Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Georgius

  • Nouvelles élites

     

    Je crains que l’humour de la célèbre chanson de Georgius, l’Amuseur Public N°1, Au lycée Papillon, qui date de 1936, ne puisse bientôt plus être compris par personne…

    Et peut-être même demain, un quelconque normalien ou énarque ne pourra plus éprouver qu’ennui à la simple lecture de ces paroles ; et il se demandera dans son sabir ce qui a bien pu pousser un méprisable chanteur de variété à résumer et compiler, sans humour ni distance, un nombre de connaissances supérieur à celles qui lui furent transmises à l’Ecole élémentaire.

     

    Puisque nous sommes aujourd’hui, comme eût dit l’autre, et qu’aujourd’hui est le jour, comme eût dit ce même, où la lecture aux lycéens de France de la lettre de Guy Môquet semble poser quelques problèmes de conscience politicienne aux professeurs d’histoire vivant sous le régime du Président Grenelle, j’ai l’honneur de proposer ici, très sérieusement, aux professeurs des écoles élémentaires de remplacer l’intégralité de leur chétif programme d’histoire, puisqu’il appartient à l’éminente catégorie des « activités d’éveil » (1), par la chanson de Georgius dont je reproduis ici l’intégralité :

    AU LYCEE PAPILLON

    Paroles: Georgius. Musique: Juel  
    © Editions Paul Beuscher

    Elève Labélure ? ... Présent !
    Vous êtes premier en histoir' de France ?
    Eh bien, parlez-moi d'Vercingétorix
    Quelle fut sa vie ? sa mort ? sa naissance ?
    Répondez-moi bien ... et vous aurez dix.
    Monsieur l'Inspecteur,
    Je sais tout ça par cœur.
    Vercingétorix né sous Louis-Philippe
    Battit les Chinois un soir à Ronc'vaux
    C'est lui qui lança la mode des slip...es
    Et mourut pour ça sur un échafaud.
    Le sujet est neuf,
    Bravo, vous aurez neuf.

    {Refrain:}
    On n'est pas des imbéciles
    On a mêm' de l'instruction
    Au lycée Pa-pa...
    Au lycée Pa-pil...
    Au lycée Papillon.

    Elève Peaudarent ?... Présent !
    Vous connaissez l'histoir' naturelle ?
    Eh bien, dites-moi c'qu'est un ruminant.
    Et puis citez-m'en... et je vous rappelle
    Que je donne dix quand je suis content.
    Monsieur l'Inspecteur,
    Je sais tout ça par cœur.
    Les ruminants sont des coléoptères
    Tels que la langouste ou le rat d'égout,
    Le cheval de bois, le pou, la bell'-mère...
    Qui bav' sur sa proie et pis qu'aval'tout.
    Très bien répondu,
    Je vous donn' huit... pas plus...

    {Refrain}

    Elève Isaac ? ... Présent
    En arithmétique' vous êt's admirable,
    Dites-moi ce qu'est la règle de trois
    D'ailleurs votre pèr' fut-il pas comptable
    Des films Hollywood ... donc répondez-moi.
    Monsieur l'Inspecteur,
    Je sais tout ça par cœur.
    La règle de trois ? ... C'est trois hommes d'affaires
    Deux grands producteurs de films et puis c'est
    Un troisièm' qui est le commanditaire
    Il fournit l'argent et l'revoit jamais.
    Isaac, mon p'tit
    Vous aurez neuf et d'mi ! ...

    {Refrain}

    Elève Trouffigne ? ... Présent !
    Vous êtes unique en géographie ?
    Citez-moi quels sont les départements
    Les fleuv's et les vill's de la Normandie
    Ses spécialités et ses r'présentants ?
    Monsieur l'Inspecteur,
    Je sais tout ça par cœur.
    C'est en Normandie que coul' la Moselle
    Capital' Béziers et chef-lieu Toulon.
    On y fait l'caviar et la mortadelle
    Et c'est là qu'mourut Philibert Besson.
    Vous êt's très calé
    J'donn' dix sans hésiter.

    {Refrain}

    Elève Cancrelas ? ... Présent !
    Vous êt's le dernier ça me rend morose.
    J'vous vois dans la class' tout là-bas dans l'fond
    En philosophie, savez-vous quèqu'chose ?
    Répondez-moi oui, répondez-moi non.
    Monsieur l'Inspecteur,
    Moi je n'sais rien par cœur.
    Oui, je suis l'dernier, je pass' pour un cuistre
    Mais j'm'en fous, je suis près du radiateur
    E puis comm' plus tard j'veux dev'nir ministre
    Moins je s'rai calé, plus j'aurais d'valeur,
    Je vous dis : bravo !
    Mais je vous donn' zéro.

    {Refrain}

    Elève Legateux ? ... Présent !
    Vous êt's le meilleur en anatomie ?
    Répondez, j'vous prie, à cette question
    Pour qu'un être humain puiss' vivre sa vie
    Quels sont ses organ's, quell's sont leurs fonctions ?
    Monsieur l'Inspecteur,
    Je sais tout ça par cœur.
    Nous avons un crân', pour fair' des crân'ries
    Du sang pour sentir, des dents pour danser
    Nous avons des bras ...
    C'est pour les brass'ries
    Des reins pour rincer
    Un foie pour fouetter.
    Bien. C'est clair et net
    Mais ça n'vaut pas plus d'sept.

    {Refrain}

    (1). On peut lire aux pages 6 et 7 du Rapport sur l’enseignement des lettres au collège (2005) de l’Association des Professeurs de Lettres, cette citation de Pierre Nora, tirée de l’ouvrage collectif de 47 historiens sous la direction d’Alain Corbin, 1515, les grandes dates de l’histoire de France revisitées par les grands historiens d’aujourd’hui (Seuil, 2005) : «  La valse des programmes et des instructions, depuis qu’en 1969 l’histoire a cessé d’être une discipline autonome de l’enseignement primaire pour devenir une partie des « activités d’éveil », prouve assez la trappe qu’a ouverte sous les pieds des professeurs d’histoire la disparition apparemment innocente et libératrice d’une liste obligatoire de dates sèches, sans chair et sans vie. »