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grammaire

  • Une cuite de Pentecôte

    Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science.

     

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    Allez, je vous colle trois morceaux de textes ici, à peine dégagés de leur prise de notes ; je torche, quoi. Qu’est-ce que ça peut faire, n’est-ce pas ? Ce monde est une poubelle et ce blog lui appartient en plein. Aussi.

    Whisky.

    Il est tard, et je suis fatigué. Et je ne suis pas certain que nous méritions le moindre égard. Et si ce moindre égard devait néanmoins avoir lieu, il serait de haute nécessité qu’il ne soit pas pure forme.

    Comprend qui peut, comme disait en gros saint Augustin. Mais lui parlait de la Trinité. Alors que je me confine à mes peu ragoûtantes anecdotes, à chacun selon ses moyens, etc…

     

     

     

    1

    C’est le même programme par le haut et par le bas, finalement, dans ce qu’ils appellent encore la culture. Détruire tout à fait la simple capacité, voire même : la possibilité, de clairement exprimer l’obscurité de l’époque. Détruire l’ambiguïté. En fourguant du trash imbécile ou du rêve mol. Respectivement. Mais toujours de l’inarticulé ; c’est là que culmine aujourd’hui le romantisme post-hitlérien. Toujours en passant en-deçà du langage. Soit en développant artificiellement – hors sol – les anciennes formes culturelles populaires que le peuple a lâchées pour de nouveaux écrans, soit en développant des tas de saloperies prétendument élitistes ne concernant, n’intéressant que ceux-là mêmes qui les produisent. Cette destruction permanente, presque unique tant elle est continue, ils lui ont donné le nom inverse et inverti de création. Entendez-moi : ils multiplient les créations. Tout ce qui se torche est création, et c’est pléthore. C’est du créationnisme à l’état sauvage, parfaitement insu de lui-même (et imbu, aussi) ; ce sont aussi, peut-être, les fondements d’une religion de merde, celle de l’homme standardisé carburant à la science et déshumanisé.

    Prenez par exemple un bouquin de théâtre d’il y a cinquante, soixante, ou même : quarante ans ; vous avez de grandes chances, dans les premières pages, d’y lire ceci : la pièce fut représentée pour la première fois le tant, dans tel théâtre, dans une mise en scène (ou une régie, s’il s’agit de Vilar) de Untel, des décors (pas question de pompeuse scénographie) ; après quoi la liste des personnages sera doublée de celle des acteur ayant tenu leurs rôles… En somme, il ne sera pas question de création, mais de représentation. L’artiste n’est pas d’abord un créateur, il est un interprète. Quant à l’auteur, c’est un écrivain.

    Désormais le premier trou du cul venu, capable de pianoter sur un ordinateur, prétend au démiurgique statut de créateur, cite Artaud et Deleuze, ou Heidegger et Sloterdijk, quand ce n’est pas le bon docteur Lacan, dans ses dossiers de production, et bazarde allègrement des « créations », donc, lesquelles ne demandent pas objectivement le niveau intellectuel d’un élève de CM2 de 1950.

    Mais ce n’est pas du tout de cela que je voulais vous entretenir ce soir, non.

     

     

     

    2

    J’ai discuté l’autre soir avec le jeune S. Tranquillement. En buvant une bouteille de Chianti. Je vais essayer de vous retranscrire son parler bizarre. Déstructuré un peu dans l’expression, et bizarrement pas trop encore quant au fond…

    Or, je jeune S. était allé à la messe. Pas par conviction personnelle, non ; par devoir. Enfin, c’est ce qu’il m’a dit.

