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Lectures paisibles, et autres...

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Oui, oui, alors, qu’est-ce que j’ai lu récemment d’un peu intéressant et dont je ne ferai pas la critique ?... Dans le désordre, les histoires du Grand Nord du Danois Jørn Riel, La Vierge froide et autres racontars et Un Safari arctique, histoires âpres et viriles, à l’humour à la fois fin et bien trempé, plongeant dans la vie rude des trappeurs traversant isolés la nuit arctique ; Le Bloc de Jérôme Leroy, pas mal pour un roman – sur un sujet qui n’est au fond « délicat » qu’aux journaleux –, mais j’imagine qu’il y en a de cet honnête niveau une cinquantaine par an en France – les personnages et leur passé sont au fond bien plus réussis que l’intrigue, qui, sacrifiée, n’avance pas d’un iota et sert de prétexte à mettre en avant ce fond d’humanité de personnages pourtant noirs, etc., le truc classique, on évite un écueil et on s’en mange un autre (là, c’est chez Gallimard, en série Noire) ; Guerres urbaines d’Antonin Tisseron (Economica), étude universitaire très claire mais un peu répétitive autour de ce constat que les batailles, en gros depuis Stalingrad, ont lieu dans les villes, Beyrouth, Sarajevo, Grosny, Bagdad, etc., ce que politiques et militaires avaient jusque là, dans le long cours des siècles, toujours voulu éviter à tout prix – voilà, voilà, raisons et enjeux, tout ça tout ça ; Le Nombre et la sirène de Quentin Meillassoux chez Fayard, un livre passionnant tout entier consacré à déchiffrer, au sens le plus littéral à décoder, Le Coup de dés de Mallarmé et à en rouvrir considérablement la lecture ; La tradition secrète du nô de Zeami (XVème siècle), livre de la haute tradition martiale du théâtre japonais, dont la publication en 1960 avait vu Vilar écrire un bel article intitulé « La Leçon » (rien à voir avec Ionesco, suivez les gars) et Cinq nôs modernes de Mishima, grande simplicité de dialogue, petites merveilles dramatiques légères (tous deux chez Gallimard, Mishima en Nrf et Zeami en Connaissance de l’Orient) ; Eugène Onéguine de ce bon Pouchkine, dans la traduction admirablement légère (décidément, je donne dans la légèreté) d’André Markowicz, les vers rimés sont bel et bien là et se font oublier, envolés déjà (et je me dis, quelle histoire simplissime ! et quelle andouille, cet Onéguine !) ; Guérilla dans le désert de T.E. Lawrence, admirable petit texte (« Dans la guerre irrégulière, si deux hommes sont réunis, c’est un gaspillage d’un sur deux. ») ; Les Femmes savantes de Molière, pour la énième fois, mais c’est avec Le Misanthrope un de mes textes préférés de la littérature mondiale, dramatique ou non ; Les problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine de Mao Zedong, passionnant mais un peu lourd stylistiquement vers le milieu (mon exemplaire a été publié en 1960 à Pékin et ne porte conséquemment pas de nom d’éditeur, ce qui rend l’objet pourtant banal assez beau, particularité à mettre au crédit du communisme, quoi qu’on en pense) ; Le Chemin de la Croix-des-Âmes de Bernanos, c’est-à-dire toute la seconde guerre mondiale en quelque sorte lue mois par mois par l’un des plus grand écrivains et penseurs français du XXème siècle (« Nous devons écrire pour un petit nombre d’hommes libres. ») – un livre énorme, aux deux sens, dégotté pour 5 euros chez un bouquiniste en Nrf  Gallimard ; Du monde entier au cœur du monde de Cendrars, recueil par l’auteur de l’ensemble de ses poèmes (Poésie/Gallimard), avec peu de choses vieillies et une liberté partout perdue dans le champ de la poésie (« La guillotine est le chef d’œuvre de l’art plastique / Son déclic / Crée le mouvement perpétuel ») – qui dira la misère, certainement relative bien sûr madame, de la poésie française ? ; La Confession d’un voyou de Sergueï Essenine que la traduction (dont je ne puis pas juger mais que je suppose honnête) neutralise certainement, à moins que je ne sois passé tout à fait à côté de ma propre lecture (L’Age d’Homme) ; La nuit européenne de Vladislav Khodassievitch, chez Cazimi, un éditeur si petit qu’il n’existe sans doute même pas vraiment, dont la traduction de Christian Mouze donne, j’imagine, une idée de la beauté originelle de ces poèmes – quelques images s’impressionnent avec une force rare ; Ceux qui avaient choisi de Charlotte Delbo, aux Provinciales, une pièce comme on en écrit plus depuis que l’effort à peine réalisable de lecture demandé au lecteur de théâtre sert à masquer la nullité et le néant de l’auteur derrière je ne sais quel formalisme technique inutile, une pièce qui se lit comme un petit roman, dans le sillon de Giraudoux par exemple (Delbo fut avant et après guerre la secrétaire de Louis Jouvet), qui consiste en un dialogue (dont je m’interdis ici de résumer à la hache la finesse) à la terrasse d’un café à Athènes entre Françoise, comme l’auteur Résistante rescapée d’Auschwitz, et Werner, un intellectuel allemand qui durant la guerre fut un officier de la Wehrmacht bien« planqué », lequel dialogue est interrompu par le souvenir  de l’ultime entrevue entre Françoise et son mari Paul à la Santé en mai 1942, juste avant que ce dernier ne soit fusillé au Mont-Valérien, une des scènes d’amour les plus poignantes qui soient ; Bellone ou la pente de la guerre de Roger Caillois, chez Nizet, essai de 1962, un peu fastidieux par endroits mais coulé dans cette admirable prose classique française qui a tout de même pas mal disparu, passionnant à bien des moments, et dont la thèse ne cesse de nous interroger sur le cas dont ressortissent exactement les guerres, saintes ou propres, en cours aujourd’hui : « Ou bien les inégalités sociales entre les hommes sont codifiées et entretenues par les rites, les coutumes et les lois, et alors les guerres sont en général limitées, courtoises et peu sanglantes, des sortes de jeux et de cérémonies ; ou bien les hommes sont égaux en droit, ils participent également aux affaires publiques et, dans ce cas, les guerres ont tendance à se transformer en chocs illimités, meurtriers et implacables. L’homme ne paraît pas avoir jusqu’à présent réussi à gagner sur les deux tableaux à la fois. » ; Brueghel en mes domaines, de Lionel-Edouard Martin (au Vampire Actif), séries de fortes proses poétiques au français riche, bel et précis, peut-être pas tout à fait exempt de maniérisme parfois, évoquant les lieux et domaines familiers de l’auteur – le mot de domaine étant plus vaste, sans doute s’étendant à l’écriture elle-même, et jusqu’à l’infini peut-être d’une seigneuriale présence supposée, ou non –, du Maroc à la Martinique, en passant par la Bavière, Montmorillon ou Haïti, sans omettre le TGV Pau-Paris, entre 1981 et 2011 – allez, une phrase prise presque au hasard, une question : « Vieillir, qu’est-ce donc, pour qui s’y voit porté par des études ou son goût personnel, que chaque jour considérer plus profondément le langage ? »  

 

 

 

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