1996
J’ai passé la journée à réparer la machine à écrire. A réencrer comme un cochon des rubans qu'on ne trouve plus. La vieille mécanique des années 30, celle qui emmerde les hackers du dimanche et les autres. Celle qui empêchait de dormir toute la cage d’escalier, tacatacatac, il y a dix-sept ans. Celle qui n’a pas de point d’exclamation. Celle sur laquelle, de rage, j’avais pété une bouteille de whisky, et qui avait dit : rien à foutre, même pas mal. Je trouve que les politiciens ont de plus en plus des têtes d’urne et que rien comme une balle dum-dum ne ressemble à un bulletin de vote moderne. La télé est cassée, la radio ne marche plus, je ne lis pas les journaux dans l’espoir qu’ils crèveront, internet écrase tout, le commentaire délirant de l’actualité est permanent et impose que l’actualité toujours soit fausse ou dérisoire. On trouve toujours un connard avec de l’humour pour donner son avis sur ce qui se passe. L’heure est grave, citoyens ! le pignolage continue et tout est oublié demain sous un nouveau déluge de pacotille en toc. L’économie est plus imbittable que jamais et il y a longtemps par ici que même Dieu se chie dessus. J’avais trouvé la grande politique dans le grand théâtre, mais l’art contemporain du fric international l’a ravagé en quinze ans. Il n’y a rien à lire et il pleut. De toute façon, ce pays n’existe plus. Pour l’instant. Je m’en fous, je suis de bonne humeur, j’ai mis dix mois à sortir 1200 mots pile, 6231 caractères (espaces compris), c’est tellement court que ça ne vaut pas la peine de faire des photocopies ni même de la mailer aux trouducs du milieu trouduculturel, ça ne parle pas de politique puisqu’il n’y en a plus, il y a de l’amour mais il est faux, c’est vide et vain et c’est parfait comme ça, c’est la dernière pièce que j’écrirai. Ça s’arrose.