    – Donc ouais, j’ai assisté à une messe l’autre jour, enfin, un dimanche. Bien. Je dis assisté, parce que moi, ce que je fais, on ne peut pas dire que c’est participer ou je ne sais quoi, hein. Parce que le grand-père, le dimanche, il faut qu’il y aille, lui, à la messe des vieux. Alors avec mes cousins, on se relaye pour l’y emmener, même que c’est assez chiant, mais bon. Une fois, j’ai essayé de me défiler, passer mon tour, mais mes cousins après ils m’ont pourri la tête alors, donc, parce qu’eux non plus, ils aiment pas ça et ça leur casse les rouleaux les conneries de bondieuserie. Quand le grand-père sera mort, plus personne de la famille n’ira et cette histoire-là sera enfin finie pour nous. Mais bon, ce n’est pas ça que je voulais vous dire… Donc, avec le grand-père, on était là, à la messe, et il fallait encore, des fois, que je l’agenouille parce qu’il n’y arrive pas tout seul et qu’il ne veut pas rester debout comme les jeunes pour prier, bref, on était là, des fois j’écoutais et des fois pas, l’attention vaquait quoi, hein, et à un moment donné, le curé il lit des textes, eh bien là, il se met à en lire un sur Adam et Eve, et tout ça. Ça devait être le premier dimanche de Carême ou un machin comme ça, et je ne sais plus de quoi parlaient les autres lectures, bref, après quoi le curé fait un machin, une homélie peut-être, bref un genre de sermon qui ne sermonne personne et rien, et voilà tout à coup que ce curé tient un discours vachement intéressant. Voilà ce qu’il dit, c’est un peu un vieux gars le curé, pas un jeune novateur, non, pire, un vieux novateur, il a un poil la tremblote dans les cordes vocales et voilà tout à coup ce qu’il balance, le gars : « J’espère que parmi vous il n’y a pas, comme on voit souvent chez les Américains, je veux dire, chez les protestants américains, ce qu’on appelle des créationnistes ; que vous êtes tout à fait au clair avec le fait, je dis bien le fait, que tout le début de la Genèse est une métaphore et que, vous le savez peut-être, c’est à partir seulement d’Abraham que les personnages de la Bible sont historiques. On ne peut pas croire, aujourd’hui, en 2008, que Dieu a réellement créé le monde en six jours, avec un septième en plus pour se reposer. L’Eglise catholique ne conteste pas du tout le darwinisme. Ce à quoi donc nous devons réfléchir, frères et sœurs, etc. etc. »

     

    Je rigole.

    Difficile de savoir, dans son récit, ce qui dans la formule tient au curé, ce qui tient à S.

    Pas seulement relativiste, l’Eglise catholique : auto-relativisée aussi.

    En clair : Tout le monde dehors !

    Et la Résurrection aussi, c’est une métaphore, non ?

    On va continuer, donc, d’insister sur la Passion.

    Si j’étais catholique, je deviendrais orthodoxe.

    Eux au moins ne lâcheront pas la Résurrection.

    – « Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science », dis-je, solennellement.

    S. rigole.

    – C’est de qui ?

    – Hitler.

    Silence.

    Bien.

    Il reprend.

     

    – Mais, justement, et c’est ça que je voulais vous dire donc, alors la messe continue, j’essaie de ne pas trop somnoler, j’aide le grand-père à se lever, s’asseoir, s’agenouiller, tout ça, et paf ! à un moment, c’est normal d’ailleurs dans le déroulé des trucs et des machins, le cureton darwinien en arrive au Credo, Je crois en dieu, créateur du ciel et de la terre… Pas gêné, le type, pas même un sourcillement vague, et pourtant je le scrute, bref, dieu est une métaphore, le ciel et la terre aussi, et même si tout le monde a le droit de le penser, hein, vu aussi qu’on a parfaitement le droit aussi bien de penser n’importe quoi, même si tout le monde le pense, voilà que ce cureton diabolique le balance en plein office, ça m’a sidéré. Merde. Quand même. Ce connard a dézingué sa propre religion, jusqu’au Symbole même des apôtres, ou au Symbole de Nicée (325 et 381), comme ça, l’air de rien, en plein office, il a néantisé tout d’une pauvre phrase sur le darwinisme Rex. Ce catholique-là a pulvérisé d’une phrase ou deux tout ce en quoi justement il est censé croire, faisant de tous ces mots une pure forme, bulle de néant, que dalle moderne. L’air de rien. J’ai regardé l’assemblée, rien n’a bougé sur leurs visages, des cadavres, des cadavres…

     

    L’air de rien…

     

     

     

