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  • Savoir de guerre, de Christophe Van Rossom

     

     

    La phrase est là surgie, précise, nette – pensée. Aucune étrangeté formelle, et pourtant la plus grande. Chaque page en contient dix, cent, mille, bibliothèques à ouïr, bruissant dans le silence.

    Chaque poème est séparé des autres, et pourtant lié à eux ; de saut en saut, « quantiquement », l’œuvre avance, fort construite malgré l’apparence contraire, au gré de ses parties : elle s’achemine lentement, quoique toujours un peu trop vite, vers cette fin deux fois romaine, sac inclus.

     

     

    « Ne cherchons plus à domestiquer les imbéciles. Nous n’en aurons pas le temps. Laissons-les croire que nos forteresses sont accessibles. Ils n’ont pas besoin de nous pour spontanément en gagner les culs-de-basse-fosse tandis que nous sourions au soleil. »

     

     

    Le poème est un savoir de guerre, le recueil un butin pris à quelque mauvais ennemi ; non pas un ennemi poétique, vague et flou, ou mythique, mais notre monde. La phrase juste ne se satisfait pas de sonner, si elle ne ramène avec elle des mémoires ensevelis, oubliés. Car d’abord il est question de la vie, aujourd’hui, et de battre, si possible, l’énormité de tout ce qui la veut empêcher.

     

     

    « Nous n’avons pas une vie, mais plusieurs, oui.

     

    Seuls les imbéciles se contentent de la plus périphérique, de la plus asservie d’entre elles. »

     

     

     A la maxime, à l’aphorisme, fait toutefois contrepoint, mais comme du dedans de lui, ce savoir de guerre que présente ici tel particulier, selon ce qu’il a vécu, et lu, et aimé.

     

    « Quand tu avances, la Bibliothèque marche avec toi. »

     

      Ce savoir de guerre est accumulé depuis l’enfance et il vient se ramasser là, en ces quelques pages, avec ses fulgurances, ses goûts, ses choix – rien qui soit indifférent ; il peut être question de Troie, ou bien de Cecilia Bartoli ; d’Ages d’Or divers, numérotés, ou de Gustave Flaubert ; La Fontaine et Gorgias se font face à livre ouvert.

     

    Bien sûr, je pourrais dire aussi ce qui, personnellement, dans ce Savoir de guerre m’agace ou me hérisse. Mais cela n’a aucune espèce d’importance. Je me trouve simplement, lecteur, devant un soldat qui raconte sa guerre, un poète ; et sauf à tricher, personne en vérité ne se trouve fondé à lui dire : « Tu te trompes ». Car il ne se trompe pas ; simplement n’avons-nous pas vécu tout à fait la même guerre.

     

     

    Savoir de guerre, van Rossom.jpg

     

    Savoir de guerre, Christophe Van Rossom

    Ed. William Blake and Co.

    20 euros. 

     

     

  • Non poésie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    De plus en plus souvent, je ne mets pas en ligne des billets écrits, tapés. Je les relis, et puis : à quoi bon ?

    Parfois, aussi, j’ai honte. Ils disent exactement ce que je veux dire, ce que je pense ; et donc, je ne les mets pas en ligne.

    Je me suis bien rendu compte de cela ; aussi ai-je cessé d’écrire des billets.

    La phrase atteint son but et le détruit.

     

    – Qu’est-ce que tu vas écrire, maintenant ? me demande une amie.

    – Je ne sais pas, moi. Des poèmes d’amour.

    Il touche le fond. Je l’ai clairement vu penser ça. Mais elle a juste dit :

    – Je crains le pire.

    Il y a eu un silence.

    – Tu es amoureux ?

    – Pour quoi faire ?

    D’ailleurs, je n’aime pas non plus la poésie.

    Des miniatures comme celle-ci ne méritent pas qu’on passe à les écrire plus de temps qu’à les lire.

     

    Je mens, bien sûr.

    Je sais très bien ce que j’écrirais si j’avais du courage.

  • Le jeu des violettes (3)

    Nature morte aux 3 crânes. Cézanne.jpg

    Bien. Tout le monde s’est évidemment précipité sur les violettes, sur leur couleur. Figurez-vous que le problème n’est pas du tout celui de la couleur des violettes ; le problème – relisez bien – est plutôt de savoir ce que c’est qu’un dialogue, non ?

     

     

     

     

     

     

     

     

    – Le dialogue est peut-être la forme d’écrire la mieux à même de dissimuler l’opinion de l’auteur.

    – Mais la détruit-elle pour autant ?

    – Peut-être ; si l’auteur prend soin de ne placer son opinion dans aucune de celles que ses dialogues expriment.

    – J’objecterai que plus le dialogue est long, étendu parfois même à plusieurs ouvrages, plus le nombre des opinions exprimées tend à cerner celle qui ne l’est pas.

    – Et que seul le lecteur exprime ; mais n’est-elle pas plutôt la sienne, alors ? Car quoi dit que seule une opinion n’était pas exprimée ? Ou que l’auteur en avait une – qui sait ?

    – Oui. Sans compter que l’opinion éventuelle de l’auteur, pas si fixée dans le temps peut-être, il l’aura avec plus ou moins de conscience et de volonté disséminée dans ses dialogues, et que les contradictions mêmes de ses interlocuteurs fictifs ne sont pas nécessairement les indices de cela, mais ceux de la connaissance de la nature humaine de l’auteur.

    – Il faut donc que les opinions de l’auteur n’aient aucun intérêt pour le lecteur.

    – Importe seulement, au fond, cela dont il parle.

    – Mais il parle de la couleur des violettes !

    – Merde à la fin.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Les âneries sont ouvertes.)

  • Le jeu des violettes (2)

    Manet Le bouquet de violettes.jpg

     

    Je précise que la couleur donnée aux caractères de ce second problème est un effet de l’humeur guillerette de ma secrétaire et ne constitue en rien un indice ; quant aux fleurs de Manet, elles demeurent évidemment, si j’ose dire, hors concours.

     

    Soit le dialogue suivant, étant donné un monde imaginaire où le violet n’existe pas :

    A. – Les violettes sont jaunes.

    B. – Les violettes sont marron.

    De quelle couleur l’auteur du dialogue pense-t-il que sont les violettes ? Vous justifierez logiquement votre réponse.

     

     

     

    (Les commentaires sont fermés ; ça m’évitera de lire des âneries.)