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Sabotage (histoire drôle)

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S’il considérait en gros, après tant d’autres, que l’homme est bon et tout pouvoir corrompu, il s’apercevait également que lui-même tenait dans le monde une certaine position de pouvoir, même ordinaire. C’était un dilemme. Il lui fallait ou bien saboter en conscience sa propre position, utilisant ce pouvoir quelconque contre la parcelle d’autorité qu’elle recelait ; ou bien décréter un peu prétentieusement que, jusqu’à lui-même, l’homme n’était pas si bon – ou en tout cas qu’il avait besoin d’aide – et que son pouvoir permettrait peut-être de le redresser quelque peu, ce qui n’était pas sans installer un relativisme total si l’on imaginait que chaque homme à son échelle pouvait également raisonner ainsi, étant en quelque sorte considéré comme un ennemi par les inférieurs qu’il avait charge d’aider et, symétriquement, considérant ses supérieurs ayant charge de le soutenir comme des ennemis. Et ainsi de suite jusqu’au sommet. Là, c’était Dieu, ou le droit, qui devenaient intrinsèquement mauvais et, puisqu’il était évidemment impossible de s’en passer réellement sans sombrer à l’arbitraire pur, devaient être incessamment changés, aucun nouveau nom qu’on leur donnerait ne devant jamais durablement convenir. Cette seconde hypothèse, confort aidant, reçut ses suffrages : elle tenait elle aussi du sabotage, mais elle avait au moins, lui semblait-il, l’avantage immense de l’instituer. Il convenait tout de même que, s’étant lui-même posé cette question, tout le monde n’y répondrait pas de la même façon, et que la guerre était donc ouverte entre une manière de sabotage sauvage, dû sans doute à des personnes plus franches et plus frustes, ne pouvant guère se passer de chercher l’immédiat accord avec elles-mêmes, et une manière de sabotage institué, légal sinon légitime, dû sans doute à des personnes plus évoluées, soucieuses de leur confort et capables d’envisager le moyen terme (au sens de la durée comme au sens de la mesure), écart dans lequel s’épanouissait sans doute toute une chromatique de nuances qui, dans des moments d’optimisme insensé, lui paraissait donner à l’ensemble une belle unité. Il allait donc joyeux, comme innocent de son calcul, ravi des divers sabotages à l’œuvre, quoique lui apparût de moins en moins clairement ce qu’était exactement cela qu’on sabotait en chœur bariolé constitué seulement d’antagonismes rivaux, jusqu’au jour où, personne ne comprit pourquoi, il se gava de médicaments prescrits tout à fait légalement et mourut étouffé dans son vomi.    

 

 

 

 

 

 

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