    3

    Et voilà qu’une philosopheure (allons-y) de fin de soirée, passablement abrutie –j’espère – par deux trois verres de rosé bas de gamme, s’avise de me demander, dans des formulations à rallonge, avec le sourire narquois de l’enseignant qui attend la bonne réponse, ce que je pense de la querelle des querelles, de la querelle, bref, qui opposa, au XX° siècle, partisans et détracteurs du sujet ; la question, au fond, n’est rien moins qu’inquisitoriale et vise à savoir, pour aller vite, si je suis de bon côté, c’est-à-dire du sien, mais pas seulement, lequel bon côté sans le moindre doute se trouve du côté des détracteurs et déconstructionnistes (pas destructeurs, hein, la déconstruction est bien évidemment une création) tant la philosopheuse en question s’exprime en terme structuralo-derridiens, c’est vous dire si on se marre… Je lui réponds assez franchement, en distillant les grossièretés, que je n’ai strictement rien à foutre de sa putain de querelle de merde – ce qui la désarçonne et l’effraie quelque peu… Et que tous ces connards de merde de pinailleurs qui pinaillent dans le néant se démerdent un peu avec leurs petits montages conceptuels à la con, je veux dire avec leurs méprisables fictions intellotes imbéciles qu’ils ne cherchent d’ailleurs pas tant à imposer par la rigueur de leur pensée que par le jeu d’occupation des places universitaires et des réseaux politico-philosophico-merdiques. Et encore que leurs fictions anorexiques et illisibles ne sont méprisables que de vouloir passer pour la Vérité même, sans l’ombre d’un doute…

    Je fais une pause pour allumer une cigarette et reprends de plus belle – moi aussi, je suis un peu désinhibé, rapport sans doute à une quelconque prise massive d’alcool, comme disent nos bergers allemands…

    – La seule chose qui m’intéresse, d’ailleurs, c’est de faire causer des putains de personnages, c’est-à-dire des salopards et des menteurs, et aussi, sous couvert de candeur, des pervers. Et encore de les foutre dans des situations ambiguës, inextricables, auxquelles la morale ne peut rien, ce qui présuppose néanmoins qu’il y en ait une, tu piges ? Et pour faire ça, vois-tu, j’utilise un truc-machin super, qui s’appelle la langue française, avé sa grammaire, laquelle veut que chaque sujet soit le sujet d’un verbe. Le reste, c’est de la branlette. C’est pas clair, ça ?

    Apparemment, non.

    Mes yeux s’égarent dans le décolleté de la ridicule.

    – Là, je crois quand même que tu tires un peu sur le côté théologique de la chose, assure-t-elle, avec une finesse de gorette.

    J’explose de rire dans mon whisky, ce qui le fait ressortir de ma bouche dans des éclaboussures dorées qui viennent consteller le visage de la demoiselle.

    – Le côté théologique ? Quel côté théologique ? Que le sujet dans une phrase ne soit sujet que de l’être d’un verbe, c’est de la théologie ? Merde alors ! C’est pour ça qu’on n’apprend plus la grammaire aux gosses, dans une merdocratie laïque et n’importe quoi. On rimbaldise, ah ah ! Je est un autre, ah ah ! Dieu suis un Je, quoi ! Tout s’explique ! C’est formidable, en fait, tu as raison. Je fais de la théologie sans le savoir. Je suis Monsieur Jourdain. Une phrase en français et vous croyez en Dieu… Pire, vous voilà théologien ! Et comme selon le révérend père Lacan, il n’y a d’athée que les théologiens… Il vaut bien mieux qu’on ne trouve plus ni athées théologiens, ni grammairiens qui font vivre le Seigneur, ni langue française pour écoliers citoyens, langue qu’on a qu’à déconstruire, détruire et truire…

    Je suis hors sujet.

    Complètement hors sujet.

    Evidemment. Je sais.

    Mais bon.

    Elle est vaguement inquiète, ne sait plus comment s’en aller. Je vais l’aider.

    – Moi par exemple, en ce moment, je suis le sujet du verbe niquer. Alors, si tu avais un quart d’heure à me consacrer, ou même cinq minutes…

    Elle est partie en piaillant. D’autant que j’ai dit ça en glissant doucement, discrètement un doigt (l’index, tout de même) dans son décolleté…

    Ce que je peux être de mauvaise foi, tout de même.

