prêtent un temps leur vie à des fantômes, leur souffle à des poèmes.

Une convention seconde veut maintenant que, dans ce cadre premier (et indépendamment de toute idée de naturalisme, symbolisme, surréalisme, etc.), on admette que ces fantômes sont des personnes réelles, nommées ici personnages pour aider à la distinction.

Dans ma petite pièce, un personnage se meurt : lui apparaît alors, et à lui seul, un fantôme, en quelque sorte son double inversé. Mais bientôt ce fantôme devient matériellement perceptible, physiquement présent à tous les personnages, ce qui relativise considérablement, me semble-t-il, son statut initial de fantôme, et leur statut initial de personnages réels.

Quant au point de savoir ce qu’en peuvent penser dans la salle les personnes vivantes, je vous abandonne la conclusion, dont il y a plusieurs.

 

*

 

J’avais en tête ce titre, Le Souverain, le Diable et moi, depuis bien plus d’un an quand j’ai commencé à écrire.

L’idée scénique initiale, à la limite de l’exercice d’improvisation, avait été de mettre quelques personnages en lutte pour la possession paisible, c’est-à-dire de gré ou de force acceptée par les autres, d’une chaise, unique élément présent au plateau. Je prenais quelques notes maigrelettes, généralement sous forme de dialogue, le reste ne me servant de rien. Mon but alors, par ailleurs tout à fait disproportionné à mes moyens techniques et intellectuels, était de traiter de façon directe, presque didactiquement, de la souveraineté, comment on l’acquiert, la conserve et la perd. Bref, ce n’était pas du tout partie pour faire pochade, mot que j’ai préféré de justesse à celui de récréation.

C’est quand j’ai abandonné tout à fait ce projet à la fois colossal et débile, n’ayant en quelque sorte plus rien à écrire, que je me suis donné une semaine pour faire la pièce. La lie des idées était déposée et comme je n’ai rencontré pour ainsi dire aucun frein technique, veillant seulement à la simplicité des phrases, j’ai pu laisser couler ce qui venait cette semaine durant.

La chaise, trône étique, a laissé place à une table – siège aussi, tombe, simple table, piédestal, lit, autel, arc de triomphe… –, personnage finalement plus tangible que les provisoires fantômes s’agitant à son entour ou sur lui, quoique très indéfini lui aussi…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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