    Tout cela n’est pas très élégant, j’en conviens.

    Pas de quoi être fier. Ça me fait rire quand même.

    Saloper sa réputation est un luxe, après tout.

    Cigarette.

  • Du devoir d'insubordination

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    Je voudrais vous parler du devoir d’insubordination, qui est une chose évidemment magnifique. En mai 1968, la France vivait depuis  dix ans sous la V° République ; et quarante ans plus tard, elle vit toujours dessous – il faut bien maintenir, le mensonge serait-il hurlant à l’heure où des quarterons d’élus de tous poils, bords et sexes tripatouillent à l’aveugle dans les montages normatifs, la fiction de la République « au-dessus ». En mai 1968, de jeunes gens des beaux quartiers voulaient abattre la V° République, qu’ils jugeaient fasciste, on ne sait plus trop pourquoi, et eux non plus ; ils en occupent les meilleures places aujourd’hui : à tel point que la V° République, tout ou partie, s’invente à présent l’obligation de flatter les puissants en fêtant merdeusement les quarante ans de ces événements de mai 68 qui voulaient apparemment la détruire. Bref, les dirigeants d’aujourd’hui fêtent leur rébellion de pacotille d’hier, voudraient nous faire croire qu’ils sont encore aujourd’hui ce qu’ils étaient déjà alors… Ils y parviennent d’ailleurs, et au sens propre : les apprentis parvenus sont à présent des parvenus accomplis, plaçant partout leurs infâmes et informes rejetons.

    Je voudrais, dis-je, vous parler du devoir d’insubordination, qui est une chose évidemment magnifique. Je voulais juste vous parler du français, de la langue française, et pour, à ma façon commémorer mai 68 – la fausse Commune qui doit impérativement faire rêver des générations d’abrutis –, citer ce cher vieux et très poussiéreux Roland Barthes en sa leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, prononcée le 7 janvier 1977 :

     

     

     

    « Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif : ordo veut dire à la fois répartition et commination. Jakobson l'a montré, un idiome se définit moins par ce qu'il permet de dire, que par ce qu'il oblige à dire. Dans notre langue française (ce sont là des exemples grossiers), je suis astreint à me poser d'abord en sujet, avant d'énoncer l'action qui ne sera plus dès lors que mon attribut : ce que je fais n'est que la conséquence et la consécution de ce que je suis ; de la même manière, je suis obligé de toujours choisir entre le masculin et le féminin, le neutre ou le complexe me sont interdits ; de même encore, je suis obligé de marquer mon rapport à l'autre en recourant soit au tu, soit au vous : le suspend affectif ou social m'est refusé. Ainsi, par sa structure même, la langue implique une relation fatale d'aliénation. Parler, et à plus forte raison discourir, ce n'est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c'est assujettir : toute la langue est une rection généralisée. (...)  La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire. »

     

     

     

    Je suis généralement injuste avec Roland Barthes. Ce passage est plutôt bien écrit. Il respecte plutôt très bien le « code » de la langue française. Est-il permis de dire que Roland Barthes, en somme, écrit comme un fasciste ? Je ne sais – et dans le doute, je m’abstiens. Mais si Barthes écrit selon le « code », c’est évidemment pour qu’il n’en soit plus ainsi ensuite ; comme pour la plupart des penseurs et intellectuels de sa génération, il s’agit de détruire derrière soi les institutions mêmes, ici sans doute la plus fondamentale de toutes : la langue, qui ont permis leur accession aux sommitales fonctions de professeur au Collège de France.

    L’entreprise de Barthes, dont il ne me revient pas de juger si elle fut plutôt bien ou plutôt mal comprise, a réussi au-delà de toute espérance. C’est de cela que, revenant d’avoir présidé le jury d’un concours d’éloquence pour lycéens ayant à charge de défendre, par exemple, je ne sais trop quelle sous-production litterre-à-terre d’Anna Gavalda (les quatre romans au programme avaient été choisis par un aréopage de « profs de français »), je discutais avec un ami :

    – Alors, ce concours d’éloquence ?

    – Il n’y a plus d’éloquence. Il ne reste plus rien de la grammaire. Et je ne parle pas de la logique. Quant à la rhétorique, aux chiottes mon pote !

    – A ce point-là ?

    – J’en ai tout de même noté quelques-unes, de phrases ; celle-ci vient juste après une citation d’une platitude effarante tirée d’Ensemble, c’est tout : « Alors là, je trouve ce passage très émouvant parce que dans le style c’est très bien écrit, et donc aussi très émouvant, tellement même qu’on pourrait croire que c’est fait essprès. » Joli, non ?

    (Je ponctue ça comme je peux.)

    – Pas mal. Mais tu n’as retenu bien sûr que les pires choses, comme à ton habitude ?

    – Eh bien non, même pas, je te jure. Il y avait un autre roman aussi, de je ne sais plus qui, lequel roman, tout ou partie, se déroule pendant la seconde guerre mondiale, laquelle bien évidemment ne diffère en rien, je veux dire : se ramène en intégralité à la Shoah – si j’en crois les quelques résumés éloquents présentés. Eh bien, figure-toi mon vieux, qu’un des rares garçons de cette finale a réussi à parler à quatre reprises, pour désigner Auschwitz, de « camps de concentration juifs ».

    – Tu déconnes ?

    – Non. Il voulait parler des camps de concentration allemands, mais voulant évoquer les juifs vivant et mourant dans ces camps, il parlait de camps de concentration juifs. Mais ce qui est le plus extraordinaire, c’est la disparition, ou du moins : la présence parfaitement aléatoire dans les phrases, de toute concordance des temps.

    Que n’avais-je pas dit là ?

    Une concordance des temps !

    – Dis donc, mais il n’y a plus que Le Pen pour parler comme ça !

    Là, j’ai maudit Roland Barthes.

    Je l’ai maudit parce qu’il avait gagné.

    Si vous causez français, vous causez comme Le Pen ; conséquemment, vous êtes fasciste.

    (Pour d’obscures questions techniques et administratives de traduction des directives européennes et peut-être aussi en prévision de sa déréliction programmée sinon souhaitée, un gouvernement de la V° République s’est pourtant senti obligé de modifier, en 1992, la Constitution pour que celle-ci mentionne, article 2, alinéa 1, ce qui, jusque là, était toujours allé de soi : « La langue de la République est le français. » Comme quoi la République est bien fasciste, les soixante-huitards avaient raison… ) 

    L’espèce de langue approximative que j’avais entendue toute la journée était donc bien réellement la langue de l’antifascisme.

    (Comme aussi le rap, par exemple, qui est très citoyen ; mais j’y songe à l’instant. Trop tard.)

    Mais bon, j’ai tout de même lancé ça :

    – Arrête. N’abandonnons pas la langue française aux imbéciles au motif qu’ils ont fait l’effort de l’apprendre. Parler sa langue, et la parler correctement, ne relève d’aucune opinion politique. Cela relève du plus élémentaire respect de soi, non ?

    (D’un autre côté, il se peut que le respect de soi, sauf bouddhisme, soit carrément suspect.)

    Je continuai :

    – L’imparfait du subjonctif est désuet, je te l’accorde, et d’ailleurs, c’est dommage… Mais le présent du subjonctif aussi l’est. Par exemple, ces enfants-là disent sans vergogne (et, je le rappelle, vergogne est le mot italien pour : honte) : « Ca serait trop bien s’il viendrait à la maison. » Ou : « C’est normal qu’il fait la gueule. » D’un autre côté, on ne peut pas leur en vouloir, ils sont en classe de Première L (le L est censé abréger le mot littéraire).

    – Tu exagères tout le temps…

    – Mais non, je te jure.

    J’ai fini par laisser tomber. J’avais trop peur de me faire traiter de fasciste ou, au moins, de réactionnaire… On est lâche ou on ne l’est pas…

    Ou plutôt oui, j’exagère. Bien sûr. Mais pas autant que la réalité.

    Tout le problème est là, d’ailleurs.

    Ce qui me fait rire, au fond, c’est cela : si je parle de Barthes à un lycéen normalement constitué, il va penser à ce produit de consommation inepte que sont les Simpson ; à Bart Simpson précisément.

     

     

    L’insubordination, en somme, est devenue un devoir civique.

    Mais l’épithète civique fait ringard.

    L’insubordination est devenue un devoir citoyen.

    Par citoyen, j’entends, d’une certaine façon : policier.

    Elle est même quasiment obligatoire, l’insubordination.

    Elle s’est entée dans la grammaire, et l’a détruite.

    A tel point que l’on peut de nos jours entrer en classe de 6° en écrivant ce français-là (je veux dire : cette langue de la République-là) :

     

    « Copie 1 :

    Bob appelle sont chien.

    banbou, banbou net il ne revint pas.alors il vat le chercher, celce ninute il adercu un batar alonge Bob le leve mele batard ce reconcha aussi tôt il avait un patte brisé il etait jéne bob le porta 10 minites il retroves les trotriester du chiens apre il reprar 10 ninutes plus tard il retrouve son acie acote d'une toite en fer sete le tresors.

     

    Copie 2 :

    Bob en le suivant soit perdue. Il trebuchas sur une espespese de grosse pier lourde. En nolent en nariere il retenbas une fois de plus. Alors en se dement de quoit peut-il sagire. Il dessidat de crese.En cresent il tapa sur une boite en boie. Il la sorta du trous, la pousa et louvra. Setait si brient qil ne voyé pas les couleurs. Il plonga la main dedent et retira des bijoux en or :

    des colie, des boucle d oreille et meme des tiament il dessida de lait dens la poubelle pour prendre des plastique. Il en prena 3 et met tout le tresore dans le plastique.

    Coudin, il entendie un haboiment tout près. Il cria»banbou,banbou» et bonboux revena à lui. Il étais cachais dans les buisons. Grasse au bijoux les parent de bob le retrouva avec leur brience s'est normal et le tresor est mantenent au muse mais bob a gardes cellque bijoux.

     

    Copie 3 :

    Il trifoula dans ce sentier Il renifla pas a pas tout a coup Il aboya donc bob croyai qu'il attaque une persone. Il continua a aboyé, Puis il creusa bob l'edait a creusé Il y avait une boite qui ressemble a un tresor.

    Il le sorti du trou louvra et vit des bijoux de toutes sortes le pére appelle la police, pendant que bob se fit interview et fit la une du journal. Le propietaire de ce tresor et venu reprendre et donna une recompense au 2 heros du jour.

     

    Copie 4 :

    Sur un petit sentier de terre et la se trouve une tour il se demande quoi. Puis 5 minutes plus tard il monta et il monta et il monta elle était grande mais grande, il aperçevat des personnes une dizaine. Il monta eux aussi dans la grande tour. Mais il arriva un malheur car dans la tour on ne pouvait que montait par 3. Parce qu’elle n’était pas solide et en plus il était à 13. Alors la tour s’écrasa. 1h plus tard il y avais 2 survivants. et c’était Bob et Bambou les 10 autres était mort. Alors Bob et Bambou alla voir ce qu’il avait dehors il y avait un volcan puis il monta et il trouva des milliers et des millions et des milliers de pièces enor qui brillait de mille feux et c’était le trésor. Puis il reprena la route »

     

     

    (Source : Rapport sur l’enseignement des Lettres au Collège, par l’Association des Professeurs de Lettres, 2005.)

     

     

     

    La jeune femme, directrice de quelque chose, dit d’un de ses employés :

    – Il veut que je le reçoive.

    Remarquez comme la concordance se fait naturellement.

    Bien.

    (D’un autre côté, si la concordance ne se fait pas, la question est : en quoi la subordonnée est-elle, justement, subordonnée ? Peut-être a-t-elle un droit elle aussi, pour être absolument moderne, à l’insubordination, peut-être même un devoir…)

     

    La jeune femme, directrice de quelque chose, dit d’un de ses anciens employés :

    – Il voulait que je le reçusse.

    (La subordination, en somme, n’est pas celle que vous  croyiez…)